VIÊT-NAM
État de l'Asie du Sud-Est constituant une longue bande côtière à l'E. de la péninsule indochinoise depuis le delta du fleuve Rouge jusqu'au delta du Mékong ; sous la domination française, le Viêt-nam fut divisé en trois parties, les Trois ky : le Tonkin (Bac ky), l'Annam (Trung ky) et la Cochinchine (Nam ky).
Des origines au XIXe siècle La conquête française et l'instauration du régime colonial Les débuts du nationalisme vietnamien (1920/45) La première guerre du Viêt-nam (1946/54) La partition du Viêt-nam La seconde guerre du Viêt-nam et la réunification
Des origines au XIXe siècle
Peuplée dès le paléolithique inférieur, la partie septentrionale de l'actuel Viêt-nam connut, au VIIIe millénaire avant notre ère, les cultures de Bac Son et de Hoa Binh, qui se prolongèrent jusqu'au néolithique (vers 2000 av. J.-C.). Dans les derniers siècles avant notre ère, le principal centre de la civilisation du bronze fut Dong Son, à la limite du Tonkin et de l'Annam. Cette civilisation, apportée par des populations d'origine mongole venues de Chine, rayonna largement sur l'Asie du Sud-Est, au Laos, en Thaïlande, en Indonésie. C'est vers cette époque que se serait formé le premier État tonkinois, gouverné par la dynastie des Hông-Bang. Ce royaume, soumis à des influences chinoises, fut absorbé en 208 av. J.-C. dans le royaume du Nam Viêt (« Pays du Sud »), créé par un général chinois venu de Canton. La dynastie chinoise impériale des Han progressant vers le Sud, le royaume du Nam Viêt fut annexé par l'empereur Wou-ti en 111 av. J.-C. et réduit en province chinoise. Le Viêt-nam septentrional devait rester sous la domination chinoise pendant un millénaire, et il en résulta une profonde sinisation du pays, qui adopta les institutions politiques et religieuses (confucianisme et taoïsme) de la Chine. Dès cette époque, de profondes différences opposaient le nord et le sud de l'actuel Viêt-nam. En effet, les régions appelées jusqu'en 1945 Annam et Cochinchine virent naître, dans les premiers siècles de notre ère, des royaumes hindouisés dont le plus important fut le Champa, qui avait pour noyau historique la région de Huê. Cette civilisation de la région centrale, culturellement tributaire du monde indien, fut très tôt menacée par l'expansion du Nord, d'abord des Chinois (qui furent repoussés en 347), puis des Viêts tonkinois. Ceux-ci, après de nombreuses rébellions, réussirent à s'émanciper des gouverneurs chinois en 939 et, sous Ngô Quyên, fondèrent un État vietnamien indépendant. Au début du XIe s., la capitale vietnamienne fut établie à Thang Long, sur le site actuel d'Hanoi. Sous les dynasties des Ly (1009/1225) et sous celle des Trân (1225/1413), les Viêts conservèrent les traditions centralisatrices et la culture confucéenne et bouddhique apportées par les Chinois. Tout en repoussant, au N., des invasions chinoises (XIe s.) et mongoles (XIIIe s.), les Viêts, dès la fin du XIe s., commencèrent la conquête du Sud et refoulèrent le Champa, qui finit par être complètement absorbé au XIVe s. La marche conquérante des Viêts du nord vers le sud est une constante de l'histoire vietnamienne.
