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VOLTAIRE [François Marie Arouet] 1694-1778

VOLTAIRE [François Marie Arouet] 1694-1778
1. Position du débat. - Les trois aspects successifs, 2. Optimiste combattant. 3. Pessimiste rallié. 4. Pessimiste combattant. -5. Voltaire aujourd'hui. Poète, auteur dramatique, conteur et pamphlétaire, né à Paris.
Position du débat
D'abord pamphlétaire, sans aucun doute (ou, comme on disait alors: « philosophe ») ; et cette activité militante a longtemps brouillé l'image de l'écrivain vis-à-vis de la postérité. On n'a retenu que le tic, le rictus spasmodique du dénigreur : « Hideusement gai », s'écrie Chateaubriand dans Le Génie du christianisme (et, en écho, Musset dans Rolla: « Dors-tu content, Voltaire? et ton hideux sourire... », etc.). Tandis qu'à l'opposé, notre siècle, un peu revenu du bienfaisant progrès des Lumières, reproche au philosophe son excès d'admiration pour l'Homme, si ce n'est la sottise de ses illusions. Ces deux griefs contradictoires illustrent du moins la confusion qui règne, à tous coups, dès que l'on aborde l'étude de notre champion national de la clarté. Trop « dénigrant » ? ou bien, au contraire trop « chimérique » ? Le schéma ci-après s'efforcera de répondre à ce problème.
Voltaire fut, au début de sa vie, l'hôte amoureux de la vertueuse Hollande puis de la démocratique Angleterre, et, par conséquent, un« libéral » enthousiaste. Confiant, sur tous les plans ; confiant surtout en la victoire de l'humanité. (C'est lui qui diffusa cette notion, et c'était là son grand motif d'orgueil :Je suis un des premiers qui ait employé fréquemment ce vilain mot d'humanité, proclame-t-il dans la Lettre à Palissot.) Or cette attitude d'espoir, il ne la retrouvera que durant la toute dernière partie de sa carrière d'écrivain. Mais entre-temps, c'est-à-dire de 1734, date de la condamnation des Lettres philosophiques, jusqu'en 1753, date de son départ précipité de Prusse, il abandonnera presque entièrement la lutte : évasion à Cirey dans « le luxe, la science et l'amour», flatteries à l'Académie française et triomphale élection, cour de Louis XV puis de Frédéric. C'est-à-dire: appel, en apparence, aux « divertissements» et aux honneurs; en fait, arrivée progressive d'un découragement, d'un pessimisme qui confine bientôt au désespoir. Et il n'en sortira que très lentement. De plus l'homme qui, alors, reprend la lutte, est bien différent du fougueux « embastillé» de 1725 : lucide désormais, sa vision du monde, volontiers cruelle, tend à délaisser néanmoins la représentation du présent, ou même d'un futur immédiat pour une perspective de plus en plus lointaine (« C'est, dit René Pomeau, pour l'apôtre de Ferney l'époque de la grande espérance »). Reprenons maintenant la question posée au début dans ses termes traditionnels: Voltaire est-il un homme « négatif »? ou « positif»? Ni l'un, ni l'autre; car cette antithèse ne saurait rendre compte d'un personnage aussi complexe, dont les modalités principales (et successives) peuvent être, du moins, ci-après résumées : a) optimisme combattant 11694-1734) ; b) pessimisme rallié 11734-1753); c) pessimisme combattant (1753-1778). Nous allons reprendre maintenant dans le détail ces trois étapes de sa pensée. Optimiste combattant
Au sortir du collège de jésuites de Louis-le-Grand, il est introduit dans les milieux « libertins » par l'abbé de Châteauneuf, qu'il suit en Hollande (1713); puis il commence La Henriade. Des pièces de vers contre le régent lui valent un premier exil, à Sully-sur-Loire (1716). Il est même embastillé, en 1717. Sa première œuvre, la tragédie d'Œdipe, est représentée triomphalement (1718). En 1725, insulté par le chevalier de Rohan-Chabot (qui lui fait donner par ses laquais une bastonnade en public), Voltaire demande une « réparation par les armes», chose impossible d’ailleurs pour un roturier; il est embastillé de nouveau. On l’encourage très fort à l’exil. Cette série d’humiliations va pousser un esprit naturellement frondeur vers la lutte « philosophique». D’Angleterre, pays qui ignore les lettres de cachet (et que Montesquieu visitera seulement quatre ans plus tard), il rapporte, sans encore les publier, les vingt-quatre Lettres philosophiques, dites aussi Lettres anglaises (auxquelles il joint, à titre de« vingt-cinquième lettre », les Remarques sur les « Pensées » de Pascal, furieuse attaque contre le pessimisme religieux : Pour moi, quand je regarde Paris ou Londres, je ne vois aucune raison pour entrer dans ce désespoir dont parle M. Pascal). Ivre d’audace, il donne au public, en 1728, la version définitive de son épopée nationale, La Henriade (qui est un succès). Nul ne s’y trompe au demeurant: poème moins vraiment épique que satirique, ou, si l’on veut, philosophique. C’est l'éloge d’un roi humain envers son peuple, et soucieux de paix. (L'œuvre avait paru d'abord clandestinement sous le titre de La Ligue, à Rouen dès 1723, par les soins de son ami Thiériot.) Puis ce sont de nouvelles tragédies dont Zaïre, 1732, qui est un triomphe; il se décide alors à publier, d'ailleurs anonymement, les Lettres philosophiques (1734), aussitôt condamnées par le Parlement qui ordonne de brûler le livre et d'en rechercher l’auteur. Le succès n'en est pas moins vif: cinq éditions dans l'année. Mais Voltaire, inquiet non sans raison, court se réfugier tout près de la frontière lorraine, au château de Cirey, chez son amie et maîtresse Mme du Châtelet (surnommée par lui « Émilie »).

Pessimiste rallié

Échaudé, il va alors, dix années durant, faire retraite à Cirey et se livrer aux plaisirs de la science. Il donne d'abord la Dissertation sur la nature du feu (1737), et surtout un poème d'esprit épicurien, Le Mondain, commencé en 1737 (J'aime le luxe et même la mollesse / [ ...] Ah ! le bon temps que ce siècle de fer). Philosophie douillette plus que vengeresse, à vrai dire, et qui néanmoins alarme un instant les pouvoirs publics. Le poète a compris: de ce jour, il va être sage. Au surplus, en 1744, d'Argenson, son ancien condisciple, est nommé ministre et Voltaire peut...