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TRAVAIL

TRAVAIL La division du travail, les conflits et les débats qu’elle a provoqués, auront marqué les relations entre employeurs et salariés, et les sciences sociales au xxe siècle, tout autant qu’au xixe siècle. Avec la création des manufactures capitalistes était apparue une forme nouvelle. Les métiers complets, correspondant généralement à un produit, y étaient divisés en métiers particuliers, organisés et coordonnés par un maître ouvrier, sous l’autorité de l’entrepreneur. Adam Smith (1723-1790) n’avait vu toutefois dans cette division du travail que le prolongement logique de la division en métiers indépendants, résultant de la propension humaine universelle à échanger. Pour Karl Marx (1818-1883) en revanche, la division du travail au sein des entreprises capitalistes introduisait, écrivait-il, une division durable, et toujours plus importante, entre la partie manuelle et la partie intellectuelle du travail. Dans les fabriques mécanisées, le maître ouvrier, maîtrisant la fabrication du produit en son entier, était remplacé par l’ingénieur et le contremaître, et l’ouvrier de métier particulier par l’ouvrier professionnel sur machine et par le manœuvre. En dépossédant progressivement les salariés de l’intelligence et de l’organisation de leur travail, elle permettait à l’entrepreneur de faire prévaloir ses objectifs et ses priorités et s’expliquait en définitive par l’émergence et la diffusion d’un nouveau rapport social, le rapport capital-travail. À la fin du xxe siècle, le débat sur la nature, l’origine, l’évolution et les conséquences de la division du travail n’était toujours pas tranché, bien qu’il eût sensiblement progressé. Capitalisme et division du travail. Émile Durkheim (1858-1917) et Max Weber (1864-1920) critiquèrent l’interprétation « économiste » de la division du travail, mettant en avant la singularité de l’Occident par rapport aux sociétés « primitives » ou aux autres civilisations. Pour É. Durkheim, la division du travail social, en spécialisant et en différenciant les individus, créait entre eux un système de droits et de devoirs débordant largement la sphère économique. Elle leur imposait un lien social, caractéristique des sociétés modernes, qui les rendait tout à la fois autonomes et solidaires. M. Weber, au contraire, a essayé de comprendre la spécificité de la division du travail dans les sociétés occidentales modernes. La typologie des « rapports au monde » qu’il a élaborée à partir des grandes religions l’a conduit à conclure que seul l’Occident avait développé un type de rationalité visant la prévisibilité des actions humaines comme des phénomènes physiques, grâce à l’édiction de lois, de procédures et de règlements impersonnels, s’imposant à tous. L’organisation capitaliste du travail et la bureaucratie administrative n’étaient pour lui que des sous-ensembles d’une culture particulière. Les limites de la rationalisation taylorienne. Ces vastes interprétations perdirent de leur actualité devant l’accélération considérable de la division du travail à partir de la Première Guerre mondiale, avec la diffusion des machines-outils spécialisées, le développement des méthodes dites d’« organisation scientifique du travail » (OST), impulsées par Frederick Winslow Taylor (1856-1915), et la généralisation du travail à la chaîne à la suite des succès d’Henry Ford (1863-1947). L’ingénieur généraliste a alors été remplacé par le bureau d’études des produits et le bureau des méthodes de production, composés d’ingénieurs spécialisés, de dessinateurs, de techniciens et de préparateurs du travail. Les ouvriers professionnels sur machine et les manœuvres disparurent au profit des ouvriers qualifiés d’entretien et des opérateurs sans qualification. La sociologie du travail naissante a cherché à montrer les limites de l’efficacité de la rationalisation taylorienne et ses conséquences sur les salariés. L’euphorie moderniste, qui s’est emparée d’une partie de la population avec le développement de la consommation de masse après la Seconde Guerre mondiale, a toutefois fait prévaloir jusqu’au milieu des années 1960 une thèse optimiste fondée sur les nécessaires bienfaits, à terme, du progrès technique. La décomposition des tâches en opérations élémentaires serait une étape nécessaire pour éliminer l’empirisme et pour recomposer ensuite le travail rationnellement, notamment sous forme de machines. Celles-ci libéreraient les travailleurs des opérations sans intérêt et physiquement épuisantes et permettraient de leur donner des tâches plus intellectuelles de surveillance, de conduite et d’entretien. Déjà, au xixe siècle, certains penseurs (notamment Pierre Joseph Proudhon, 1809-1865) avaient espéré de la mécanisation un tel miracle. Bien que leurs prévisions aient été infirmées, elles ont été reprises un siècle plus tard à propos de l’automatisation. Les régimes communistes de l’Europe de l’Est partagèrent le même optimisme scientiste, important massivement, à partir des années soixante, techniques et méthodes de production des pays capitalistes. Mais les ruptures constantes d’approvisionnement et l’absence de maîtrise par les directeurs d’usines des investissements de la masse salariale et du recrutement