Au début du XVe s., à la faveur du déclin de la dynastie des Trân, les Chinois rétablirent momentanément leur domination sur le Viêt-nam septentrional, mais celui-ci fut libéré par Lê Loi, fondateur de la dynastie des Lê (1428/1788). Cette dynastie atteignit son apogée sous le règne de Lê Thanh Tôn (1460/97), mais ses successeurs furent des souverains médiocres, et, dès le XVIe s., le pays fut déchiré par les compétitions de grandes familles seigneuriales : les Mac, puis les Trinh, au N. ; les Nguyên, dans la région de Huê. Malgré ces troubles intérieurs, qui devaient se poursuivre jusqu'à la fin du XVIIIe s., les Viêts continuaient à progresser vers le sud. Dès 1600, ils atteignirent le delta du Mékong, et toute la Cochinchine passa sous la domination des Nguyên de Huê, qui se rendirent maîtres de Saigon (1698) et de Châudoc (1759), cependant qu'au N. les Trinh avaient mis en tutelle les souverains Lê. Dès le début du XVIIe s., des missionnaires catholiques français étaient arrivés en Indochine, et l'évangélisation avait fait de rapides progrès. Cependant, la jeune chrétienté indochinoise était soumise à des persécutions périodiques, plus vigoureuses au Tonkin qu'en Cochinchine. Les Français, qui furent à peu près les seuls à mener l'évangélisation, assistèrent donc avec satisfaction à la chute de la dynastie des Lê, renversée en 1777 par le soulèvement des frères Tây Son. Les sympathies des missionnaires français allaient surtout à l'héritier des Nguyên de Huê, Nguyên Anh, en faveur duquel Mgr Pigneau de Behaine, vicaire apostolique de la Cochinchine depuis 1774, obtint l'appui de Louis XVI. Avec l'aide de volontaires français, Nguyên Anh, qui disposait d'une artillerie et d'une marine assez puissantes, réussit, en 1801, à s'emparer de Huê, dont sa famille avait été dépossédée par les Tây Son en 1775. L'année suivante, il entrait à Hanoi et, sous le nom de Gia Long (1802/20), unifiait pour la première fois sous son autorité l'ensemble du Viêt-nam, du Tonkin à la Cochinchine. Sa dynastie devait régner jusqu'à la déposition de Bao-Dai, en 1955. Gia Long, s'appuyant sur les missionnaires français, réorganisa remarquablement le Viêt-nam sous la forme d'une monarchie absolue et centralisée, où les traditions politiques et religieuses d'origine chinoise restaient prédominantes. Le christianisme, sous Gia Long, connut une assez grande liberté, mais la persécution se développa sous les règnes ultérieurs de Minh Mang (1820/40), de Thieu Tri (1840/47) et de Tu Duc (1847/83), ce qui allait provoquer l'intervention de la France et la colonisation progressive du Viêt-nam.
La conquête française et l'instauration du régime colonial
Tu Duc refusant de mettre fin à la persécution des catholiques, une expédition franco-espagnole, commandée par l'amiral Rigault de Genouilly, fut envoyée en 1858 au Viêt-nam ; après avoir bombardé Tourane, le port de la capitale impériale Huê, elle occupa Saigon (1859). L'empereur Tu Duc fut contraint, par le traité de Saigon (5 juin 1862), de céder à la France la Cochinchine orientale, d'ouvrir trois ports (dont Tourane) au commerce français et de garantir la liberté aux missionnaires et aux catholiques. En étendant ensuite son protectorat sur le Cambodge (1863), la France réalisa l'encerclement du reste de la Cochinchine, qui fut entièrement annexée en 1867.
L'expédition de reconnaissance de Doudart de Lagrée et de Francis Garnier dans la vallée du Mékong (1866/68), en démontrant que la vraie route commerciale vers la Chine du Sud n'était pas le Mékong, mais le fleuve Rouge, au Tonkin, amena la France à porter ses visées sur cette nouvelle région. En 1873, le commerçant français Jean Dupuis explora le fleuve Rouge, mais il se heurta aux fonctionnaires impériaux annamites. Paris décida alors l'envoi au Tonkin de la petite expédition de Francis Garnier. À la tête d'une poignée d'hommes, celui-ci prit d'assaut la citadelle d'Hanoi (nov. 1873), occupa toutes les places du Delta et procéda ainsi à l'ouverture du fleuve Rouge. Mais il trouva la mort peu après en combattant des bandes d'irréguliers chinois qui régnaient en maîtres dans certaines parties du territoire tonkinois, les Pavillons-Noirs. La France, qui se relevait à peine de sa défaite de 1870/71, n'avait pas encore les moyens d'une grande politique coloniale en Extrême-Orient ; elle se contenta d'imposer à l'empereur d'Annam un traité d'alliance (15 mars 1874) qui reconnaissait la souveraineté et l'indépendance de l'Annam, mais obligeait la politique étrangère annamite à se conformer à la politique française ; la possession de la Cochinchine tout entière était reconnue à la France ; celle-ci évacuait Hanoi, mais trois ports tonkinois étaient ouverts au commerce européen et la navigation devenait libre sur le fleuve Rouge. Ce traité ne fut guère respecté par l'empereur Tu Duc, qui alla jusqu'à reconnaître la suzeraineté de la Chine (1876). En 1882, la situation des commerçants français devenant précaire au Tonkin, une nouvelle expédition française fut envoyée. La cour annamite dut reconnaître le protectorat de la France, expressément étendu à l'Annam et au Tonkin (traité de Huê, 25 août 1883) ; un nouveau traité, signé le 6 juin 1884, donna aux Français le droit d'occuper militairement toute partie du territoire vietnamien. Parallèlement, la lutte contre les Pavillons-Noirs, qui se poursuivait au Tonkin, dégénérait en une guerre franco-chinoise (1884/85) où les