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tragédie

tragédie
Poème dramatique développant une action sérieuse et s'achevant par la mort d'un ou de plusieurs protagonistes.
Commentaire
À l'origine, d'après une des interprétations de son étymologie, la tragédie aurait accompagné le sacrifice d'un bouc. Dans la Grèce antique, on venait de partout à la ronde assister à ce mystère sacré en l'honneur du dieu Dionysos. Il est étonnant de constater d'ailleurs que la difficulté du texte n'empêchait pas le genre d'être populaire. De son origine, la tragédie a gardé un caractère sanglant, le texte tragique paraissant être une lente marche vers le sacrifice rituel. La tragédie se définit souvent par rapport à la comédie : elle n'évoque pas de situations quotidiennes, elle ne met pas en scène des personnages ordinaires. Ses protagonistes sont des rois ou des stratèges ; ses situations engagent le sort d'un pays, la vie d'un peuple ou d'une communauté. La tragédie classique a poursuivi la tradition antique, alors que l'époque romantique a préféré le drame, plus conforme à la sensibilité postrévolutionnaire.
Citations Dans l'ensemble, la tragédie grecque gagne donc bien une résonance particulière de ce qu'elle a gardé un contact constant avec les réalités politiques de la vie publique, tout comme elle gagne une force plus âpre de ce qu'elle a gardé le contact avec les grands mythes originels ; mais pas plus dans un cas que dans l'autre, elle ne se confond avec la matière qui lui est ainsi fournie. Sa vraie portée vient de l’interprétation humaine qu'elle donne des mots évoqués. Et seule cette interprétation définit vraiment le tragique. (Jacqueline de Romilly, la Tragédie grecque.) Heureusement la tragédie, telle qu'elle existe, est si loin de nous, elle nous présente des êtres si gigantesques, si boursouflés, si chimériques, que l'exemple de leurs vices n'est guère plus contagieux que celui de leurs vertus n'est utile, et qu'à proportion qu'elle veut moins nous instruire, elle nous fait aussi moins de mal. (Jean-Jacques Rousseau, Lettre à M. d'Alembert.) Le domaine interdit est le domaine tragique, ou mieux, c’est le domaine sacré. L'interdit divinise ce dont il défend l'accès. Il subordonne cet acte à l'expiation — à la mort —, mais l'interdit n'en est pas moins une invite, en même temps qu'un obstacle. (Georges Bataille, la Littérature et le mal, « Emily Brontë ».)
TRAGÉDIE, n. f (sens courant) Catastrophe sanglante, qui semble le plus souvent l’aboutissement d’une série d’événements implacables. (sens littéraire) La tragédie classique est une œuvre dramatique dont les éléments constitutifs sont les suivants : — le sujet est noble, grave : il met en scène des personnages illustres, tirés de l’Histoire ou de la Légende, qui vivent des actions hors du commun ; — l’histoire aboutit toujours à un dénouement douloureux, marqué par le malheur ou la mort, fruit du Destin, qui conduit fatalement les héros à l’échec, quoi qu’ils puissent entreprendre pour l’éviter; — le spectacle met en scène les plus fortes passions humaines (l’amour, la haine, le goût du pouvoir, le désir de défier le destin ou les dieux), de façon à susciter chez le spectateur la compassion pour les victimes, l’horreur devant le crime ou la démesure, l’admiration face aux conduites sublimes (voir le mot sublimé) ; — le style est relevé, aussi «noble» que les personnages, et ne supporte pas le mélange des genres : aucun élément prosaïque ou comique ne doit ternir la pureté du poème tragique, qui est le plus souvent écrit en vers; — l’action, enfin, doit respecter la « règle des trois unités», de manière à donner le maximum de force et de vraisemblance à la cérémonie tragique (unité de lieu, unité de temps, unité d’action). Notons que la gravité et la tension de la tragédie n’excluent pas ce qu’on appelle l’ironie tragique, qui peut consister en l’attitude méprisante et railleuse que le héros adopte à l’égard du propre destin qui l’écrase, mais aussi prendre la forme d’un Sort cruellement moqueur à l’égard du héros qui en est dupe (pensons au cas d’Œdipe, qui promet à son peuple de châtier de façon exemplaire le meurtrier de Laïos, en ignorant qu’il est lui-même le coupable et que Laïos est son propre père!).
