SYNDICALISME
SYNDICALISME
L’entrée dans le xxe siècle est marquée par les dernières manifestations spectaculaires du syndicalisme révolutionnaire : déclarations enflammées, attentats, tentatives de grève générale insurrectionnelle. La répression fait disparaître certaines des organisations qui s’en réclamaient, comme les Chevaliers du travail en Amérique du Nord. D’autres, comme la Confédération générale du travail (CGT) en France, adoptent une ligne plus réformiste. Dès lors, le syndicalisme révolutionnaire ne jouera plus qu’un rôle marginal, sauf en Espagne dans les années 1930.
Syndicalisme de métier et syndicalisme d'industrie.
Le syndicalisme a rarement occupé le devant de la scène à cause de ses divisions qui tiennent d’abord à l’affrontement en son sein de deux logiques d’organisation : le métier et l’industrie. Les salariés qualifiés monopolisent le syndicat de métier. Ils cherchent à contrôler l’embauche et négocient au niveau de l’entreprise, d’où leur puissance dans les secteurs proches de l’artisanat :Samuel Gompers (1850-1924), « patron » de la Fédération américaine du travail - American Federation of Labor (AFL), principale confédération d’Amérique du Nord, de 1886 à 1924 - est un ouvrier de la confection ; en France, la logique du métier domine le syndicalisme dans le livre et la presse, le spectacle, les ports et docks…À l’inverse, le syndicat d’industrie est ouvert à tous (en fait, les salariés sans qualification y sont majoritaires). Il privilégie le contrat et la négociation collective au niveau de la branche. C’est pourquoi il s’est développé là où l’industrie était fortement cartellisée, comme en Allemagne ou en Europe du Nord.
Le syndicalisme de métier, pour préserver l’unité de la profession, répugne à l’engagement politique : jusqu’en 1936, l’AFL refuse de donner une consigne de vote à ses membres ; en France, le Syndicat du livre est hostile au syndicalisme révolutionnaire et à l’engagement politique. À l’opposé, le syndicalisme d’industrie compense sa faiblesse sociologique par l’action politique. En Allemagne comme dans les pays scandinaves, les syndicats dominants sont sociaux-démocrates. Mais, dès avant 1914, ils obtiennent leur autonomie : dans leur sphère de compétence, les contrats collectifs et la gestion des institutions sociales notamment, ils décident sans en référer au parti. Ainsi deviennent-ils de véritables institutions sociales. Le Congrès des trade-unions britanniques (TUC) est un compromis entre ces deux tendances. Au début du xixe siècle, la majorité des syndicats britanniques se résolvent à la création du Parti travailliste (Labour Party), mais le modèle du métier continue à dominer : autonomie des sections d’entreprise et pouvoir quasi illimité de leurs responsables (shop stewards), contrats collectifs reconnaissant les qualifications et réservant l’embauche aux syndiqués… Le syndicalisme britannique se maintient ainsi jusqu’aux années 1970, non sans qu’on l’ait rendu en partie responsable du déclin économique précoce de la Grande-Bretagne.
À cette première fracture se sont ajoutés tous les chocs du siècle. Dans les années 1900-1920, l’opposition entre les laïcs et les chrétiens, et l’émergence d’une pensée sociale chrétienne conduisent à la création de syndicats confessionnels en Allemagne, en Belgique, en France, en Italie, aux Pays-Bas…
Lors de la Première Guerre mondiale, les principaux leaders se rallient à l’union nationale, au contrôle des prix, des salaires et à l’intensification de la production. Mais ils ne peuvent empêcher le développement du pacifisme. En contrepartie, ils obtiennent une législation sociale plus ou moins développée (en France, lois sur la journée de huit heures et sur les conventions collectives).
La rupture de la Révolution russe.
La Révolution russe introduit la deuxième grande coupure. En Union soviétique, après 1922, le syndicat est un organe d’État et un instrument d’encadrement des salariés. Pour le reste du monde, une Internationale syndicale « rouge » est fondée sur le modèle du Komintern. Les communistes doivent former des « noyaux » clandestins dans les syndicats existants pour en prendre la direction, y développer la propagande et le recrutement. Lorsque ces militants sont expulsés des syndicats, comme en France en 1921, ils forment un « syndicat rouge » (la CGT-Unitaire, ou CGT-U).
Ce nouveau clivage politique épouse souvent les oppositions traditionnelles : dans les années 1920, le communisme remporte plus de succès auprès des ouvriers de la grande industrie que chez les salariés qualifiés, les employés du tertiaire ou les fonctionnaires. De même, au sein de l’AFL, les sympathisants de la Révolution russe jouent un grand rôle dans l’émergence du Congrès des organisations industrielles - Congress of Industrial Organizations (CIO) - qui se sépare de l’AFL en 1938.
Dans les années 1920, ces affrontements affaiblissent les syndicats alors que des majorités conservatrices tentent de revenir sur les concessions du temps de guerre. Ainsi, en Allemagne, dans la république de Weimar, le compromis passé en 1919 entre les sociaux-démocrates et le patronat, reconnaissant le pouvoir syndical dans les entreprises, reste-t-il lettre morte. Dans toute l’Europe, la négociation collective régresse, la législation sociale est démantelée, le pouvoir syndical recule.