Français, après la destruction de la flotte chinoise à Fou-tcheou (août 1884), connurent des heures difficiles (désastre de Lang Son, entraînant la chute de Jules Ferry, mars 1885) ; néanmoins, la Chine, par le traité de T'ien-tsin (9 juin 1885), dut reconnaître le protectorat français sur le Viêt-nam. Mais les troupes françaises durent faire face à une tenace résistance tonkinoise, et les opérations contre leur adversaire le plus résolu, le Dê Tham, se poursuivirent jusqu'en 1908. Cependant, dès les traités de protectorat de 1883/84, la France s'était engagée dans un effort d'organisation administrative qui aboutit, en 1887, à la création de l'Union indochinoise, laquelle comprenait les protectorats du Cambodge, de la Cochinchine, de l'Annam et du Tonkin, auxquels vint s'ajouter, en 1893, le Laos. Tous ces pays étaient rassemblés sous l'autorité d'un gouverneur général français, et, en 1897, l'Union indochinoise prit le nom de Gouvernement général de l'Indochine. Alors que la Cochinchine, occupée depuis Napoléon III, devenait une véritable colonie, soumise à l'administration directe des fonctionnaires français, les autres pays vietnamiens avaient un régime de protectorat plus ou moins strict : au Tonkin tendait à prévaloir l'administration directe, les administrateurs indigènes ayant été, d'emblée, réduits aux fonctions subalternes ; en Annam, l'administration autochtone conservait un rôle plus important. L'empereur d'Annam subsistait, mais il se trouva réduit à une fonction purement symbolique par l'action énergique de gouverneurs tels que Paul Doumer (1896/1902) et Albert Sarraut (1911/19). À partir de 1922, des notables vietnamiens élus furent adjoints au Conseil de gouvernement, mais les Français y conservèrent la majorité.
Les débuts du nationalisme vietnamien (1920/45)
L'opposition à la colonisation française, représentée, avant la Première Guerre mondiale, par les mandarins annamites et par des chefs de bande tels que le Dê Tham, rallia au cours des années 1920 de nouvelles couches de la population : bourgeois enrichis par le progrès économique et mécontents d'être tenus à l'écart des affaires publiques, et surtout étudiants formés dans les écoles françaises, où ils s'étaient ouverts aux idéologies démocratiques, socialistes et nationalistes. Le nationalisme vietnamien se partagea d'abord en deux grandes tendances : celle du parti national du Viêt-nam, fondé en 1927, qui souhaitait une alliance avec la Chine de Tchang Kaï-chek, mais qui fut brisé par le pouvoir colonial après l'échec de la mutinerie de Yên Bai (10 févr. 1930) ; celle du communisme indochinois, qui organisa dès l'été 1930 des grèves ouvrières et des émeutes paysannes. Dirigé par Nguyên Ai Quôc (Nguyên That Thanh), qui ne devait prendre qu'en 1941 son nouveau nom d'Hô Chi Minh, le parti communiste indochinois, fondé à Hongkong en mars 1930, attira de brillants éléments tels que Pham Van Dong, Truong Chinh et le futur général Giap. En dépit d'une violente répression française qui, dans les années 1930/31, fit quelque 10 000 victimes, le parti communiste continua à marquer des progrès dans la clandestinité. La Seconde Guerre mondiale devait ébranler de façon irréparable la position de la France au Viêt-nam. Nommé en juill. 1940 par le gouvernement de Vichy, l'amiral Decoux dut accepter, dès sept. 1940, l'entrée des troupes japonaises en Indochine. Decoux s'efforça de sauvegarder la présence française en associant plus étroitement les Vietnamiens au gouvernement colonial (création d'un Conseil fédéral de l'Indochine, composé des représentants des diverses ethnies, déc. 1941). La lutte commune contre le Japon apportait au communiste Hô Chi Minh l'appui de la Chine de Tchang Kaï-chek ; mettant en sommeil le parti communiste indochinois, il se posait comme le rassembleur de toutes les forces nationalistes, à la fois contre le Japon et contre la France, en fondant, en mai 1941, la Ligue révolutionnaire pour l'indépendance du Viêt-nam (Viêt Nam Doc Lap Dong Minh Hoi), bientôt connue sous le nom de Viêt-minh. Le 9 mars 1945, les Japonais procédèrent à un coup de force et s'emparèrent de tous les pouvoirs en Indochine, éliminant l'amiral Decoux et les fonctionnaires français. Avec leur appui, Bao-Dai, empereur d'Annam depuis 1932, dénonça le traité de protectorat (11 mars), mais il se trouva rapidement devancé par Hô Chi Minh, qui, secouant la tutelle que cherchaient à lui imposer les Chinois, créa un Front populaire vietnamien de libération et, le 10 août 1945, à la veille de l'effondrement japonais, lança l'ordre du soulèvement général. Deux semaines plus tard, il entrait à Hanoi, y installait un gouvernement où les postes clés étaient détenus par les communistes, et, le 2 sept. 1945, il proclamait l'indépendance de la « République démocratique du Viêt-nam. » Mais, conformément aux décisions de la conférence de Potsdam, où la France n'avait pas été représentée, le Viêt-nam devait être occupé, au N. du 16e parallèle par les troupes chinoises de Tchang Kaï-chek, au S. par les troupes britanniques. Dès le 23 sept. 1945, des éléments militaires français libérés de camps d'internement japonais s'emparèrent des édifices publics de Saigon ; un corps expéditionnaire français commandé par le général Leclerc entra peu après à Saigon (5 oct. 1945). Mais la situation était toute différente dans le Nord, occupé par les troupes chinoises et où le Viêt-minh était installé au gouvernement.