TRAGEDIE nom fém. — Œuvre dramatique en vers mettant en scène, conformément à certaines règles, des personnages illustres déchirés intérieurement par le destin qui les frappe ou les passions qu’ils éprouvent. ÉTYM. : du grec tragôidia. Se rattache à tragos = « le bouc ». La tragédie est née du dithyrambe dionysiaque. Le chœur qui exécutait ce dithyrambe était composé d’interprètes jouant le rôle de satyres à pieds de bouc, compagnons habituels de Dionysos.
La tragédie naît en Grèce et s’y épanouit avec les œuvres d’Eschyle, Sophocle et Euripide. Le modèle antique sera longtemps la référence essentielle et il exercera une influence considérable sur l’histoire du théâtre occidental. Outre les textes qui sont parvenus jusqu’à nous - des cent vingt œuvres de Sophocle, seulement sept ont été conservées —, la tragédie grecque a été connue à travers la théorie qu’en formule Aristote dans sa célèbre Poétique. Pour lui, la tragédie doit présenter au spectateur des événements qui font naître en lui des sentiments de pitié et de peur par lesquels s’accomplit la catharsis. À cette fin, elle doit mettre en scène un héros qui sombre dans le malheur. À partir de 400 av. J.-C., la tragédie disparaît en Grèce et si l’on excepte, à Rome, les œuvres de Sénèque qui exercèrent une influence considérable sur le théâtre anglais, elle ne réapparaîtra pas avant la Renaissance. Au moment où, dans un nouveau contexte religieux, les moralités et les mystères du Moyen Age cessent de séduire, les poètes de la Pléiade se retournent vers le modèle antique et, s’inspirant du théâtre latin, favorisent l’émergence de la tragédie au XVIe siècle. On soulignera tout particulièrement parmi les pièces de cette époque - outre la Cléopâtre captive de Jodelle qui, en 1553, ressuscite le genre - Les Juives (1583) de Robert Garnier. Le grand siècle de la tragédie en France reste cependant le XVIIe. Face à l’exubérance baroque de certaines pièces, s’impose progressivement un corps de règles qui va donner son visage à la tragédie classique : respect des trois unités, vraisemblance, bienséance, etc. Corneille proclame que la tragédie doit choisir comme sujet « une action illustre, extraordinaire... » et traiter de « quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour» même si l’amour y a sa place dans l’intrigue. Racine, quant à lui, fait de la passion la forme essentielle d’une fatalité qui déchire les êtres et les enferme dans le cercle de leur destin. Tous deux portent la tragédie à son degré le plus haut de perfection. Au XVIIIe siècle, la tragédie, certes, ne disparaît pas, comme en témoigne, par exemple, l’œuvre de Voltaire. Mais toujours fidèle à la lettre du classicisme sans être encore habitée par son esprit, elle décline indubitablement. Le XIXe siècle verra l’apparition de nouvelles formes théâtrales dont le drame romantique qui se construit par le refus même du modèle tragique tel que celui-ci avait été fixé par l’esthétique classique.
