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VIGNY Alfred de

VIGNY Alfred de 1797-1863 Il naquit à Loches, en Touraine, dans un milieu aristocratique et ruiné et conçut, du temps qu'il préparait, au lycée Bonaparte à Paris, le concours d'entrée à Polytechnique — il fut recalé — un amour désordonné de la gloire des armes. Las, le jeune officier engagé dans les mousquetaires du roi s'ennuie à la vie sans gloire des casernes. En 1827, il démissionne pour tenter la fortune dans les lettres. Son premier poème (Le Bal, 1820) avait été suivi par un premier recueil (1822), bien reçu dans les salons parisiens. Succès qu'il avait répété avec les Poèmes antiques et modernes (1826). En 1826, il a fait un mariage de convenance avec une riche anglaise. A partir de 1831, le pessimisme succède chez lui au doute. Déçu en politique: monarchiste convaincu, il est déçu par les erreurs de Charles X puis par les compromissions de Louis-Philippe avec la bourgeoisie d’argent. Déçu en amour: d’une liaison avec Marie Dorval, la comédienne pour qui il a écrit Chatterton, il sort meurtri et désabusé. Déçu par la vie militaire, on l’a vu, c’est le thème de son roman Servitude et grandeur militaires. A partir de 1838, il s’enferme de plus en plus dans «sa tour d’ivoire» (le mot est de Sainte-Beuve) et dans son manoir charentais de Maine-Giraud. Là, il se met en quête d’un idéal spirituel élevé, qu’il poursuit avec d’autant plus d’acharnement que le siècle lui convient décidément très mal: il doit se présenter cinq fois à l’Académie Française avant d’être élu, il est battu aux élections et ne parvient jamais à obtenir, alors que les gouvernements se succèdent, le poste de diplomate auquel il postule. De cette période de solitude datent les poèmes du recueil posthume des Destinées (1864). Plus que tous les autres romantiques de sa génération, Alfred de Vigny s’est adressé à la postérité. Sa pudeur tout aristocratique lui a fait éviter les excès effusifs; ainsi a-t-il mieux passé à travers la vague de désaffection qui, par réaction, a accompagné la gloire des Parnassiens. Aujourd’hui, il nous reste de lui les quelques beaux vers des Destinées, au pessimisme glacé, lequel peut aussi, et c’est le revers de la médaille, laisser parfaitement de glace.
VIGNY Alfred Victor, comte de. Né à Loches (Indre-et-Loire) le 27 mars 1797, mort à Paris le. 17 septembre 1863. Il était très fier de la noblesse de sa famille dont les membres n’avaient cessé de s’illustrer dans les armées françaises. Son père avait participé à la guerre de Sept Ans. Plié en deux par d’anciennes blessures, devenu infirme, il avait une soixantaine d’années lors de la naissance d’Alfred Victor, tandis que sa femme, fille d’un officier de marine et descendante d’un condottiere piémontais, avait quelque trente ans de moins que lui : dans ce ménagé assez mal assorti c’était elle qui détenait toute l’autorité. Les trois premiers enfants des Vigny étant morts en bas âge et les médecins tenant le « mauvais air » pour responsable, les deux époux, ne songeant qu’à sauver leur dernier-né, vinrent s'établir à Paris en 1799. Alfred de Vigny fut douloureusement marqué, dès sa première enfance et pour toute sa vie, par la pesante tristesse qui régnait dans la maison familiale : les Vigny, qui avaient échappé à grand-peine à la Terreur, avaient été ruinés par la Révolution. Ils vivaient farouchement dans le passé et portaient le deuil solennel de la monarchie. Ce sentiment ne fît que s’accroître lorsque, en avril 1805, ses parents le placèrent à la pension Hix, dont les élèves suivaient les cours du lycée Bonaparte. Comme il remportait tous les prix, qu’il était frêle de constitution physique et hypersensible, qu’il était noble enfin, il devint le souffre-douleur de ses camarades. « Le temps le plus malheureux de ma vie fut celui du collège », devait-il écrire plus tard. Ce fut aussi cependant le temps de grands rêves. L’adolescent ne pouvait s’empêcher d’admirer et d’envier ses aînés de quelques années à peine qui, d’un bout à l’autre de l’Europe, étaient alors en train de se couvrir de gloire à la suite du « tyran ». Il lui sembla bientôt que la guerre était « l’état naturel » de la France. Il attendait donc fort impatiemment l’heure de faire ses preuves militaires, tout en préparant l’Ecole Polytechnique, lorsque l’Empire s’écroula. Mais