VALERY Paul
VALERY Paul 1867-1945
Ce Sètois, après de bonnes études — il n’est mauvais qu’en mathématiques —, commence très tôt à écrire des vers. Pour lui Mallarmé est le modèle, au point que, au terme d’une nuit d’orage et d’illumination, à Gênes, en 1892, il décide de ne plus écrire de poésie, tout à la fois dans la crainte de ne pas parvenir au niveau de ce modèle et dans celle de ne pas le dépasser. Il se tourne alors vers l’étude de la philosophie et des mathématiques. Il publie des essais en prose et travaille pour l’agence Havas. Il donne pourtant, en 1917, un long poème, La Jeune Parque, tout en laissant entendre que c’est par faiblesse qu’il s’est laissé aller à cet «exercice». Nouvel «exercice» en 1922 avec Charmes, qui recueille plusieurs poèmes composés après La Jeune Parque, dont fait partie le fameux Cimetière marin. Après quoi, et à l’âge de 52 ans, Valéry s’interdit toute autre faiblesse et renonce définitivement à la poésie. Académicien, président de la commission de la coopération intellectuelle de la Société Des Nations, professeur de poétique au Collège de France, il sera, après des funérailles nationales, enterré dans le cimetière de Sète qui l’a inspiré. Producteur d’une œuvre imposante — et fragmentaire — tous azimuts, Valéry a été l’un des derniers exemplaires d’un type d’écrivain humaniste aujourd’hui disparu. Mais à l’heure où cette production nous paraît bien difficile à lire, ce n’est pas le moins réjouissant des paradoxes que de constater combien sa poésie, écrite comme malgré lui, nous demeure la partie la plus proche et la plus passionnante de son œuvre. C’est que, comme le fait malicieusement remarquer Jean Rousselot, il a fait inconsciemment litière de toutes ses belles théories: par un effort constant de concentration et de raffinement formel il a atteint à une «obscurité» bien propre à dérouter le lecteur «cartésien» qu’il souhaite,- obscurité qui n’est pas loin de celle que peuvent produire les flammes de l’inspiration la plus débridée.
VALÉRY (Paul), écrivain, poète et penseur français (Sète 1871 -Paris 1945). Fils d'un fonctionnaire des Douanes, il devient célèbre en 1917 avec la Jeune Parque, long poème d'inspiration symboliste. Eupalinos ou l'Architecte (1923), l'Ame et la danse (1923), ouvrages en prose empruntant la forme des dialogues socratiques, révèlent un véritable penseur. La série de Variété (cinq volumes, 1924-1944) expose ses réflexions sur la musique, la peinture (il dessinait et gravait) et les arts du feu, aussi bien que sur Descartes et les mystiques (les Pages célèbres de la philosophie). Ce penseur se défendait d'être un philosophe systématique; il assurait que, s'il avait eu une philosophie, son objet aurait été le possible de l'homme. En fait, le thème de ses pensées est le « moi », vu sous ses angles les plus variés et les plus contradictoires (chez le dictateur, dans la création artistique, dans la contemplation du monde ou l'audition de la musique, ou même l'exercice de la réflexion dans l'idée fixe [1932]). De ses œuvres, des héros qu'il a décrits — Léonard, Teste, Faust, etc. — se dégage la conception d'un homme doué d'une puissance de création extraordinaire et capable de développer, dans l'ordre de l'art et de l'expression de l'homme, tout le potentiel humain.
VALÉRY Paul
1871-1945
Poète (et philosophe, aussi), né à Sète. La destinée de cet écrivain, sans aucun doute, est exemplaire : auteur précoce (sous l’égide de son maître Mallarmé) de vers impeccables qui rencontrent un accueil enthousiaste dans les revues d’« avant-garde » des années 1890 - ils feront très bonne figure, encore, quand le poète les publiera trente ans plus tard, en 1920 -, il ne donne rien en librairie ; sauf deux essais : en 1895, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (peintre entre tous louable, selon lui, par la rigueur d’un art tenu pour cosa mentale), et, surtout, La Soirée avec Monsieur Teste (1896), figure allégorique qui ressemble fort au poète Valéry par ce même « rigorisme » intellectuel, dédaigneux de toute effusion sentimentale. Loin d’exploiter ses premières réussites, Valéry choisit de vivre une vie recluse en philosophie et en mathématiques durant dix-sept années. C’est en 1913, en effet, que l’éditeur Gallimard s’aventure à lui demander des poèmes. Alors l’homme selon qui il n’est de poésie que sur commande, compose un très bref Adieu à la Muse, qui se mue bientôt en un Exercice, puis en poème véritable. Et ce travail qu’il avoue être exaltant (paradoxe pour qui a proclamé que l'enthousiasme n’est pas une vertu poétique) aboutira à un court chef-d’œuvre - son chef-d’œuvre - : La Jeune Parque (1917). Le succès est tel que Valéry publie coup sur coup ses œuvres de jeunesse (l'Album de vers anciens, 1920), suivies du premier et dernier recueil de ses