—► Catharsis - Drame - Théâtre

tragédie (gr. tragôdia). La tragédie antique, représentée à Athènes pendant les fêtes dionysiaques et surtout lors des Grandes Dionysies, fut l'une des grandes manifestations intellectuelles du Ve siècle av. J.-C.. Le mot tragédie vient du grec tragôdia, « chant des boucs», mais aucune explication satisfaisante de ce nom n'a pu être trouvée. Il pourrait se référer soit à un chant de satyres dont les exécutants portaient un déguisement de boucs, soit à un hymne chanté au cours du sacrifice d'un bouc, soit encore à un chant interprété lors d'une fête campagnarde ayant pour prix un bouc ; mais aucune de ces interprétations n'est vraiment convaincante. 1. L'origine de la tragédie grecque. Les tragédies que nous possédons proviennent d'Athènes, au point qu'on la considère souvent (mais pas toujours : voir infra) comme une invention at-tique. Il est cependant extrêmement difficile d'en retracer l'histoire à l'époque archaïque. Plusieurs théories sur ses origines circulaient dès l'Antiquité. Aristote, dans la Poétique, la faisait remonter aux chants improvisés par ceux qui menaient le choeur exécutant le dithyrambe (poésie lyrique chorale, chantée et dansée en l'honneur de Dionysos). Aristote rapporte que la tragédie était parfois considérée comme une évolution des « chants choraux» du Péloponnèse (dorien). Il est certain que le chant choral resta un élément important de la tragédie et le dialecte des choeurs, le dorien littéraire, montre bien que l'élément choral avait pris naissance dans une région dorienne (voir dialectes). Mais le drame requiert des acteurs; le mot grec pour acteur, hypocritès, peut signifier «celui qui répond», et c'est la réponse de l'acteur aux questions du choeur qui introduisait l'alternance des chants et le drame (voir choeur). Or, une tradition suivie par Horace dans l'Ars poetica attribuait l'introduction de l'acteur à Thespis, originaire d'Icaria en Attique, qui gagna un concours dramatique à Athènes en 533 ou peu avant. La tragédie attique ne serait donc pas apparue avant la deuxième moitié du vie siècle av. J.-C.
La tradition qui donne à la tragédie une origine péloponnésienne attribue un rôle décisif dans l'élaboration du drame à Arion, poète qui, peut-être dès la fin du viie siècle, aurait également modelé la forme littéraire du dithyrambe et mis sur scène des «satyres parlant en vers». Aristote aussi voyait dans la dignité de la tragédie le résultat de l'évolution du style des
pièces satyriques (voir satyrique, drame). Les satyres et la tragédie n'ont cependant pas grand-chose de commun et si Arion fournit un lien ténu entre le dithyrambe, la pièce satyrique et la tragédie, cela ne permet pas de voir si le dithyrambe et la tragédie attiques ont bien la même origine que les pièces satyriques, ni jusqu'à quel point les représentations chorales péloponnésiennes ont évolué vers la forme dramatique. Aucune innovation aussi décisive que l'introduction de l'acteur par Thespis n'est attribuée à Arion.
En 472, date de la plus ancienne pièce d'Eschyle qui nous soit connue, Les Perses, la tragédie avait acquis la dignité et le sérieux dont parle Aristote, par son implication dans tout ce qui affectait la condition humaine face à l'ordre divin (pour les conceptions d'Aristote en matière de tragédie, voir poétique). On ne sait à quel point cette évolution est redevable à Eschyle lui-même car nous ignorons presque tout de ses prédécesseurs et contemporains (voir infra, 4). À partir de ce moment, l'intrigue des tragédies fut presque toujours adaptée d'un épisode de la mythologie, et l'influence d'Homère y est sensible (pour des exceptions notables, voir perses, les; phrynichos et AGATHON).
2. Les représentations tragiques en Grèce. À Athènes, jusqu'à l'époque hellénistique, les tragédies n'étaient représentées que dans un contexte religieux, à l'occasion des concours dramatiques qui accompagnaient les fêtes de Dionysos (pour la relation étroite entre le dieu et les concours dramatiques, voir DIONYSIES et DIONYSOS, théâtre de). Les pièces n'étaient donc visibles qu'un nombre limité de fois durant l'année, et pour une seule représentation à chaque fois : essentiellement lors des Grandes Dionysies (ou Dionysies urbaines) au mois de
mars, accessoirement au concours dramatique des Lénéennes du mois de janvier, enfin lors de Dionysies rurales où certaines pièces pouvaient être reprises. Au Ve siècle, les seules tragédies jouées une seconde fois aux grandes Dionysies étaient des versions corrigées de pièces représentées une première fois sans succès, comme ce fut le cas de l'Hippolyte d'Euripide; les comédies cependant étaient peut-être reprises plus souvent que les tragédies. Seules les pièces d'Eschyle bénéficièrent d'une dérogation à cet usage: à la mort du poète, il fut décrété que quiconque le souhaitait pouvait les monter pour les Grandes Dionysies. À partir de 386 av. J.-C. il devint possible de représenter aussi les tragédies anciennes des autres auteurs, et cette autorisation fut étendue aux comédies en 339.