Hô Chi Minh, qui ne voulait pas retomber sous la tutelle des Chinois, préféra composer avec les Français : le 6 mars 1946, par un accord conclu avec le négociateur français Jean Sainteny, il obtint la reconnaissance par la France de la République démocratique du Viêt-nam comme un État libre au sein de la Fédération indochinoise et de l'Union française ; en échange, il acceptait le retour de 15 000 soldats français au Tonkin jusqu'en 1951. Mais cet accord, qui permit au général Leclerc d'entrer à Hanoi (18 mars 1946), devait être rendu caduc à la fois par les réticences des communistes intrasigeants et par les manuvres du haut-commissaire Thierry d'Argenlieu, qui, au mépris des engagements pris, suscita en juin 1946 une république sécessionniste de Cochinchine. Après l'échec de la conférence de Fontainebleau (juill./sept. 1946), la profonde méfiance réciproque qui s'était installée dans les rapports franco-vietnamiens devait conduire rapidement à un conflit.
La première guerre du Viêt-nam (1946/54)
À la suite de divers incidents où les responsabilités demeurent confuses et discutées, Hô Chi Minh et son gouvernement entrèrent dans la clandestinité, avec leur armée, que Giap avait réussi à porter à quelque 60 000 hommes. Tout en s'engageant dans une guerre qui devait durer plus de sept ans, la France essayait de trouver une solution politique : au terme de négociations difficiles menées avec l'ex-empereur Bao-Dai, « associé » à l'Union française et auquel la Cochinchine se rattacha à la suite d'un référendum (avr. 1949) ; en contrepartie, la France conservait ses bases militaires et une position économique et culturelle privilégiée. Mais ces accords n'apportaient aucune solution au problème du Viêt-minh, qui, bénéficiant d'un large appui de la population, contrôlait la plus grande partie du Tonkin dès la fin de 1949. C'est sur le plan militaire que devait se jouer le sort du Viêt-nam. À la suite de la victoire des communistes chinois sur Tchang Kaï-chek (1949), le Viêt-minh put établir la jonction avec la Chine populaire, qui lui apporta, à partir de 1950, un appui matériel croissant. En 1950, la république démocratique du Viêt-nam fut reconnue diplomatiquement par l'URSS, la Chine et les autres démocraties populaires. Chargé d'une mission d'enquête au printemps 1949, le général Revers avait conclu à la nécessité d'abandonner la frontière sino-tonkinoise pour concentrer l'effort français sur la défense d'Hanoi et du delta du fleuve Rouge. Au cours des opérations d'évacuation du Haut-Tonkin, les troupes françaises subirent de lourdes pertes à Cao Bang (oct. 1950). Dès cette année 1950, le Viêt-minh, qui n'avait pu mener jusqu'alors qu'une lutte de partisans, était en mesure de mettre sur pied de grandes unités régulières, et les opérations en Indochine prirent le caractère d'une véritable guerre. À la suite du déclenchement de la guerre de Corée (juin 1950), les Américains révisèrent leur attitude sur la question indochinoise : la guerre d'Indochine s'inséra aux yeux des Américains dans la lutte mondiale entre le communisme et le « monde libre ». À partir de cette date, les États-Unis fournirent à la France une aide matérielle importante, mais sans engager leurs propres troupes. Nommé haut-commissaire et commandant suprême des troupes en Indochine (déc. 1950), le général de Lattre de Tassigny réussit en quelques mois à redresser une situation très compromise : il brisa les offensives de Giap sur Hanoi (janv./févr. 1951), établit une ceinture fortifiée autour du delta tonkinois et, en nov. 1951, déclencha à son tour, à l'ouest d'Hanoi, une offensive qui aboutit à la prise d'Hoa Binh. En plaçant l'armée de Bao-Dai sous un commandement purement vietnamien, il inaugura aussi la politique de « vietnamisation » que les Américains devaient plus tard reprendre à leur compte.