le retour des Bourbons ne pouvait que confirmer le jeune royaliste Vigny dans sa vocation militaire. Il obtint le 6 juillet 1814 son admission dans le corps des mousquetaires rouges. Il avait dix-sept ans. Mais la première mission du mousquetaire ne fut guère glorieuse : il s’agissait en effet, en mars 1815, d’escorter jusqu’à Béthune Louis XVIII en fuite devant Napoléon débarqué de l'île d’Elbe... Lors de la seconde Restauration, la compagnie des mousquetaires rouges, jugée trop « ultra », ayant été supprimée, Vigny passa, le 4 avril 1816, dans le 5e régiment d’infanterie de la Garde royale, avec le grade de sous-lieutenant, et il se remit, selon ses propres termes, « à attendre ces guerres que j’avais rêvées dans mon enfance et qui semblaient refusées à ma génération ». La politique pacifique de Louis XVIII n’offrait à l’impétueux et ambitieux officier que la monotonie de la vie de garnison et les grises perspectives de l’avancement à l’ancienneté. Vigny comprit qu’il avait pris l’épée au moment où elle devenait inutile, et c’est cette amertume qu’on retrouvera dans les nouvelles de Servitude et grandeur militaires (1835). Était-il vraiment la victime d’une destinée manquée ? Se demandant s’il n’avait pas porte « dans une vie toute active une nature toute contemplative », il remit en question sa vocation. Il se retourna vers les livres, vers la Bible d’abord. Cependant, dans la bibliothèque bien garnie de son père, il avait aussi, depuis longtemps, découvert les philosophes du XVIIIe siecle et, autant que ses déceptions d’adolescence, ces lectures lui avaient fait perdre la foi chrétienne; enfin il avait lu les poètes, les petits maîtres de l’époque précédente, un Millevoye et un Delille, mais également André Chénier, Homère et Chateaubriand, qui lui révéla les ressources du merveilleux biblique et l’amena à la lecture de Milton. Dès les années 1816-17, dans ses garnisons de Paris et des places de la banlieue, Vigny composa ses premiers poèmes ainsi que deux tragédies qu’il devait brûler par la suite. Puis son ancien condisciple du lycée Bonaparte Émile Deschamps le présenta au rédacteur en chef du Conservateur littéraire, un jeune homme âgé de dix-huit ans à peine : Victor Hugo. C'est celui-ci qui, en décembre 1820, publia dans sa revue le premier article de Vigny, consacré aux œuvres de Byron. Deux ans plus tard paraissait (anonymement) le premier recueil des Poèmes (mars 1822) qui devinrent en 1826 les Poèmes antiques et modernes et furent encore augmentés dans les éditions de 1826, 1829 et 1837. Quant au volume de 1822, il passa à peu près inaperçu. Entre-temps, la carrière militaire se poursuivait avec une morne régularité. Passé, à l’ancienneté, au grade de lieutenant en juillet 1822, Vigny fut nommé en mars 1823 capitaine au 55e de ligne à Strasbourg. La guerre d’Espagne éclatant peu après raviva un instant ses espoirs de gloire militaire; et sans doute son régiment se mit-il en marche vers le sud, mais un ordre supérieur l’arrêta avant même d’avoir franchi les Pyrénées et Vigny dut se contenter d’aller stationner pendant quelques mois en sentinelle dans de paisibles petites villes de la région béarnaise. Il resta en garnison à Pau pendant l’hiver 1824-25 et c’est là (bien qu'encore ému par une passion récente pour Delphine Gay, la future Mme de Girardin, qu'il dut renoncer à épouser devant l’opposition résolue de sa mère) qu’il fit la connaissance de Miss Lydia Bunburry, une Anglaise fort peu sympathique, semble-t-il, avec laquelle il contracta cependant en février 1825 un mariage de raison et d'intérêt. Mais les espoirs de Vigny, en cette occasion comme en tant d’autres, furent bien déçus : son beau-père, ancien gouverneur de la Jamaïque, millionnaire, mais fantaisiste, feignit toujours d’ignorer jusqu’au nom de son gendre, et déshérita sa fille dont la dot consista donc essentiellement en une île de la Polynésie, « toute pleine d’anthropophages », nous dit le poète qui dut s’engager dans de longs et coûteux procès pour parvenir à récupérer une partie de la fortune de sa femme. Celle-ci était entichée de préjugés nationaux et aristocratiques : elle refrisait avec affectation d’apprendre à parler correctement le français et ne cachait pas son mépris pour les relations littéraires de son mari. Vigny, depuis la publication de ses premières