Databac

VILLIERS DE L’ISLE ADAM

VILLIERS DE L’ISLE ADAM 1838-1889 Philippe-Auguste Mathias, descendant d’une très vieille famille française, a vu le jour à Saint-Brieuc. Ses premières poésies, il a vingt-et-un ans, sont dédiées à Alfred de Vigny et ne laissent rien présager de son génie. A dire vrai, c’est surtout pour son théâtre, ses drames (Le Prétendant et Axe) écrits dans une langue admirable et très poétique qu’il figure ici, même si c’est à ses contes (Contes cruels, Histoires insolites, Nouveaux Contes cruels) que son nom doit la gloire, posthume. Villiers, en effet, après une vie d’échecs et de difficultés matérielles est mort prématurément, usé par les privations et le manque de soins.


VILLIERS DE L'ISLE-ADAM Auguste
1 838-1 889
Conteur, romancier et poète dramatique, né à Saint-Brieuc. Très jeune, il écrit des vers, des drames sombres ou féeriques ; et sa famille (de très vieille et authentique noblesse, mais ruinée par la Révolution) l’encourage. Elle va même jusqu’à tout vendre, biens meubles et immeubles, pour lui permettre d’aller tenter la gloire à Paris. Dès l’âge de vingt et un ans, il a publié un premier volume de Poésies. Suivent trois œuvres aux titres déjà très caractéristiques de sa mythologie personnelle : Isis, roman philosophique (1862), puis Ellen (1865) et Morgane (1866), deux drames dont le second n’est tiré qu’à vingt-cinq exemplaires (une version plus tardive, intitulée Le Prétendant, a été rééditée récemment chez José Corti ; voir la bibliographie ci-après). Mais aucune de ses œuvres n’a encore trouvé le moindre écho lorsqu’il s’avise de délaisser les grands genres pour les œuvres brèves : nouvelles et, surtout, contes. Il fonde une revue (1867) pour les héberger. Quinze ans plus tard il va commencer à les réunir en volumes : Contes cruels (1883, son meilleur livre), Nouveaux Contes cruels, Histoires insolites, etc. À la veille de sa mort, il donne au public Tribulat Bonhomet (1889) ; c’est en fait une série de contes qui tournent tous autour du même personnage, l’anti-héros de notre temps : un physiologiste, dit-il, c’est-à-dire un homme « positif » selon le cœur de ses contemporains. En fait l’idée de la Science, en ce siècle du scientisme triomphant, l’a hanté toute sa vie : tour à tour repoussante, quand il l’envisage dans sa réalité contemporaine ; puis fascinante, au contraire, dès lors qu’il lui confie son rêve d’un monde de l’Absolu, soumis à des forces incompréhensibles, mais « illimitées ». D’où le caractère paradoxal d’un roman comme L’Ève future, un de ses derniers livres (1886) : la belle « andréïde » Hadaly, en tant que créature artificielle inspire à Villiers, toujours à la recherche de l’âme, une immédiate répulsion ; mais du même coup cette créature affranchie des misères humaines lui apparaît comme l’au-delà de la nature auquel il ne cesse d’aspirer. Villiers serait-il adepte, avant la lettre, d’une littérature de science-fiction? Oui, dans la mesure où concevoir la science comme une « fiction » est pour lui, au fond, un exorcisme contre la science, qu’il trouve en elle-même révoltante et inquiétante. C’est ce que révèle par exemple un de ses Contes cruels : L’Appareil pour l’analyse chimique du dernier soupir. Le « mieux relatif », que nous assure le progrès, donne des nausées à Villiers ; aussi bien, à la limite, lui préfère-t-il cet absolu à rebours qu’est la solitude, ou la misère, ou l’obscurité, ces trois compagnes de toute sa vie ; ou encore le total renoncement, qu’il chante dans Axel, chef-d’œuvre posthume. Axel, le héros de ce drame, et sa bien-aimée Sara font allègrement le sacrifice de tout ce que Villiers n’a pas eu : gloire, fortune, amour. La gloire? il en donna la recette à chacun de ses futurs confrères (dans le conte Deux augures) : Sois médiocre. L’argent? (le « métal sacré » comme il l’appelle dans les Demoiselles de Bienfilâtre) Villiers s’amuse à l’insérer par dérision dans les dialogues les plus nobles ou les plus tendres, dans les situations et les décors les plus romantiques (ainsi le duo d’amour de Virginie et Paul, agrémenté du chant d’un rossignol au clair de lune, et qui amène sans cesse au refrain cette péroraison extasiée : un peu d’argent). Reste, précisément, l’amour; et cette fois, Villiers laisse tomber les armes. Car l’amour, au contraire de la gloire et de la fortune, est tout « idée », et n’attend rien de ces contingences que Villiers a en horreur. L’amour est à la portée de l’idée, comme le comte d’Athal, dans Véra, le prouve par son exemple en «forgeant la vie » de sa femme morte (Ah ! les Idées sont des êtres vivants ! Le comte avait creusé dans l’air la forme de son amour, et il fallait bien que ce vide fût comblé par le seul être qui lui fût homogène, autrement l’Univers aurait croulé). Il faut lire Véra, ce bref chef-d’œuvre, qui au surplus fait intervenir les principaux thèmes d’inspiration de l’auteur. En particulier, celui de la mort considérée comme le seul point par quoi l’homme puisse « avoir prise » sur le temps : aussi longtemps que le comte d’Athal le veut, sa pendule n’a pas besoin d’être remontée, ses fleurs ne se fanent pas ; et Véra ne consentirait jamais à mourir vraiment s’il ne se laissait aller, par excès de bonheur, un jour, à détendre sa toute-puissante volonté. Le style de Villiers de L’Isle-Adam, naturellement large, riche et même orné, recèle toujours, même dans les passages les plus émus et les scènes les plus sombres, un peu de malice, et de malice au pire sens du mot (Huysmans s’étonnait dans A rebours de la persistance, chez Villiers, de ce « coin de plaisanterie »). Qui pis est : lorsque le ton semble progressivement s’amplifier, c’est alors que l’auteur sans crier gare vous entraîne un peu plus fort du côté de la « blague à froid », qui est chez lui l’accompagnement habituel de la rage sourde. Cette ambiguïté gêna fort la critique de son temps qui, pour finir, préféra ne plus s’y risquer. Mais il trouvera des amis sûrs en Mallarmé, Huysmans, et Verlaine surtout, qui cinq années avant la mort de son ami tant admiré, lui fera une place dans le livre des Poètes maudits.