De Lattre, malade, ayant dû regagner la France (où il mourut en janv. 1952), son successeur, le général Salan (janv. 1952/juin 1953), réalisa méthodiquement le nettoyage du Delta et arrêta deux offensives du Viêt-minh, l'une en pays thaï, à Na Sam (nov./déc. 1952), l'autre en direction du Laos, dans la plaine des Jarres (avr./mai 1953). Mais le Viêt-minh, qui bénéficiait d'une aide toujours plus importante des Chinois, particulièrement en pièces d'artillerie et d'artillerie antiaérienne, et qui contrôlait la plus grande partie du Tonkin et le nord de l'Annam, accroissait ses unités régulières (125 000 hommes en 1953). Le général Navarre, successeur de Salan à partir de mai 1953, tenta de rendre au conflit le caractère d'une guerre de mouvement. Pour desserrer l'emprise du Viêt-minh sur le delta tonkinois, il décida, en nov. 1953, la création, dans le Haut-Tonkin, du camp retranché de Diên Biên Phu. Contrairement à toutes les prévisions des spécialistes militaires français, le général Giap, mobilisant 75 000 coolies, qui, de nuit, assuraient le ravitaillement en armes et en nourriture par des bicyclettes poussées à la main, réussit à rassembler autour de Diên Biên Phu cinq divisions (35 000 hommes), dotées d'artillerie lourde. Au printemps 1954, le camp retranché était complètement encerclé par le Viêt-minh, dont l'attaque, commencée le 13 mars 1954, aboutit, après cinquante-sept jours de résistance française, à sa chute (7 mai 1954, v. DIÊN BIÊN PHU). Cette victoire du Viêt-minh brisa définitivement, non pas la puissance militaire du corps expéditionnaire, mais le ressort psychologique de l'opinion française dans la métropole. La guerre du Viêt-nam était déjà devenue un problème international et, depuis le 26 avr. 1954, faisait l'objet des discussions de la conférence de Genève. La chute de Diên Biên Phu entraîna à Paris celle du cabinet Laniel et de son ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault (12 juin 1954). Mendès France, qui s'était fait depuis longtemps le champion d'une paix négociée en Indochine, devint président du Conseil (18 juin), et, s'étant engagé à faire la paix dans le délai d'un mois, il reprit les pourparlers à la conférence de Genève. À l'aube du 21 juill. 1954, les accords de Genève mirent fin à la première guerre du Viêt-nam.
La partition du Viêt-nam
Les accords de Genève consistaient essentiellement en une coupure provisoire du Viêt-nam par une ligne correspondant au 17e parallèle : au N. de cette ligne devaient se regrouper toutes les forces du Viêt-minh ; au S., les forces françaises et l'armée vietnamienne de Bao-Dai ; les populations vietnamiennes avaient la possibilité d'émigrer librement d'une zone vers l'autre (900 000 Vietnamiens du Nord, fuyant le communisme, vinrent s'établir dans le Sud). Mais les accords de Genève prévoyaient la réunification future du Viêt-nam, laquelle devait se faire par des élections libres et au scrutin secret, dans un délai maximal de deux ans, c'est-à-dire au plus tard en juill. 1956. Ces accords furent signés également par l'URSS, le Royaume-Uni et la Chine populaire, mais non par les États-Unis. 000200000FD4000051E9 FCE,Au N., la République démocratique du Viêt-nam présidée par Hô Chi Minh, s'engagea dans la construction d'une société communiste. La réforme agraire de 1955/56 fut menée avec une extrême rigueur ; elle provoqua des soulèvements paysans, qui furent impitoyablement réprimés. Au S., le catholique nationaliste Ngô Dinh Diêm, nommé Premier ministre par Bao-Dai en juill. 1954, ne tarda pas à établir un régime dictatorial dont les postes clés furent confiés à des membres de sa famille. En oct. 1955, il fit approuver par référendum la déposition de Bao-Dai, qui était resté en France depuis les accords de Genève, et il proclama la république, cumulant les fonctions de chef de l'État et de chef du gouvernement. Ne se considérant pas comme lié par les accords de Genève, Ngô Dinh Diêm refusa tous pourparlers avec le Nord en vue de l'organisation des élections prévues pour réunifier le pays. Dans le Sud, le régime dictatorial suscitait un mécontentement grandissant ; l'afflux des réfugiés catholiques du Nord rejetait les chefs bouddhistes dans l'opposition. Ngô Dinh Diêm, qui avait lutté contre le régime colonial dès la fin des années 1930, prit une position hostile à la France, et, avant même d'avoir obtenu l'évacuation des derniers soldats français (avr. 1956), il se tourna vers les États-Unis, qui, dès févr. 1955, installèrent à Saigon une mission d'assistance.
