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Tristan et Iseut BÉROUL et THOMAS, seconde moitié du xiie siècle

• Le roman de Tristan et Iseut fait partie des romans dits bretons en raison de leur cadre (Armorique, Cornouailles, Galles, Irlande). Il nous en est parvenu diverses versions. Les plus importantes, bien qu'elles soient incomplètes, sont celles de Béroul, jongleur normand mal connu (quatre mille cinq cents octosyllabes), et celle de Thomas (trois mille octosyllabes) qui ont servi de noyau à la reconstitution de Joseph Bédier (1900).
• Ce beau conte d'amour et de mort peint une passion irrésistible qui, le plus souvent, dans son déroulement fatal, contrevient aux lois de l'honneur chevaleresque. Le jeune prince Tristan de Loonois est depuis toujours voué au malheur. Orphelin, élevé par son oncle le roi Marc de Cornouailles qui a fait de lui un chevalier accompli, il se distingue précocement en tuant en duel le Morholt, géant venu chercher un tribut de jeunes gens et de jeunes filles au nom du roi d'Irlande. Mais l'épée du Morholt lui laisse des blessures empoisonnées. Désespéré, il part sur une barque pour se livrer aux caprices des flots. Ceux-ci le portent en Irlande où il se présente comme le jongleur Tantris. La reine d'Irlande, soeur du Morholt, le guérit à l'aide de philtres magiques et le prie d'initier à la musique sa fille Iseut la Blonde. Tristan peut quitter le pays avant d'avoir été reconnu. En Cornouailles, le roi Marc a promis devant son peuple d'épouser l'inconnue dont il a trouvé un cheveu d'or. Tristan songe à Iseut et va la chercher en Irlande. Cette fois, Iseut reconnaît en lui le meurtrier de son oncle et songe à le tuer ; mais le charme de Tristan l'emporte, et Iseut est fort déçue que Tristan soit venu solliciter sa main pour le roi Marc. Sur le bateau du retour, Tristan et Iseut boivent par erreur le philtre préparé par la reine d'Irlande pour Iseut et le roi Marc : les voici à jamais unis d'un amour contre lequel leur volonté ne peut rien. Le récit de Béroul commence aux soupçons du roi Marc ; celui-ci surprend Tristan et Iseut après avoir feint une absence. Alors qu'on prépare un bûcher pour le brûler, Tristan réussit à s'échapper et délivre Iseut des lépreux à qui Marc l'a abandonnée. Dans la forêt où ils vivent, Marc les découvre endormis, séparés par l'épée de Tristan ; il renonce à les tuer et se contente d'échanger son épée contre celle de son neveu. Touchés de repentir, les amants sollicitent le pardon du roi ; Iseut retourne à la cour, Tristan part pour l'étranger après avoir châtié en tournoi les ennemis qui l'ont dénoncé (fin du récit de Béroul). Thomas conte comment, passé en Bretagne, Tristan se laisse persuader d'épouser la soeur de son ami Kaherdin, Iseut aux Blanches Mains ; mais il songe toujours à Iseut la Blonde et retourne vers elle sous des déguisements. En Petite Bretagne, il est un jour blessé par une lance empoisonnée. Il envoie Kaherdin chercher Iseut la Blonde qui seule peut le guérir. Celle-ci s'embarque pour le rejoindre, mais un tragique mensonge d'Iseut aux Blanches Mains fait croire à Tristan qu'lseut n'a pas répondu à son appel : il meurt avant l'arrivée d'Iseut qui, tenant son ami embrassé, le suit dans la mort (fin du récit de Thomas). Le roi Marc, apprenant que Tristan et Iseut étaient victimes du philtre de la reine, leur pardonne et les réunit dans le même tombeau.
• Chez Béroul, la passion de Tristan et Iseut, par son caractère fatal et charnel, est tout à fait étrangère à l'esprit courtois qui exige choix et raisonnement (cf. Lancelot). En développant les hésitations morales de Tristan, Thomas a au contraire maintenu un certain tour courtois dans cette aventure qui reste de toute façon le symbole de l'amour-passion voué au malheur.