ne permirent pas d’atteindre des résultats comparables en termes de coûts, de qualité et de productivité. Les techniques et les méthodes n’ont pas d’efficacité intrinsèque sans le rapport social qui va avec et pour lequel elles ont été conçues. L’évolution des recherches et des débats. La crise du travail et de la productivité, qui a marqué les pays industrialisés au tournant des années 1970, a de nouveau relancé recherche et réflexion sur la division du travail. Il est possible d’identifier trois positions majeures. La première a mis en cause le « productivisme » qui aurait inspiré entrepreneurs, syndicalistes, dirigeants politiques, scientifiques et une bonne partie de la population, les poussant à promouvoir ou à accepter la production de masse indifférenciée et donc une division du travail toujours plus forte. Seul le passage à une production de qualité, diversifiée, respectueuse de l’environnement et socialement contrôlée pourrait inverser la division du travail et dégager du temps pour des activités créatives et relationnelles. La deuxième position est issue d’une relecture de Marx. Le rapport capital-travail ne serait pas un rapport « économique », mais un rapport social, transformant toutes sortes d’activités, et les capacités humaines qui leur sont liées, en marchandise. La division de la conception et de l’exécution qui le caractériserait serait au principe des techniques productives comme de l’organisation du travail. L’automatisation capitaliste, loin de redonner une compréhension et une maîtrise du processus de production au plus grand nombre des salariés, réduirait au contraire leur pouvoir d’appréciation et d’intervention. La division de l’intelligence du travail n’aurait pas de fin, tant que perdurerait le rapport capital-travail, malgré la disparition d’emplois d’« exécution » avec l’automatisation. En effet, les travailleurs « surqualifiés », nés de la phase précédente de la division du travail, connaîtraient à leur tour un processus de déqualification des uns par surqualification des autres, notamment dans le secteur tertiaire et le tertiaire supérieur. À cette thèse, ont été opposés les degrés différents de division du travail observables à une époque donnée, toutes choses étant plus ou moins égales par ailleurs. La troisième position rassemble précisément tous ceux qui considèrent que ces variations interdisent de dégager un quelconque sens à l’évolution du travail. Le degré de division entre la conception et l’exécution dans les entreprises varierait selon les rapports de force sociaux et politiques, les choix socio-techniques des entreprises, la structuration des sociétés, la culture nationale, le type de demande, le modèle industriel dominant, taylorisme versus toyotisme, ou selon des conventions sociales. Ces auteurs n’en concluent toutefois pas que la division de l’intelligence du travail a été supprimée ; ils font l’hypothèse qu’elle pourrait l’être si certaines des tendances qu’ils décèlent étaient prolongées. La crise du toyotisme au début des années 1990, auquel a été prêté le mérite d’avoir dépassé le taylorisme et le fordisme, réputés avoir porté à son paroxysme la division du travail, montre cependant qu’il convient d’analyser attentivement le contenu effectif du travail et de la relation salariale. Une nouvelle analyse a émergé de recherches traitant des transformations que les firmes automobiles ont connues depuis la fin des années 1960 (travaux du réseau international GERPISA - Groupe d’études et de recherche sur l’industrie et les salariés de l’automobile). Il en ressort que les variations de la division du travail observables au sein de ces firmes ne seraient ni culturelles, ni sociétales, ni relevant de conventions sociales, mais dépendraient des « compromis de gouvernement d’entreprise » construits entre direction, syndicats, salariés, actionnaires et fournisseurs pour mettre en œuvre de manière cohérente les « stratégies de profit » possibles dans un environnement donné. Ces variations se feraient toutefois dans des limites imposées par les machines, telles qu’elles sont conçues, ou par le rapport capital-travail lui-même. Débat sur l’origine et la fin du travail. Les enquêtes menées sur les formes de division du travail observables sous d’autres rapports sociaux ont abouti à un résultat inattendu. La réalité moderne du travail aurait été en fait projetée sur des activités qui pouvaient lui ressembler dans d’autres sociétés ou à d’autres époques, alors que l’on n’y trouve ni le mot pour le désigner, ni même la notion pour le penser. De fait, on peut quotidiennement constater qu’une même activité peut être considérée dans nos sociétés comme du travail ou du non-travail, selon le rapport social sous lequel cette activité est effectuée : rapports domestique, associatif, marchand, capitaliste, par exemple. Tout laisse à penser que le travail est en fait une réalité récente, apparue avec le salariat et s’étant généralisé avec lui, au point d’en être naturalisé et universalisé, et de désigner un nombre toujours plus grand d’activités qui ne relèvent pas du rapport social qui l’a fait naître. L’instauration en Europe, au xviiie siècle, de deux nouvelles libertés dans certains domaines de la vie en société : la liberté d’acheter