poésies, fréquentait en effet assidûment les salons littéraires, en particulier celui de Nodier, à l’Arsenal. Il était devenu l’ami de Hugo, de Delacroix, de Sainte-Beuve. Il collaborait à La Muse française , revue qui prit une part décisive dans la naissance du romantisme. Mais son mariage commença à l’isoler de ses camarades, qui ne lui pardonnaient guère de vouloir être à la fois homme de lettres et homme du monde. On affectait donc de le prendre pour un amateur. Toutefois, en dépit des envies, Alfred de Vigny allait remporter en 1826 un éclatant succès littéraire avec Cinq-Mars, le premier roman historique qui se soit impose au public français. Peu après le poète décida de quitter définitivement l’armée; ses supérieurs lui avaient d’ailleurs fait comprendre qu’il ne pouvait continuer à demander d’aussi fréquents congés; sa mise à la réforme, pour « pneumonie chronique et hémoptysie assez fréquente », fut prononcée le 22 avril 1827. Pouvant se consacrer désormais entièrement à sa carrière littéraire, Vigny fut attiré par la gloire théâtrale; ce furent d’abord des traductions en vers de Shakespeare, assez fades, mais d’une exactitude remarquable. La première, celle de Roméo et Juliette, fut refusée à la Comédie-Française en 1827, mais, deux ans plus tard, Le More de Venise était joué sur la scène du même théâtre. Se tournant alors vers ces premières années du XVIIe siècle qu’il avait déjà essayé de faire revivre dans Cinq-Mars, Vigny composa un drame en prose, La Maréchale d’Ancre , donné à l'Odéon le 25 juin 1831. Lors de la première, Mlle Georges tenait le rôle principal, mais, pour une reprise de la pièce au Théâtre Saint-Martin, l’héroïne fut interprétée par Marie Dorval : ce fut le début d’une des plus fameuses et des plus douloureuses passions romantiques, dans laquelle on vit le sceptique et si amer Vigny nourrir de curieuses illusions sur le compte d’une comédienne finalement assez coquette et vaine. Son mariage, il est vrai, n’avait pas été la moins douloureuse de ses déceptions : aussitôt après leur voyage de noces, sa « pauvre Lydia » avait été frappée d’une maladie nerveuse qui déroutait les médecins. Pendant plus de trente ans, Mme de Vigny allait passer la plus grande partie de son existence au lit, harcelée par des maux intermittents mais de toutes sortes, et la vie de Vigny s’écoula désormais entre le chevet de cette épouse devenue obèse et difforme, incapable de lui donner des enfants, et celui de sa vieille mère, paralysée mais toujours autoritaire ; lui-même enfin était d’une nature maladive dans sa jeunesse il avait eu des crachements de sang et, assez tôt, il commença à souffrir de terribles migraines, d’insomnies, de crises d’estomac, annonciatrices du cancer dont il devait mourir. Il prit Marie Dorval pour un ange sauveur; mais celle dont George Sand disait qu’elle « était le résumé de l’inquiétude féminine arrivée à sa plus haute puissance », après avoir tourmenté le poète par ses ambitions théâtrales, ses crises de jalousie, ses accès de mysticisme, ses infidélités surtout, finit par le ridiculiser publiquement. Au moins lui doit-on le proverbe intitulé Quitte pour la peur, que Vigny écrivit pour elle en 1833. C’est également Marie Dorval qui interpréta le rôle de Kitty Bell dans Chatterton, le chef-d’œuvre de Vigny au théâtre, dont la première représentation, le 12 février 1835, fut triomphale. Ce n’est qu’en 1838 que le poète eut le courage de se séparer définitivement de la comédienne. Rupture difficile et qui laissa à l’amant, malgré d’autres liaisons passagères, une profonde blessure, comme suffisent à le prouver la terrible amertume exprimée dans La Colère de Samson, mais surtout le silence complet où Vigny, âgé de quarante ans seulement, en pleine maturité, s enferma de 1835, date de la publication de Servitude et grandeur militaires, à 1843. Puis, jusqu’à sa mort, il publia seulement quelques poèmes isolés, espacés de plusieurs mois et souvent de plusieurs années. Aussi bien les deux tentatives qu’il fit encore pour se mêler au monde ne lui apportèrent que des humiliations : l’Académie Française, après l’avoir fait attendre pendant plusieurs années, l’admit enfin le 8 mai 1845. Mais le 25 janvier de l’année suivante, jour de la réception, Vigny, après avoir fatigué l’assistance par un discours trop long, maladroit et qui pouvait paraître