TITO ET LE TITISME
TITO Josip Broz, dit (1892-1980)
Dirigeant communiste de la Yougoslavie.
Josip Broz est né dans le Zagorje, une région de collines au nord de Zagreb, d’un père croate et d’une mère slovène - il ne sera jamais un nationaliste croate. Sergent dans l’armée de l’Empire austro-hongrois, il combat face à l’armée serbe défendant Belgrade de septembre à décembre 1914. Transféré sur le front de Galicie, en face des troupes russes, il est fait prisonnier en mars 1915 ; cette période de sa vie en Russie orientera durablement ses choix. Le spectacle de la révolution soviétique, la rencontre avec des communistes, dont Sabic, collaborateur de Trotski, rentré comme lui en Croatie, déterminent son adhésion au nouveau Parti communiste de Yougoslavie après 1920.
La carrière communiste de J. Broz bénéficie d’une conjonction de facteurs favorables. Activiste pris par la police royale en 1928, son procès le fait connaître et les six années qu’il passe en prison lui permettent de se former au marxisme grâce à son compagnon de cellule, le philosophe Mosa Pijade (1890-1957). Il échappe ainsi également aux controverses entre trotskistes et staliniens. Sa sortie en 1934 lui permet, grâce à la complicité des autorités croates locales opposées au régime royal à tendance dictatoriale, de quitter la région, adoptant une série de pseudonymes, dont « Tito » sera le plus durable, probablement d’après Tito Brezobravski, un écrivain croate du Zagorje du XVIIIe siècle. Sa nomination au poste de secrétaire général par le Komintern en 1937 s’explique par la purge dont a été l’objet, tout autant que le parti polonais, le parti yougoslave à Moscou. Le nouveau Comité central s’installe pour quelques mois à Paris, dans le cadre d’une politique d’envoi de volontaires yougoslaves dans les Brigades internationales appuyant les républicains dans la guerre civile d’Espagne. Quelques centaines de communistes yougoslaves ont l’occasion de s’initier à la guerre comme Koca Popovic (1908-1993) ; ils formeront les cadres militaires des Partisans luttant contre l’État oustachi et les forces d’occupation. L’invasion de la Yougoslavie par les puissances de l’Axe en 1941 noue l’avenir de Tito. Le mouvement des Partisans, seul à recruter dans toutes les nationalités, manque, à un moment, de disparaître militairement (bataille de la Sutjeska en juin 1943), notamment à cause d’initiatives hasardeuses de Tito lui-même. Il est, en effet, un militaire sans génie mais non sans courage. Lors de la capitulation de l’Italie en septembre 1943, les Partisans récupèrent les armes de l’armée italienne et les territoires qu’elle occupait : le sort de la guerre est scellé.
La déclaration du Kominform (28 juin 1948) condamnant la politique de Tito, alors qu’il s’était efforcé d’être le plus stalinien des communistes, mais en gardant le contrôle de sa police politique, l’amène, après un an d’hésitation, à construire un nouveau modèle politique (autogestion, rencontres avec les États du tiers monde, fondateurs en 1961 du non-alignement). La grande réforme économique de 1965 et celles de 1974-1976 seront, elles, supervisées par d’autres. L’automne du patriarche Tito sera marqué par de nombreux voyages diplomatiques. Ses interventions de décembre 1971 destituant les dirigeants communistes croates trop favorables au maspok (« printemps croate ») et d’octobre 1972 destituant les dirigeants serbes « libéraux » prouvent son attachement désespéré à une Yougoslavie fédérale et communiste, laquelle tombera au terme d’un processus de désagrégation qui commence à sa mort en 1980 et s’achève dans les convulsions des guerres yougoslaves à partir de 1991.
TITISME
Le titisme n’est pas une idéologie : Tito ne chercha jamais à être, comme Mao ou Staline, à la fois dirigeant politique et idéologue. Si le maréchal fut certes secondé par des idéologues, dont Edvard Kardelj (1910-1979) qui constitua son plus durable soutien, le titisme fut contraint à l’« originalité » après la déclaration du Kominform (28 juin 1948) condamnant la politique de l’équipe titiste comme non conforme au marxisme-léninisme de Staline. En effet, les communistes sur lesquels comptait Staline n’ayant pas réussi à renverser Tito, ce dernier dut inventer une voie originale.
L'autogestion en fut la première expression. Une loi du 25 juin 1950 instaura les conseils ouvriers dans les entreprises, mais jusqu’en 1965, ceux-ci furent peu influents, car la planification centrale affectait les deux tiers des investissements (la réforme économique de 1965 supprime l’essentiel de cette planification). La Constitution du 21 février 1974, ainsi qu’une loi de décembre 1976 sur l’autogestion généralisée instaurèrent un système d’une grande complexité, où les conseils furent étendus aux secteurs des services ; ces deux réformes visaient à freiner toute dérive vers le libéralisme économique.
Le non-alignement fut la seconde originalité titiste. Le mouvement des non-alignés fut fondé en septembre 1961 à la conférence de Belgrade, mais les rencontres de Tito avec les chefs d’État du tiers monde, dont la conférence de Brioni (26 juillet 1956) avec Nasser et Nehru fut emblématique, dessinèrent la pratique d’une politique non-alignée. Cependant, celle-ci ne devint la règle qu’après la répression de Budapest (1956), où Tito, consulté par Khrouchtchev, avait fini, dans le discours de Pula (11 novembre 1956) par reconnaître que l’intervention soviétique « valait mieux » que la contre-révolution.
Si Tito a pu, contraint et forcé par l’exclusion de la Yougoslavie du Kominform, inventer une pratique originale du communisme, il le doit à la circonstance d’avoir pu apparaître comme le symbole de la résistance antinazie pendant la Seconde Guerre mondiale. L’enracinement du titisme dans beaucoup de régions de Bosnie, dans le sud de la Slovénie, dans la Dalmatie croate, dans le Monténégro et initialement dans le sud de la Serbie créa pendant plus de quarante-cinq ans des réseaux de fidélité suffisants pour empêcher toute prise du pouvoir par des prosoviétiques de stricte obédience ou des anticommunistes.