œuvres poétiques nouvelles, Charmes (1922), puis deux dialogues socratiques (Eupalinos ; L’Âme et la danse), l’un et l’autre en 1923 ; enfin le recueil d’essais intitulé Variété (1924), qui sera suivi de quatre volumes sous le même titre et d’innombrables autres essais et opuscules jusqu’à sa mort. Élu à l’Académie française (1925), il sera -mieux encore - nommé « professeur au Collège de France » en 1937, et c’est la première fois qu’un poète connaît pareil honneur ; à cet effet, l’on devra d’ailleurs créer sur mesure une « chaire de poétique ». Hostile au genre du roman, il compose (en revanche) Mon Faust, en 1945 (Je me suis surpris me parlant à deux voix, dit-il à cette occasion). La France fera à cette « grande figure » des funérailles nationales. Son image - tout au moins sous cette forme de « grande figure », précisément - se dissipe jour après jour depuis vingt-cinq ans ; par chance il reste l’œuvre. Le prosateur d’abord : un des plus subtils. Sans doute, le légendaire Monsieur Teste de 1896, maître de sa pensée, ne représente-t-il plus qu’imparfaitement le Valéry de la maturité, qui sait désormais et proclame explicitement la vertu du délire à sa place et à point nommé (L’Ame et la danse). Car, tant en vers qu’en prose, il n’a pas toujours mis en harmonie ses trop diverses idées. (Et c’est très bien ainsi, au total.) Quant au poète, si l’on veut bien, ici encore, ne pas exiger de lui quelque infaillible accord entre ses nombreux exposés d’intentions et les rares œuvres qu’il nous donne en guise d’« exemple à l’appui » - si l’on se laisse faire, enfin, là où lui-même s’interdisait tout laisser-aller -alors Valéry nous apparaîtra comme un lyrique véritable, un des plus directs et des plus savoureux poètes de langue française : Dormeuse, amas doré d’ombres et d’abandons... Ou encore :
Le sein charmant qui joue avec le feu, Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent, Les derniers dons, les doigts qui les défendent...
Poésie claire, mais secrète ; serrée. Chaude (oui chaude, et même, selon Larbaud, très friand de cette forme d’art : « la poésie la plus concrète et la plus sensuelle », Étude sur Paul Valéry, 1931). Ambiguë, aussi, comme chez Mallarmé (qui définissait lui-même sa poésie « un diamant fumé », et que Valéry préfère d’ailleurs comparer au spath d'Islande pour sa vertu de limpidité à double fond), mais exempte de la préciosité qui dépare souvent les plus belles œuvres de son maître. Pour lui, le poète est l’homme qui, seul, lorsqu’il veut s’exprimer auprès des autres hommes, ou de ses amis, ou de sa maîtresse, dispose du choix des moyens : ou bien il emploiera, comme chacun d’entre nous, les cris, les larmes, les caresses, les baisers, les soupirs, etc. (comme dit Valéry lui-même avec humour) ; ou bien il fera un poème. Et, dans ce cas, à quoi bon, puisqu’il est poète, répéter le chaos et l’inexprimé de tout un chacun. Ce qu’il déposera donc devant sa maîtresse, devant ses amis, devant tous les autres hommes, c’est un objet; et cet objet aura réussi à cristalliser sur un espace infime les « cris, larmes, caresses, etc. » sans rien distraire de leur matière ; ni de leur puissance calorifique ou explosive. Enfin, le poème devra métamorphoser le thème le plus grave, le plus désespéré même, en une fête, en une chose légère ; et cette transmutation est, dans le travail propre au poète, la part de la magie. (Une telle ambivalence apparaît déjà dans le titre de son unique recueil : Charmes, c’est-à-dire chants, au sens premier - du latin Carmen, carminis ; mais aussi magies, sortilèges.) D’autre part, on comparera cette notion du poème objet - cristal de spath, etc. - à celle-ci très voisine : « cristaux déposés après l’effervescent contact de l’esprit avec la réalité », et encore à cette autre : « il [le poème] prend sa place parmi les choses existant dans la nature » ; ces deux définitions étant, rappelons-le, de Pierre Reverdy, celui-là même qu’en 1924, André Breton saluait comme le maître par excellence dans le Manifeste du surréalisme. On notera en passant que la plus belle et attachante héroïne de Valéry, cette jeune Parque si curieuse de ses zones d’ombre, passe, au cours de l’œuvre, du rêve jusqu’au demi-réveil, puis, de là, à l’état de veille, selon un jeu de dévoilement progressif, et lent, qui n’est que l’inverse en somme du « processus » d’enfouissement dans le rêve, cher à l’investigation du Bureau de recherche surréaliste. Paul Valéry, un poète de style classique ? Sans aucun doute : classique plein à craquer de sève. Comme l’est Aristide Maillol, son exact contemporain; et, après tout, l’avant-garde poétique à l’époque de Valéry ne voyait pas ce classique d’un trop mauvais œil, puisque Aragon, Breton et Soupault l’accueillaient (en 1919, et de nouveau en 1920) dans leur revue.