prétentieux, dut subir sous les risées du public les impertinences que le comte de Molé s’était amusé à glisser dans sa réponse. Déboire analogue en politique : Vigny, qui avait vainement offert son épée à Charles X lors de l’émeute de juillet 1830, puis s’était intéressé au christianisme démocratique de Lamennais et au saint-simonisme, se présenta en 1849 devant les électeurs charentais qui restèrent insensibles à ses professions de foi d’un idéalisme pourtant majestueux. Le poète fut d’ailleurs beaucoup moins sensible à son échec politique qu’il ne l’avait été à l’accueil ironique de l’Académie. C’est à partir de cette époque qu’il cessa presque complètement de résider à Paris; dans son domaine du Maine-Giraud, près de Blanzac, en Angoumois, il continua a tenir auprès de son épouse son rôle de prévenant garde-malade, se privant pour elle de toute distraction, de tout voyage de pur agrément. Enfermé dans sa « tour d’ivoire », tenant à « l’honneur de souffrir en silence », il écrivit alors quelques-uns de ses plus beaux poèmes, La Bouteille à la mer (1853), Le Mont des oliviers (1862), Les Oracles (1862), enfin son dernier, L’Esprit pur (10 mars 1863); certains avaient paru dans La Revue des Deux Mondes; ils furent réunis dans le volume posthume des Destinées (1864). Tous expriment un profond nihilisme, dans lequel on pourrait voir le reflet de la vie du poète dans son œuvre. Mais n’était-ce point déjà la philosophie des Poèmes antiques et modernes, parus quarante ans plus tôt, et qui peut être résumée par une formule du Journal d'un poète : « La vérité sur la vie, c’est le désespoir. Il est bon et salutaire de n’avoir aucune espérance. » Pensée qui paraîtrait assez sommaire si on la réduisait en système mais que Vigny a vécu avec une singulière intensité, et qu’il n’a cessé d’affronter lucidement. A ce défi, que lui posaient les conclusions invinciblement amères de son intelligence, il répondit d’abord par une résignation méprisante et héroïque et en mettant une application rigoureuse à jouer son personnage social en dépit de l’absurdité de la vie, puis par la conscience quasi sacerdotale de sa mission de poète; il en vint même à envisager une fraternité humaine fondée sur la primauté de l’esprit, rêve esquissé dès 1832 dans Stello. Les consultations du Docteur-Noir, puis repris et précisé plus tard dans des poèmes tels que La Bouteille à la mer, et surtout L'Esprit pur. Vigny n’était pas seulement trop pessimiste — ou trop lucide — pour plaire immédiatement à la foule, il avait aussi trop de dignité. Au contraire des autres romantiques, il a toujours refusé de se donner en spectacle dans son œuvre. Le Journal d'un poète, auquel on a joint quelques fragments de mémoires, n’est en fait qu’un carnet de pensées, de jugements et de projets littéraires, nullement une confession intime; il n’a d’ailleurs été publié qu’après la mort de Vigny, en 1867. En 1912 eut lieu une autre importante publication posthume, celle de Daphné, roman faisant suite à Stello et constituant le deuxième entretien du Docteur-Noir.


Alfred de Vigny naît à Loches le 22 mars 1797, dans une famille noble dont les origines remontent à la Renaissance. Alfred, quatrième fils, est le seul survivant : aucun de ses aînés n'a dépassé l'âge de 3 ans. Sa mère, d'origine piémontaise, aime la peinture, la musique, la littérature et éduque son fils selon les principes de Jean-Jacques Rousseau, lui faisant notamment prendre des bains d'eau froide pour « l'endurcir », habitude qu'il gardera toute sa vie. Placé en pension à l'âge de 10 ans, il s'y ennuie tant et devient si renfermé que ses parents l'en retirent et lui offrent un abbé-précepteur. Alfred de Vigny passera son adolescence non pas avec des enfants de son âge, mais parmi des « hommes faits, des vieillards illustres ». À 17 ans, rêvant de gloire militaire (nous sommes sous l'Empire), il envisage de se présenter à Polytechnique, mais la première Restauration lui permet d'obtenir grâce aux relations de sa famille, qui a toujours refusé Napoléon « l'Usurpateur », dans la Maison militaire du roi Louis XVIII une nomination de sous-lieutenant dans l'escadron des Gendarmes rouges, un corps d'élite et de luxe dont sont jaloux les autres corps d'armée. L'épopée militaire dont il rêvait devient banale vie de garnison, à Versailles. Lors de la seconde