La seconde guerre du Viêt-nam et la réunification
Les élections réunificatrices prévues par les accords de Genève n'ayant pu être organisées en raison du refus du gouvernement sud-vietnamien, le gouvernement communiste d'Hanoi, qui s'était bien gardé de démanteler ses réseaux dans le Sud, entreprit, à partir de 1957, de réaliser l'unité du Viêt-nam par la subversion de l'autorité de Saigon. Les divers groupes d'opposants à Diêm, que le gouvernement de Saigon confondit, à partir de 1959, sous le nom de Viêt-cong (« communistes vietnamiens »), formèrent, le 20 déc. 1960, au cours d'un congrès clandestin, le Front national de libération du Viêt-nam du Sud (FNL), qui passa de plus en plus sous la direction des communistes. En févr. 1961, le FNL se dota d'une Armée de libération du Viêt-nam du Sud, et, avec l'aide humaine et matérielle apportée par le Nord, les opérations de guérillas, commencées dès 1957, prirent la forme d'une véritable guerre. L'opposition contre le régime Diêm avait pris une telle ampleur (à partir de mai 1963, il y eut une vague de suicides spectaculaires de bonzes s'immolant publiquement par le feu) que Kennedy décida d'abandonner Diêm et laissa s'accomplir, sinon favorisa, le coup d'État militaire qui coûta la vie au dictateur sud-vietnamien (1er nov. 1963). La chute de Diêm devait être suivie, pendant deux ans, d'une série de coups d'État qui aggravèrent le désordre au Viêt-nam du Sud. L'autorité ne fut rétablie à Saigon qu'en juin 1965, lorsque le général Thieu devint chef de l'État. Cependant, ce que l'on devait appeler « l'escalade » américaine au Viêt-nam avait commencé à la suite d'un incident naval qui, en août 1964, opposa dans le golfe du Tonkin deux destroyers américains à la flotte nord-vietnamienne. À partir de févr. 1965, l'aviation américaine mena des raids systématiques sur le Nord ; dès juin 1966, elle attaquait même Hanoi et Haiphong. L'intervention des forces terrestres américaines dans les combats au Sud-Viêt-nam commença en mars 1965, et, à partir de ce moment, les effectifs américains ne cessèrent d'augmenter. Des troupes sud-coréennes, australiennes et néo-zélandaises furent également engagées aux côtés des Sud-Vietnamiens. L'offensive du Têt, lancée par les communistes en janv./févr. 1968 contre Saigon et plusieurs grands centres du Sud fut un échec militaire coûteux, mais sa puissance démontra aux Américains et à l'opinion mondiale la résolution intacte du Nord-Viêt-nam. La guerre du Viêt-nam divisait profondément l'opinion américaine, suscitait dès 1965 aux États-Unis un mouvement de contestation qui devait aller en s'amplifiant, et altérait le prestige international de l'Amérique. 000200000C62000061B7 C5C,S'orientant vers la recherche d'une solution négociée, le président Johnson décida l'arrêt partiel des bombardements aériens sur le Nord (31 mars 1968). Ouverts à Paris le 13 mai 1968 entre Américains et Nord-Vietnamiens (auxquels se joignirent, en janv. 1969, Sud-Vietnamiens et FNL), les pourparlers de paix devaient traîner pendant près de cinq ans. Durant cette période, les États-Unis optèrent pour la « vietnamisation », qui consistait à retirer progressivement leurs forces du Sud-Viêt-nam en donnant à l'armée sud-vietnamienne les moyens suffisants pour lutter seule contre les forces communistes. Après l'arrêt total des raids américains contre le Nord-Viêt-nam décidé en nov. 1968 par le président Johnson, Nixon, nouvellement élu, commença le rapatriement des forces américaines (juin 1969). En revanche, les communistes ne ralentirent nullement leurs actions offensives, ce qui contraignit les Américains à intervenir au Cambodge (1970), puis à reprendre leurs attaques aériennes contre le Nord, à bloquer les ports du Nord-Viêt-nam (mai 1972) et à soumettre Hanoi et Haiphong aux plus violents bombardements qu'elles aient connus de toute la guerre (déc. 1972). Cependant, les négociations secrètes ouvertes dès août 1969, en marge de la conférence de Paris, entre Kissinger et Lê Duc Tho, finirent par aboutir à la signature des accords de Paris (27 janv. 1973), à la suite desquels les forces américaines se retirèrent du Viêt-nam dans un délai de deux mois. Ces accords établissaient aussi le cessez-le-feu entre les diverses forces vietnamiennes en présence et comportaient des clauses politiques en vue d'une réconciliation nationale. Ils ne furent respectés ni par le Nord ni par le Sud, qui s'efforcèrent, au contraire, d'améliorer leurs positions. Le FNL, qui, dès juin 1969, s'était constitué en Gouvernement révolutionnaire provisoire (GRP), continua à recevoir des renforts de troupes et de matériel en provenance du Nord-Viêt-nam ; à la fin de 1974, les communistes reprenaient l'offensive sur une grande ampleur. Au printemps de 1975, ils s'emparaient de Huê (24 mars) et de Da Nang (29 