Institués sans doute par le tyran Pisistrate et ses fils dans les années 530, les concours dramatiques des fêtes de Dionysos étaient organisés sous le contrôle de la cité : le magistrat chargé de les superviser était l'archonte éponyme pour les Dionysies, et l'archonte roi pour les Lénéennes (comparer à comédie 1, 1). L'archonte choisissait trois poètes tragiques parmi tous ceux qui se présentaient et «accordait un choeur» à chacun d'eux, autrement dit leur donnait la permission de concourir pour le prix du meilleur tragique ; un acteur principal, le « protagoniste », tiré au sort dans un groupe de trois acteurs choisis et payés par la cité, était alloué à chaque compétiteur. Tous les autres frais, en particulier l'entraînement et l'entretien du choeur, étaient à la charge des chorèges (voir chorégie). Chaque poète présentait trois tragédies (une trilogie) suivies d'une pièce satyrique, l'ensemble formant une tétralogie (les termes de trilogie et tétralogie furent mis en usage
par les érudits alexandrins). Un jury de cinq membres, tirés au sort sur des listes de citoyens élus dans chaque tribu, attribuait le prix; ses décisions étaient certainement influencées par les réactions du public. Le poète vainqueur recevait une couronne de laurier ; à partir du milieu du Ve siècle, le meilleur des trois «protagonistes» reçut également un prix. Les acteurs aussi bien que les membres des choeurs étaient des hommes, citoyens athéniens; plus tard, les métèques purent participer aux pièces présentées aux Lénéennes.
3. Structure de la tragédie grecque. La tragédie était composée de deux éléments : des chants choraux en mètres lyriques, avec accompagnement musical, et des dialogues dramatiques versifiés, le plus souvent en trimètres iambiques. Les deux aspects étaient parfois mêlés dans les récitatifs, quand un acteur, seul ou avec le choeur, parlait ou chantait accompagné par la musique : les tétramètres et vers iambiques étaient alors entrecoupés de vers lyriques. Un dialogue entre un acteur et le choeur, chacun chantant à son tour, était désigné sous le nom de kommos. Une tragédie comportait normalement les parties suivantes :
I. Le prologue (prologos), monologue ou dialogue qui précédait l'entrée du choeur et exposait le sujet du drame et la situation au moment de son ouverture. Le prologue est absent des tragédies les plus anciennes où l'action commençait avec l'entrée du choeur qui exposait la situation.
II. Le parodos, chant du choeur au moment de son entrée. Une fois entré, le choeur ne ressort généralement plus avant la fin de la pièce.
III. Les «épisodes» (epeisodia), scènes auxquelles participent un ou plusieurs acteurs et le choeur. Epeisodion
désignait sans doute à l'origine l'entrée d'un acteur qui annonçait quelque chose au choeur. Les épisodes pouvaient comporter des passages lyriques, comme des chants ou lamentations du choeur, mais restaient séparés les uns des autres par les chants choraux appelés stasima.
iv. Les stasima étaient les chants du choeur «se tenant à sa place», dans l'orchestra, par opposition au parodos chanté pendant qu'il faisait son entrée. Dans les premières tragédies, le stasi-mon avait un lien plus ou moins direct avec les événements ou les sentiments évoqués dans l'épisode qui le précédait, mais ce lien devint de plus en plus ténu et le poète Agathon semble avoir été le premier, à la fin du Ve siècle, à introduire des choeurs lyriques n'ayant plus aucun rapport avec l'action et convenant à n'importe quelle tragédie, appelés embolima (« interpolations ») par Aristote.
v. L'exodos, chant de sortie du choeur, était la scène finale, après le dernier stasimon.