Restauration, la Garde rouge est dissoute. Vigny se retrouve dans un régiment d'infanterie, toujours sous-lieutenant. Pour tromper son désœuvrement, il lit, notamment Chénier et Chateaubriand, compose des poèmes, se lie d'amitié avec Victor Hugo. Sa mère, devenue veuve, gère sa vie sentimentale et lui fait épouser, en 1825, la riche héritière d'une famille anglaise qui a fait sa fortune en Guyane anglaise (mais le fantasque et richissime beau-père, ancien gouverneur de la Jamaïque, déshérite le couple). La mariée refusant de parler le français, Alfred se lance dans l'apprentissage de l'anglais et en profite pour traduire et faire jouer Shakespeare (Roméo et Juliette, Othello...). Capitaine (à l'ancienneté), il prend des congés de plus en plus longs (et se fera définitivement réformer pour raison de santé en 1827) pour participer activement à la vie littéraire. Témoin de Victor Hugo à son mariage, ami de Gautier, de Dumas et de Delacroix, du « vieux » Lamartine et du «jeune » Musset, il compose Éloa (1824), un poème applaudi par l'école romantique, puis publie le premier roman historique français, Cinq-Mars (1826), qui inspirera Dumas, Hugo et Mérimée; puis les Poèmes antiques et modernes (1826) où l'on trouve Le Cor, Moïse, Stello (1832)... Son drame Chatterton fait en 1835 un triomphe. Le rôle féminin y est tenu par l'actrice Marie Dorval/égérie du mouvement romantique, avec laquelle il entretient une liaison tumultueuse de six ans. Cette même année, il fait paraître Servitude et Grandeur militaires, un recueil de nouvelles. Il est au faîte de la gloire littéraire mais fuit, de plus en plus tourmenté et solitaire, les réunions mondaines. Après plusieurs échecs, il est reçu en 1845 à l'Académie française. Mais sa vie est amère, malgré des liaisons amoureuses avec Louise Collet, nouvelle égérie des cénacles littéraires, et d'autres jeunes femmes : sa mère, qui n'a cessé de veiller sur sa vie, est morte en 1837, son épouse est impotente d'obésité et devient aveugle, et il échoue aux élections législatives de 1849. Il s'est installé en province, dans le Maine, à l'écart du monde, comme pour mieux cultiver sa misanthropie. En 1852, en se ralliant à Napoléon III, il se brouille avec ses anciens amis parmi lesquels Hugo, qui a préféré l'exil. Sa « sainte solitude » grandit ; son seul confident est son Journal. En 1862, il perd sa femme, avec laquelle il ne s'est guère entendu mais dont il a toujours cherché à soulager les souffrances, tout au long de leur vie conjugale, et commence à souffrir d'un cancer du foie ; il reste stoïque, gardant, selon son expression, « le désespoir paisible ». Revenu à Paris pendant l'été, il s'éteint le 17 septembre 1863.

♦ « Le style de M. de Vigny a des veines de bonheur. Il y a de l’invention dans sa grâce et son élégance. Mais la peur du commun le rend parfois obscur et bizarre. » D. Nisard, 1829. ♦ « II est de cette élite de poètes qui ont dit des choses dignes de Minerve. » Sainte-Beuve. ♦ « Pauvre et cher Alfred de Vigny ! Il apparaît plus grand que les poètes de son temps qui ne sont que des poètes : car il fera l’effet d’une poésie, — la poésie de ce désespoir silencieux qui ne se mettait pas de cendre sur la tête, mais qui en avait dans le cœur. » Barbey d’Aurevilly. ♦ «La nature de ce rare talent le circonscrit dans une sphère chastement lumineuse et hantée par une élite spirituelle très restreinte, non de disciples, mais d’admirateurs persuadés. » Leconte de Lisle. ♦ « Quel homme ! Il cumule dans le sublime ! » Verlaine. ♦ « Nous trouvons dans toute sa gravité l’homme qui eut entre tous la religion de la dignité humaine... Cet homme calme n’était pas insensible; il eut ses souffrances; mais il garda toujours la suprême pudeur de les cacher. » Anatole France. ♦ « Le seul romantique qui ait eu des idées générales et surtout une conception de la vie raisonnée, personnelle, philosophique. » Brunetière. ♦ « Vigny, au milieu de sa poésie incertaine et techniquement inhabile, a eu le bonheur de créer cinq ou six vers qui sont entrés et qui restent dans toutes les mémoires; mais quand on se reporte au texte, ils sont trop souvent encadrés d’expressions assez médiocres. Il traîne après lui trop d’images usées, serties dans le métal équivoque d’une fausse éloquence. » Remy de Gourmont. ♦ « Ame plus grande que le talent. » Maurice Barres.