Dans l’entre-deux-guerres, le syndicalisme est limité aux pays industriels du Nord et à l’Australie. Dans le reste du monde, son poids n’est pas significatif, sauf au Mexique, en Argentine et au Chili ou dans certaines colonies : salariés européens du Maghreb français, travailleurs blancs d’Afrique du Sud…
La crise de 1929 réduit presque à néant le syndicalisme. Pourtant, on assiste à sa renaissance à la fin des années 1930. L’avènement de Hitler - qui détruit les syndicats allemands en mai 1933 - conduit à la formation de fronts populaires et à la réunification des syndicats. En France, on assiste, au printemps 1936, à une vague d’adhésions dans le contexte du Front populaire : pour la seule fois dans l’histoire du pays, plus de la moitié des salariés français sont syndiqués. En Suède, l’avènement au pouvoir du Parti social-démocrate, en 1932, conduit à l’élaboration d’un véritable modèle social nouveau. La syndicalisation s’y développe et atteint 80 % dans les années 1960-1980.
La renaissance du syndicalisme, à la fin des années 1930, s’explique également par les nouvelles politiques économiques, dont le modèle est le New Deal de Franklin D. Roosevelt. La relance par les salaires conduit à encourager la négociation collective. La loi permet notamment la syndicalisation obligatoire dans les entreprises où le syndicat a obtenu un vote d’accréditation. En Amérique du Nord, le taux de syndicalisation passe de 10 % en 1932 à 40 % en 1947.
Le Pacte germano-soviétique (août 1939) entraîne l’expulsion des communistes hors des syndicats. L’unité se reforme après juin 1941 : en France ou en Italie occupée, la CGT et la CGIL (Confédération générale italienne du travail) sont réunifiées dans la clandestinité. En 1945 est fondée la Fédération syndicale mondiale (FSM).
La fin de la Seconde Guerre mondiale s’accompagne d’une vague d’adhésions, plus pérenne que celle de 1918-1920. Cette solidité nouvelle s’explique aussi par la mise en place de l’État-providence et la création de régimes généraux de sécurité sociale. Les syndicats étant associés à leur gestion, ils en tirent des ressources ainsi qu’une reconnaissance institutionnelle, sauf aux États-Unis où une législation restrictive, l’offensive patronale et la découverte de la pénétration de certains syndicats par la mafia entraînent, à partir de 1947, un lent déclin qui amène le taux de syndicalisation au-dessous de 20 % dans la décennie 1980.
Les divisions de la Guerre froide.
La Guerre froide entraîne le retour des divisions - en 1948, scission de la CGT aboutissant à la création de la CGT-FO (Force ouvrière) en France, ainsi que des socialistes et des chrétiens en Italie - qui se répercutent au niveau international : les non-communistes quittent la FSM et fondent la Confédération internationale des syndicats libres (CISL). Dans leur zone d’influence, les Soviétiques imposent leur modèle.
Dans le tiers monde émergent des syndicats liés au mouvement d’émancipation nationale, mais leur influence est surtout limitée à la fonction publique et aux grandes entreprises multinationales ; ils touchent peu de petites entreprises et pas du tout l’immense secteur de l’économie informelle. Dans ces pays, le syndicat est souvent instrumentalisé en courroie de transmission du parti unique ou dominant : péronisme argentin, PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) au Mexique, FLN (Front de libération nationale) en Algérie, partis-États africains… Une place particulière doit cependant être faite au syndicalisme sud-africain, notamment celui des mineurs.
Les années 1960-1970 sont celles de la contestation du modèle libéral. En Grande-Bretagne, le mouvement des shop stewards fait trébucher le pouvoir travailliste. En France (Mai 68), en Italie, en Allemagne et dans les pays scandinaves, des mouvements sociaux de grande ampleur remettent en cause le contenu et les conditions du travail, ainsi que l’institutionnalisation des syndicats. Ils conduisent à l’émergence de nouveaux acteurs (jeunes, femmes, minorités ethniques). Toutefois, après 1974, la crise économique marque la fin de ce mouvement.
Du syndicat au groupe de pression.
Dans les années 1980 s’amorcent les deux ruptures significatives de la fin du siècle. Dans les pays du bloc soviétique, un syndicalisme indépendant apparaît dont le symbole est le syndicat polonais Solidarité, né lors des grèves de Gdańsk en 1980, avec Lech Wałęsa comme porte-drapeau. Cependant, le syndicalisme officiel se transforme. En Pologne, adossé à de nombreuses institutions sociales, il est parvenu à conserver une position forte face à Solidarité. L’autre évolution significative se produit à l’Ouest et particulièrement en Grande-Bretagne, berceau du syndicalisme moderne. Le mouvement travailliste est défait sur le plan politique - retour au pouvoir des conservateurs avec Margaret Thatcher notamment, adoption d’une législation restrictive - et social : échec des grandes grèves, comme celle des mineurs en 1984-1985. Mais le syndicalisme britannique enraye son déclin au prix d’une profonde mutation : abandon de sa plate-forme politique radicale, création de « syndicats généraux » centrés sur les entreprises et ouverts à tous les salariés, compromis avec les employeurs. Dans une certaine mesure, les syndicats scandinaves et allemands connaissent la même révolution silencieuse. Le syndicalisme français, profondément marqué par les affrontements idéologiques, semble également s’y résoudre dans les dernières années du siècle. De même, au Japon et dans les nouveaux pays industriels, le syndicaliste devient un organisateur professionnel, salarié, occupé à rendre des services aux adhérents et dont le but, plus ou moins avoué, est d’obtenir un monopole de la représentation.
Partout, l’engagement militant, le bénévolat et la philosophie sociale tendent à laisser place au professionnalisme, aux valeurs de l’entreprise et de la société libérale. Devenus de simples groupes de pression, les syndicats semblent incapables de fournir des réponses à la montée des inégalités, de la pauvreté et de l’exclusion.
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