xénisme
xénisme, introduction de mots étrangers (latins ou grecs, mais aussi anglais ou allemands) dans le langage philosophique. — Quand le mot, ou l'expression, étranger est d'une part plus court, d'autre part intraduisible, le xénisme est légitime; il est inutile lorsque l'équivalent français existe. On retiendra, en logique, les expressions a priori et a posteriori, qui désignent respectivement une idée qui, antérieure à toute expérience, a son origine dans la seule raison, ou, au contraire, est acquise à partir des données de l'expérience. La locution ab absurdo (un raisonnement ab absurdo, etc.) nous fournit inversement l'exemple du mot étranger sans intérêt, puisqu'on dit aussi brièvement et aussi bien, en français, par l'absurde. La psychologie fait souvent appel à l'anglais, ce qui peut s'expliquer par l'intérêt que lui ont témoigné de tout temps les Anglo-Saxons, attentifs aux faits observés plus qu'aux idées abstraites : c'est ainsi que le mot behavior, que l'on traduit par « comportement », désigne en fait la réaction globale de l'organisme à un excitant et ne possède pas d'équivalent exact. Le mot test, également, est passé dans le langage courant : littéralement « épreuve », ou, plus exactement, série de petits examens très simplifiés, faisant intervenir l'une après l'autre toutes les composantes de l'intelligence, pour contrôler l'aptitude à un travail précis. Soulignons que la psychologie ne fait appel, en revanche, que très rarement au latin; encore est-ce à travers l'anglais, comme dans le mot stimulus, emprunté à l'école psychométrique anglaise et qui caractérise l'excitation due à un agent extérieur. La morale et l'économie sociale empruntent aussi à l'anglais : ainsi holding et, plus encore, trust, qui est passé dans le langage de l'homme de la rue; ou la notion de plus-value, mot anglais qui désigne la différence de valeur entre les biens produits et le salaire reçu. La sociologie rapporte de ses prospections chez les peuples primitifs des termes typiques, dont la signification exacte met en cause tout un contexte culturel et social qui nous est totalement étranger, et qui ne saurait donc, dans notre mentalité, trouver un équivalent exact. Tels les termes totem, mot du langage algonquin (Amérique du Nord) : image sculptée d'un animal imaginaire qui est tenu pour l'ancêtre commun de chaque membre du clan, ou encore tabou, mot polynésien : interdit visant un objet ou une personne qu'on ne saurait impunément toucher ni même simplement nommer par son nom, ou la notion de mana, également empruntée au polynésien, qui est la force mystérieuse et immanente que l'on croit être le moteur caché de tout ce qui vit. La psychanalyse emprunte ses formules types aux auteurs de l'Antiquité latine, et, plus encore, grecque. Parmi les premières, se signale surtout la libido (littéralement : le « plaisir »), considérée comme l'instinct de vie qui nous pousse à agir à la recherche du plaisir et, au sens le plus large, du bonheur. Parmi les secondes, l'acmé, littéralement : « pointe », qui désigne le point culminant d'un phénomène et, en particulier, d'une émotion ; la psyché (ou psychê), expression qui englobe, selon Jung, « tous les phénomènes psychiques conscients et inconscients » ; l'éros (ou érôs), ensemble des désirs de l'homme (« éros » inférieur et « éros » supérieur); la catharsis (ou catharsis), terme, également employé en esthétique, par lequel l'école freudienne désigne une méthode particulière d'élimination des troubles mentaux par la remémoration de l'idée ou du choc affectif qui ont fait naître ces troubles. La métaphysique, qui, jusqu'au Discours de la méthode, était rédigée uniquement en latin, en conserve encore la trace de nos jours dans certaines expressions comme l'ego, aspect transcendantal du « moi » empirique et que la phénoménologie distingue de ce dernier; ou dans certaines formules comme le cogito, version abrégée du « Je pense, donc je suis » cartésien (Cogito, ergo sum). Mais le vocabulaire philosophique s'est annexé, depuis le début du siècle, un fort contingent de mots allemands, ce qui permet de mesurer le rôle décisif qu'ont joué les peuples nordiques dans l'enrichissement de la philosophie classique : ainsi la notion de Dasein (littéralement : « être là »), qui exprime dans la philosophie existentielle le simple fait d'exister « concrètement ». La notion de Welt-anschauung (pron. velt-ann-chaôoung) n'est rendue que très incomplètement par sa traduction française : « intuition du monde » ; c'est, selon Wilhelm Dilthey, la synthèse originale des représentations du monde spirituel, telle qu'elle se constitue peu à peu dans l'œuvre globale d'un auteur, ou d'un groupe culturel à une époque donnée. Tels sont encore : l'Einfühlung, qui désigne, par exemple, le fait de se sentir grand lorsqu'on franchit le portail d'une église gothique, et que l'on traduit par « intropathie » ; la Gestalt, que l'on traduit par « forme » ou « structure » (Gestalftheorie : « théorie de la forme »); la Sehnsucht, ou nostalgie romantique; le Gemüt, qui désigne à la fois l'intelligence et le cœur, etc. En conclusion, la langue philosophique n'accueille les expressions et les mots étrangers que par nécessité et sous la condition qu'ils recouvrent une notion que le français ne saurait rendre; sinon le xénisme relève de la pédanterie et non plus de la science.