et la liberté de vendre non seulement des biens et des services, mais surtout des capacités individuelles et collectives pour les réaliser, a transformé les activités concernées en travail et les moyens pour les effectuer en capital à valoriser. Mais ces deux libertés portaient en elles l’incertitude du marché et l’incertitude du travail, et les rendaient interdépendantes. Le capitaliste ne peut en effet être assuré d’obtenir de ses salariés la production voulue en temps, qualité, coût et délais en toutes circonstances, ni de vendre ce qu’il a fait produire. La gestion capitaliste a pour objet en définitive la réduction de ces deux incertitudes, afin d’obtenir le niveau de profit visé. Concernant l’incertitude du travail, il n’est que deux voies pour la réduire : établir un contrat de confiance durable avec les salariés, leur laissant le pouvoir de coopérer librement, ou bien diviser socialement l’intelligence du travail, afin de limiter la part d’appréciation des salariés, en faisant du salarié un appendice de la machine et non de la machine une aide au déploiement de ses capacités personnelles (sauf dans la partie de la conception non encore divisée). Force est de constater que c’est la seconde qui a historiquement prévalu dans tous les secteurs et pays où le capitalisme a été diffusé, au point que la première paraisse totalement « irréaliste » et contraire à la « modernité » industrielle. Compromis de gouvernement d’entreprise et stratégies de profit. Si le marché « libre » et le capital à valoriser ont donné une impulsion considérable au changement technique, le travail « libre » et l’incertitude qui l’accompagne ont conduit à des techniques productives dont les formes matérielles successives ont progressivement imposé et consacré la division de l’intelligence du travail. Ce processus de matérialisation n’atteint pas toujours immédiatement son but et il n’est jamais achevé. Outre qu’il engendre des dysfonctionnements coûteux dans la phase de mise au point des nouvelles techniques, il affecte ensuite le travail qualifié, né de la déqualification d’une partie du travail antérieur. Il reste donc toujours, pour le capitaliste, de l’intelligence et par conséquent de l’incertitude à gérer au quotidien. C’est cette part qui fait l’objet d’une plus ou moins grande division, selon l’organisation du travail choisie. Ce choix relève du « compromis de gouvernement d’entreprise ». Or, celui-ci ne se construit pas seulement à propos de l’organisation du travail, mais concerne l’ensemble des moyens à trouver pour mettre en œuvre de manière cohérente la stratégie de profit de la firme : à savoir la politique produit, l’organisation productive et la relation salariale. Les firmes ne font pas toutes en effet du profit de la même façon. Elles combinent les sources de profit (volume, diversité, qualité, innovation, flexibilité, réduction des coûts) dans des proportions différentes, selon les stratégies profitables et les « compromis » possibles. La pertinence des différentes stratégies dépend in fine des modes de croissance et de distribution des revenus nationaux, selon qu’ils privilégient la consommation interne, l’investissement ou les exportations et selon qu’ils répartissent le revenu obtenu de manière coordonnée, contractuelle et prévisible ou bien en fonction des rapports de force locaux, sectoriels et professionnels. Les acteurs de l’entreprise n’ont, dès lors, d’autre solution pour en assurer la pérennité que de s’entendre sur les moyens temporairement acceptables par tous pour mettre en œuvre de manière cohérente une des stratégies possibles. Ils ont en revanche à veiller à ce que les solutions adoptées préservent ou favorisent les perspectives qui leur sont propres : la reproduction du rapport capital-travail pour les uns, son dépassement ou son élimination pour les autres. Le travail, comme la division de son intelligence, n’aurait dès lors de fin possible qu’avec la disparition du rapport social qui les a engendrés.  

travail, activité physique ou intellectuelle que la société exige ou que l’on s’impose en vue d’un but déterminé. Pratiqué librement et avec goût, le travail peut être enrichissant. Mais, par son caractère contraignant et, surtout, quand la machine n’exige plus de l’ouvrier que des automatismes bien réglés, le travail peut être source d’inadaptation. Le plus souvent, il contribue à la bonne insertion sociale de l’homme en lui procurant une occupation régulière, qui le valorise par rapport à ses semblables et lui donne la possibilité d’accéder à l’autonomie financière. Dans la thérapeutique des maladies mentales, le travail, dépouillé de son caractère frustrant et trop astreignant, a même conquis une place importante (ergothérapie). Pour le rendre accessible à des sujets handicapés physiquement ou mentalement, dont l’intégration dans un milieu normal est impossible, on modifie le travail dans sa technique et dans son rythme. Ce que l’on appelle « travail protégé » constitue une transition entre la convalescence et la vie normale ; il est une étape utile, sinon nécessaire, vers la réadaptation professionnelle d’anciens malades, guéris mais encore imparfaitement adaptés à la vie sociale ordinaire.

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