Toucher
Comme plaire, toucher constitue, en rhétorique, à la fois un moyen et une fin. C’est évidemment d’abord un moyen. Dans quelque genre que ce soit, l’adhésion ne saurait être mieux emportée, en tout cas disposée à être emportée, que si l’on réussit à toucher les auditeurs. Dans le judiciaire, toucher est quelquefois même le seul moyen de s’en sortir, lorsque la situation est désespérée, et que toutes les procédures proprement argumentatives se sont révélées peu opérantes ; de toute façon, il est bon d’émouvoir les juges, quelles que soient les circonstances, et au début et, surtout, à la fin (à condition de les émouvoir dans le bon sens). Dans le délibératif, sans doute les choses sont-elles sous cet aspect moins sensibles ; mais toucher peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre dans les cas incertains. Dans le démonstratif, on peut considérer que toucher constitue une sorte de condition permanente de la qualité du discours, dans la mesure où le ton de ce genre est consubstantiel à sa matière : l’emphase ne saurait y éclater sans l’émotion. Comment toucher? Le moyen le plus naturel est l’appel aux passions. Ce recours est évidemment puissant : il détermine la part vive de la rhétorique, son moteur profond. Mais de quelles passions s’agit-il? Apparemment, la réponse est simple : il faut exciter les passions des récepteurs, des gens à qui l’on s’adresse. C’est la raison pour laquelle les passions constituent un grand canton de la rhétorique, zone de la mise en œuvre d’innombrables lieux. L’exercice de ce ressort permet ainsi d’orienter à sa guise le cœur des auditeurs ou des lecteurs, et donc de les conduire où l’on veut, attendu que la persuasion dépend décisivement du cœur. Mais ces passions sont d’autant plus faciles à exciter, et d’autant plus efficacement excitées, qu’elles paraissent authentiquement ressenties par celui qui parle lui-même. Semblablement, une apparente communauté morale fera sentir une affinité subjective, personnelle, entre l’orateur et son public : là aussi, ce qui compte, c’est de donner cette impression. La persuasion est donc conditionnée par le sentiment d’une harmonie éthico-pathétique, dont l’inclination entraîne inévitablement une même et identique réaction émotive. Il est inutile d’insister sur le rôle de cette inflexion majeure dans la pratique tendanciellement ou strictement littéraire : la création de l’émotion détermine, on le sait, l’une des conditions essentielles au ressentiment de la poéticité. La racine de l’art verbal génère obligatoirement une forte dose de transport des sens.
=> Orateur; genre, judiciaire, délibératif, démonstratif, persuasion, argument, lieu; moeurs, passions ; qualités, emphase; instruire, plaire.
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