TRISTAN ET ISEUT Milieu Xlle-début XIIIe siècle. Thème commun et titre de plusieurs romans bretons du Moyen Âge. « Bretons » (c’est-à-dire originaires des régions celtiques : Irlande, pays de Galles, Cornouailles, et Armorique proprement dite) ; ou « français » ? De création populaire, ou savante ? Les spécialistes en discutent encore. Disons que la réponse est sans doute la même qu’au problème, tout aussi insoluble, du folklore chanté. Un récit (ou un simple thème) d’origine populaire, et par suite de caractère uniquement oral, a pu être, un jour, couché sur le papier par un auteur « savant », c’est-à-dire un lettré, un poète, qui ont à coup sûr apporté beaucoup d’eux-mêmes à la légende initiale, tant dans la manière (qui est l’essentiel) que dans la matière proprement dite : épisodes et péripéties, très différents d’une version à l’autre. Par exemple (dans la version Béroul) le « tribut » de jeunes garçons et de jeunes filles exigé par le géant Morolt ; cas typique de la réminiscence savante puisque empruntée à la légende grecque de Thésée. Ou encore (souvenir de l'Odyssée), dans le Tristan anonyme de 1190, l’épisode du chien, qui, seul, reconnaît le héros déguisé. Chrétien de Troyes se vante, au seuil de son Cligès, d’avoir à cette date (c’est-à-dire avant 1150-1160 environ) composé déjà : « ... Érec et Énide / Et les Commandements d'Ovide, / Le Roi Marc et Iseut la Blonde... » ; d’où l’on a pu conclure (le médiéviste Gustave Cohen, en particulier) que Chrétien s’est avisé le premier de faire rentrer cette légende dans la littérature. Mais l’œuvre est perdue, et les textes qui nous restent s’échelonnent comme suit : Tristan de Béroul (environ 1165-1170) ; Tristan de Thomas (environ 1170-1175) ; Folie Tristan (deux versions anonymes ; environ 1175 et 1190) ; Tristan en prose (anonyme ; environ 1230). L’orphelin Tristan vit chez son oncle, le roi Marc ; son premier exploit de chevalier sera de fendre le crâne du géant Morolt. Blessé, il est guéri par un baume que lui a confectionné la sœur même du Morolt. Nouvelle prouesse de Tristan : il ira de par le monde, pour le compte du roi Marc, chercher la belle dont un cheveu d’or, porté par une hirondelle, est naguère entré par une fenêtre du palais royal. Après force coups d’épée, et force coups de rame de la nef royale, il découvre la belle aux cheveux d’or : c’est Iseut. Au cours du voyage qui les ramène vers le roi, Iseut apprend que le meurtrier du Morolt est Tristan lui-même ; et dès lors elle décide de le tuer à son tour. Mais le breuvage mystérieux qu’elle lui fait boire est un boire d’amour et non pas un boire de mort comme elle l’avait prévu. Or elle y a aussi trempé les lèvres ; ils vont dès lors, malgré eux, s’abandonner à la plus irrépressible des passions. Dénoncés, condamnés au bûcher, ils s’enfuient dans la forêt, où Marc, qui les surprend, endormis, s’apprête à les châtier, lorsqu’il s’aperçoit qu’une épée les sépare. Tristan rendra Iseut au roi et s’éloignera, en Armorique, où, blessé au cours d’un combat, il doit de nouveau faire appel au baume magique d’Iseut. Elle arrive, mais trop tard ; alors elle s’étend auprès du corps de son ami, et meurt. Nous avons passé sur les épisodes secondaires qui distinguent les différentes versions : combat contre le dragon, intervention du « chevalier couard », noces du héros avec une autre Iseut « aux blanches mains », apparitions brèves mais répétées, à la cour du roi Marc, de Tristan déguisé tour à tour en lépreux et en bouffon (ce qui sera la matière principale de la Folie Tristan). L’analyse ci-dessus ne conserve donc que les éléments communs, partant de ce principe que l’intérêt des romans de Tristan ne réside pas dans les péripéties, différentes de l’un à l’autre, mais dans leur ton, dans leur caractère. Les deux plus célèbres, celui de Béroul et celui de Thomas, sont, par exemple, du point de vue de leur « tonalité », presque antithétiques. Béroul (jongleur normand, sans doute) est naïf, gauche parfois, mais pathétique et puissant, violent même ; tandis que Thomas (clerc anglo-normand qui semble avoir vécu dans l’entourage de la reine d’Angleterre, Aliénor d’Aquitaine) excelle dans le jeu subtil des idées métamorphosées en images : sensible, sensuel aussi, mais (trop friand de notations et d’observations concrètes pour être dupe du surnaturel qui fait le fond de cette légende) il a tendance à faire une part un peu avare aux épisodes « magiques ». Au total, l’un se révèle plus populaire, et par là à mi-chemin de la légende primitive, orale ; le deuxième, plus lettré, plus artiste. C’est d’ailleurs sous une forme nouvelle que l’histoire de Tristan et d’Iseut (la plus belle sans doute de toute la littérature médiévale) reste vivante de nos jours au niveau du lecteur « non spécialiste ». On sait que le médiéviste Joseph Bédier, en 1900, imagina de fondre en un récit unique, en prose et en français moderne, les romans de Tristan. Par lui, une œuvre de notre littérature médiévale est devenue accessible au profane. L’expérience a d’ailleurs été renouvelée, avec le même succès, par le poète André Mary en 1937. ■ Œuvres En poche: Tristan, adapt. de l'ancien français par André Mary (Folio). - Autres : Tristan de Béroul, éd. par E. Muret et L.-M. Defourques (Classiques français du Moyen Âge, 1947). - Tristan de Thomas, éd. par B. H. Wind (Textes littéraires français, 1960). - Folie Tristan (les deux versions), éd. par E. Hoepffner (Les Belles Lettres, 1949; et tome II, 1963). - Le Roman de Tristan et Iseut, adapt. par J. Bédier (1900; rééd. 1946, Piazza, coll. Épopées et légendes). - La Folie Tristan, adapt. par G. Lély (Pauvert, 1964). ■ Critique- G. Cohen, Le Roman au XIIe siècle (Centre de documentation universitaire, 1953). - F. Barteau, Les Romans de Tristan et Iseut. Introduction à une lecture plurielle (Larousse, 1972).


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