L'importance du choeur, considérable dans les tragédies anciennes (souvent, chez Eschyle, il joue un rôle prépondérant dans le cours du drame), tendit à décliner au fur et à mesure que l'action se développait et que les acteurs devenaient plus nombreux dans les pièces. Il était généralement constitué de spectateurs de l'action : femmes, vieillards, appelés à sympathiser avec l'un ou l'autre personnage et à commenter les événements qu'ils ne pouvaient influencer mais qui les touchaient de près (dans les pièces anciennes) ou de loin (dans les autres), voire plus du tout (dans certaines tragédies d'Euripide). Les chants choraux, accompagnés à la flûte, étaient formés d'une alternance de strophes et d'antistrophes, parfois suivies d'épodes (voir triade). Le choeur était composé de douze chanteurs dans les pièces d'Eschyle, puis fut porté à quinze par Sophocle. Il adoptait une disposition rectangulaire (tandis que le choeur des dithyrambes était circulaire) et ses mouvements étaient réglés en conséquence. La tradition attribue à Phrynichos et Eschyle la mise au point de nombreuses danses pour le choeur, mais on ne sait pratiquement rien des évolutions qu'il accomplissait; leur caractère principal était l'emmeleia, une grâce empreinte de dignité et de gravité. La solennité du lyrisme choral tendit cependant à s'effacer au fur à mesure que la présence du choeur s'amenuisait. Des choeurs existaient encore dans les tragédies du début du IVe siècle, mais leur rôle était devenu minime et leur lien avec l'action extrêmement lâche.
La présence des acteurs ne cessa au contraire de se renforcer en même temps que l'action s'enrichissait. A l'acteur unique introduit par Thespis, Eschyle en adjoignit un second et Sophocle un troisième. À l'origine, les auteurs jouaient eux-mêmes dans leurs pièces : ce fut le cas de Thespis et d'Eschyle, et encore de Sophocle dans ses toutes premières tragédies (qui ne nous sont pas parvenues). À partir de ce moment, la hiérarchie des acteurs fut indiquée par leurs noms : protagoniste («premier acteur»), deutéragoniste («deuxième acteur») et tritagoniste. Le premier se voyait assigner le rôle le plus long et le plus difficile, ainsi que des rôles annexes qui pouvaient se combiner avec le premier. Tous les acteurs et choristes portaient des masques (dont l'introduction est parfois attribuée à Thespis) appropriés à leurs rôles ; il s'agissait peut-être là d'un trait hérité du culte de Dionysos, dont certains rituels comportaient le port de masques. Seul le joueur de flûte gardait le visage découvert.
Aucun masque du Ve siècle n'a survécu, mais les représentations sur les vases montrent qu'ils couvraient toute la face jusqu'aux oreilles. Ils étaient peints, et faits, semble-t-il, de toile rendue rigide avec du plâtre. Le port du masque autorisait un même acteur à jouer plusieurs rôles (y compris, naturellement, les rôles féminins), voire à deux acteurs de se partager un rôle. Dans Les Bacchantes d'Euripide, par exemple, Dionysos et le messager étaient sans doute joués par le même acteur, tandis que dans l'oedipe à Colone de Sophocle, le partage des rôles semble avoir été très complexe, Thésée ayant peut-être été joué par trois acteurs et Ismène par un acteur supplémentaire et silencieux (le kôphon prosôpon, «masque muet») — à moins qu'un quatrième acteur ait été exceptionnellement introduit. Des figurants silencieux existaient, connus sous le nom de « porte-lances » (doryphorè-mata). Ce serait Eschyle qui aurait donné aux acteurs un costume empreint de dignité ; à la fin du Ve siècle, ils portaient de lourdes robes à manches longues, descendant jusqu'à terre et richement ornées. En revanche, Euripide habillait ses acteurs de haillons quand l'action l'exigeait. Tous allaient pieds nus ou portaient de hautes bottes lacées, les cothurnes.