mars), provoquant l'effondrement général de l'armée sud-vietnamienne. Trop tardive, la démission du président Thieu (21 avr.) ne permettait pas l'ouverture de négociations politiques. Alors que les Khmers rouges avaient déjà submergé le Cambodge, les communistes entraient à Saigon le 30 avr. 1975. La seconde guerre du Viêt-nam s'achevait par la victoire complète du communisme, non seulement au Viêt-nam, mais dans toute l'Indochine. Saigon, rebaptisée « Hô Chi Minh Ville », était épurée des traces de la présence occidentale, et des structures socialistes étaient progressivement mises en place dans le Viêt-nam du Sud. La réunification du Viêt-nam devait se faire par des élections prévues pour le premier semestre de 1976, et, d'ores et déjà, il était décidé qu'Hanoi serait la capitale du Viêt-nam réunifié. Le 25 avr. 1976, pour la première fois depuis la consultation du 8 janv. 1946, Vietnamiens du Nord et Vietnamiens du Sud élisaient une Assemblée nationale unique. Deux mois plus tard, cette Assemblée ratifiait la réunification du pays.
Détruit économiquement, le Viêt-nam socialiste devait réconcilier deux populations aux mentalités très différentes, où les violences de la guerre avaient laissé des rancunes tenaces. Une importante partie de la population du Sud réagit fort mal aux mesures de « rééducation » et de socialisation des vainqueurs : fuyant le régime, une masse de réfugiés quitta le Viêt-nam, début de la tragédie des « boat people » essaimant dans toute l'Asie du Sud-Est et souvent victimes d'actes de piraterie. Les difficultés économiques du Viêt-nam furent encore aggravées après son intervention militaire, en 1978, dans le conflit cambodgien (v. CAMBODGE), renforçant l'hostilité de la Chine, avec laquelle eurent lieu plusieurs affrontements frontaliers, et provoquant un blocus économique international, certes atténué par l'assistance soviétique. Au VIe congrès du parti, en 1986, la vieille garde (Lê Duc Tho, Pham Van Dong) prit une retraite toute relative ; Nguyên Van Linh, qui devint secrétaire général du parti, et Pham Hung, Premier ministre, appartenaient au courant moderniste ; mais à la mort de ce dernier, en 1988, les tenants de l'orthodoxie imposèrent un candidat de compromis avec son successeur, Do Muoi. En 1989, l'armée vietnamienne quittait le Cambodge sans être parvenue à imposer réellement sa volonté par les armes. Dans l'affaire des « boat people » (environ un million de personnes), le Viêt-nam avait fait admettre par la communauté internationale que le statut de réfugiés politiques ne leur fût pas reconnu, à Hongkong notamment, et le rapatriement forcé, agrémenté d'une aide économique, pouvait commencer. À partir de 1988, la politique Doi Moi, « rénovation de l'État et de l'économie », décidée en 1986, commençait à modifier le pays. L'économie étatisée était peu à peu remplacée par l'économie de marché. La Constitution de 1992 confirmait cette évolution économique en reconnaissant aux citoyens le droit de créer des entreprises privées. La part du secteur privé contribuait, en 1993, à près de la moitié du PIB du pays. L'effondrement du Comecon, en juin 1991, avait obligé le Viêt-nam à s'insérer dans l'économie mondiale. En 1988, les entreprises étrangères avaient été autorisées à s'implanter dans le pays. Le mouvement s'amplifia avec la levée de l'embargo américain en févr. 1994. Ce développement rapide du capitalisme s'accompagnait cependant de disparités et d'une corruption croissante. 51% de la population ne disposait pas encore, en 1993, de ressources alimentaires suffisantes. Le chômage, aggravé par le retour, en provenance des anciens pays communistes, des travailleurs immigrés, augmenta rapidement. Malgré un début de décollage économique et une ouverture marquée, en juill. 1995, par l'adhésion du Viêt-nam à l'ASEAN, la situation politique intérieure évolua peu. Si la nouvelle Constitution annonçait la séparation de l'État et du Parti, celui-ci restait la « force dirigeante de l'État et de la société » et, faute d'opposition politique, la plupart des critiques venaient d'instances religieuses, bouddhistes ou catholiques. En déc. 1997, le général Lê Kha Phieu fut nommé secrétaire général du parti communiste vietnamien en remplacement de Do Muoi. Comme ses voisins, le pays eut à souffrir, fin 1999, d'inondations qui firent plus de 250 millions de dollars de dégâts. La restructuration du secteur financier et des entreprises d'État connut un ralentissement et les dirigeants rappelèrent leur attachement au secteur étatique au président américain Bill Clinton, lors de la visite de réconciliation, très appréciée de la population, que celui-ci effectua dans le pays en nov. 2000. En juillet 2003, le président Trân Duc Luong et le Premier ministre Pham Van Khai ont été reconduits dans leurs fonctions.
