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Yalta - La mort d’une République

Yalta

De Gaulle accrédita, sur Yalta, une véritable légende : celle que Roosevelt et Staline s’y seraient « partagé le monde ». Or, pas une ligne, dans les minutieux documents américains, dans les Mémoires de Churchill, et de bien d’autres, n’est consacrée aux zones d'influence. Roosevelt était absolument hostile aux zones d'influence en pleine paix. L’importance historique de Yalta est tout autre. Yalta aboutit à de nombreuses décisions, dont certaines furent réellement appliquées. Yalta apparaît comme une sorte d’apogée : celle de la grande alliance. L'idée que la collaboration ne sera plus possible après la guerre n’apparaît pas encore. Enfin, Yalta a été, vers les débuts de la guerre froide, l’un des points chauds d’une campagne rétrospective contre Roosevelt. Celui-ci s’est vu accuser de tous les maux : naïveté devant les Soviétiques, concessions excessives, ignorance de leurs buts réels. Pourquoi leur avoir ouvert de vastes territoires en Extrême-Orient, alors que la bombe atomique était sur le point d’être réalisée ? La mort d’une République

Ce document est un article publié dans le quotidien Le Monde du 29 mai 1958, soit après l’insurrection d’Alger (13 mai 1958) et avant la démission de Pierre Pfimlin, remplacé comme président du Conseil par le général de Gaulle (1er juin 1958). L’auteur du texte est Hubert Beuve-Méry, qui fonda et dirigea Le Monde de 1944 à 1969.

Pour galvaniser les forces du régime, pour entraîner l’opinion, pour gagner la bataille ou la perdre en forçant l'admiration, il eût fallu que M. Pflimlin eût le terrible courage de dénoncer les mensonges passés, d’en finir avec toutes les équivoques et tous les faux-semblants, d’appeler par son nom l'insurrection d’Alger tout en découvrant ses véritables causes : un complot préparé de longue main et l’exaspération naturelle d’une armée livrée à elle-même, investie en fait de tous les pouvoirs par la démission progressive des autorités civiles, chargée des tâches les plus hétéroclites, tenue pour responsable de toutes les fautes et de tous les échecs. Il eût fallu aussi ne pas ignorer le prodigieux désintéressement de tout un peuple, l’arracher à cette indifférence, à ce mépris tranquille plus grave que la colère. Aujourd’hui, dans l'immédiat, quelque réserve que l’on puisse faire pour le présent, et plus encore pour l’avenir, le général de Gaulle apparaît comme le moindre mal, la moins mauvaise chance. La IVe République meurt beaucoup moins des coups qui lui sont portés que de son inaptitude à vivre.

Le texte ci-dessus a-t-il été écrit au moment de la signature des accords de Yalta ou à une date postérieure ? Cherchez dans le texte des indications à l’appui de votre réponse.

Ce texte a été écrit après la signature des accords de Yalta. Le temps employé (passé simple), ainsi que l’allusion aux «documents américains», en sont la preuve, car on ne peut connaître des documents concernant un événement qu’après que ce dernier eut lieu. On peut même voir qu’il a été écrit après la Guerre froide*, comme l’indique le début du troisième paragraphe : « Yalta a été... ». De plus, l’auteur du texte, qui émet un jugement pondéré sur ces événements, a consulté les archives américaines, qui ne sont pas immédiatement accessibles au public, et les Mémoires de Winston Churchill, publiés de 1948 à 1954.

Point méthode

La date de composition des documents est très importante pour apprécier leur valeur en tant que source historique. S’ils sont contemporains des événements, ils sont souvent dotés d’une certaine chaleur, mais la réflexion d’ensemble, qui exige un certain recul, est souvent absente de ces documents, qui constituent les sources de première main. Une certaine distance par rapport aux événements facilite le travail d’analyse mené par les historiens. Elle peut être souvent devinée grâce à une lecture de leurs travaux, qui appartiennent à l’ensemble des sources de seconde main.

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