4. Les principaux tragiques grecs. Les prédécesseurs d'Eschyle furent Phrynichos, Pratinas et Choerilos; aucune de leurs pièces n'a survécu. Après Eschyle, Sophocle et Euripide, les plus connus sont Agathon, puis Ion de Chios et Critias ; il y en eut environ une douzaine d'autres qui furent couronnés de temps en temps au Ve siècle. Les successeurs des trois « grands » comportèrent quelques poètes de qualité : un Euripide le Jeune monta des pièces posthumes d'Euripide l'Ancien et écrivit lui-même.
Mais les conditions n'étaient plus les mêmes et l'inspiration, déjà plus rare au ive siècle, se tarit ensuite. On écrivait encore des tragédies à Athènes, à Alexandrie et ailleurs au IIIe siècle, mais tout ce qu'on en conserve sont les noms de quelques auteurs (inconnus par ailleurs) et une quarantaine de vers; le reste ne fut pas jugé digne d'être conservé.
5. La tragédie romaine. Pour les origines, voir comédie 2, 1. Livius Andronicus franchit une étape importante en 240 en portant sur scène des adaptations sommaires des tragédies et comédies grecques. Son contemporain Naevius créa, en s'inspirant des tragédies grecques, des fabulae praetextae traitant de l'histoire ou des légendes romaines. Ses successeurs Ennius, Pacuvius et Accius écrivirent également quelques praetextae, mais aussi des tragédies imitées des Grecs. Puis vint une période de déclin et la fin de la République ne vit plus aucun grand tragique. Sous Auguste, Asinius Pollion écrivit plusieurs tragédies qui ne nous sont pas parvenues, pas plus que Médée d'Ovide et Thyeste de Varius Rufus, deux pièces populaires glorifiées par Quintilien. L'époque de Néron vit apparaître les tragédies hautement rhétoriques de Sé-néque le Jeune, adaptées de pièces grecques, mais conçues pour des lectures publiques et non pour la scène. Le mètre le plus usité dans la tragédie romaine était le vers iambique sénaire , utilisé dans les dialogues ; tandis que les parties chantées recouraient simplement au mètre lyrique, adapté du grec. Le choeur, lorsqu'il y en avait un, se tenait sur la scène, contrairement au choeur grec, et participait davantage à l'action.
Horace se livre, dans son Art poétique (ou Èpître aux Pisons), à des considérations théoriques sur l'art d'écrire des tragédies, peut-être tout simplement parce que les Pisons auxquels est dédiée cette épître s'intéressaient à ce genre. Rome ne favorisa guère le développement de la tragédie. Les représentations ne faisaient pas partie, comme à Athènes, des fêtes religieuses et n'étaient pas ressenties comme un rituel religieux ou comme ayant une signification sociale. Il n'y avait aucune concordance entre l'assistance, peu homogène, et les conceptions religieuses, nationales, éthiques ou sociales du poète. Les sujets empruntés aux Grecs n'intéressaient pas réellement les spectateurs romains et les quelques tragédies ayant Rome pour sujet risquaient d'être censurées. La tragédie romaine était didactique et morale, elle devait inculquer énergie et vertu ; elle était appréciée en tant que manifestation oratoire et faisait parfois appel au sentiment national ou politique. Mais elle ne semble avoir engendré aucune oeuvre vraiment originale, ni possédé la subtilité ou la finesse de peinture des caractères propres aux originaux grecs. Quintilien estimait cependant la tragédie perdue de Varius, Thyeste, à la hauteur de la tragédie grecque. La tragédie romaine fut également étouffée par l'absence de vie politique sous l'Empire. Il était alors difficile pour les auteurs de choisir un sujet ne risquant pas d'être mal interprété par un empereur suspicieux.


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