VIÊT-NAM (Guerre du, 1954-1975). Conflit qui opposa le Viêt-nam du Nord au Viêt-nam du Sud et aux États-Unis. Événement majeur de la scène internationale pendant plus de 10 ans, il mobilisa les plus grandes puissances et modifia profondément l'équilibre mondial. La guerre du Viêt-nam s'engagea dès 1954 sur les cendres de la guerre d'Indochine. Le refus du gouvernement sud-vietnamien d'appliquer les accords de Genève (1954), prévoyant la réunification du pays, suscita de multiples oppositions, favorisées par le régime dictatorial de Diem, soutenu par les Etats-Unis. À partir de 1957, le Front national de libération (Viêt-cong) engagea au sud des opérations de guérilla soutenues, en hommes et en matériel, par le Viêt-nam du Nord, communiste, de Hô Chi Minh. Convaincus que la chute du Viêt-nam du Sud conduirait à l'établissement du communisme dans l'ensemble de l'Asie du Sud-Est (« théorie des dominos » formulée par le secrétaire d'État américain John Foster Dulles), les États-Unis décidèrent d'apporter leur soutien à Saigon. À partir de 1961, Kennedy acceptait d'accroître le nombre de « conseillers » militaires au Sud Viêt-nam, son successeur, Johnson décidant, à partir de 1964, l'intervention militaire directe. Malgré l'« escalade américaine » au Viêt-nam, avec l'intensification des bombardements sur le nord, et l'accroissement considérable des effectifs (500 000 Américains engagés en 1967), les États-Unis n'obtinrent aucun résultat décisif face à la résistance du Front national de libération et de Hanoi, soutenus par l'URSS et la Chine populaire. L'offensive du Têt (janvier 1968) contre les grandes villes du sud confirma les États-Unis dans l'idée qu'une victoire ne pourrait être obtenue qu'au prix d'une guerre totale très coûteuse. Johnson, poussé par l'opinion publique américaine de plus en plus hostile à cette guerre longue et meurtrière, décida, en mars 1968, l'engagement de négociations avec le Front national de libération et le gouvernement de Hanoi, et l'arrêt des bombardements sur le Nord Viêt-nam. À partir de 1969, Nixon, soucieux de lever l'obstacle essentiel à la politique de détente avec l'URSS, entama un désengagement progressif des forces américaines, tout en aidant à la constitution d'une puissante armée sud-vietnamienne (« vietnamisation » du conflit). Après le bombardement de la piste Hô Chi Minh - qui, du Viêt-nam du Nord, à travers le Laos et le Cambodge, approvisionnait les maquis du sud - et la reprise des raids aériens dans le nord (1972), la conférence de Paris finit par aboutir en 1973 à un cessez-le feu au Viêt-nam et au Laos, suivi par le retrait des forces américaines. En 1975, tandis que les Khmers rouges l'emportaient au Cambodge, les troupes du Viêt-nam du Nord entraient à Saigon (avril 1975). Le Viêt-nam, officiellement réunifié en juillet 1976, devint une République socialiste que des milliers d'opposants tentèrent de fuir (boat people) tandis que des camps de « rééducation » étaient organisés. Voir Nguyên Van Thiêu, Norodom Sihanouk, Pham Van Dông, Souphanouvong, Vô Nguyên Giap.
VIÊT-NAM DU NORD. Nom donné à la République démocratique du Viêt-nam entre janvier 1960 et juillet 1976, avec Hanoi pour capitale. Depuis la fin de la guerre du Viêt-nam, le pays est réunifié et porte le nom officiel de République socialiste du Viêt-nam. Voir Indochine (Guerre d'), Viêt-nam du Sud. VIÊT-NAM DU SUD. Nom donné à la République du Viêt-nam entre 1955 et juillet 1976, dont la capitale était Saigon (aujourd'hui Hô Chi Minh Ville). Le pays, réunifié depuis 1976, porte le nom de République socialiste du Viêt-Nam. Voir Indochine (Guerre d'), Viêt-nam (Guerre du), Viêt-nam du Nord.