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Style

Le style représente la détermination essentielle et constitutive du discours. On peut appréhender ce dont il s’agit par rapport aux éléments avec lesquels est fait le style ; par rapport à l’appréciation d’un jugement de goût sur la qualité du style ; par rapport aux relations du style à des matières, et enfin en fonction des genres. Mais cette tripartition globale, plutôt globalisante, est elle-même soumise à la différence induite par le jeu de diverses esthétiques, soit dans l’évolution des temps soit en concomitance. D’une façon générale, on peut dire que le style relève de l’élocution, dans la mesure où il faut choisir des mots et les organiser entre eux. La sélection et l’arrangement définissent la composante matérielle du style la plus immédiate et la plus sensible à réception. C’est la composition, en un sens, qui crée vraiment le style, puisqu’elle régit la liaison et l’organisation de la suite des mots. De ce point de vue, se déploie le panorama des qualités et des vices du style. Si on essaie d’unifier la perspective de toutes les considérations sur le thème, on doit insister sur l’exigence, sans cesse rappelée, de convenance, c’est-à-dire au fond d’adaptation au sujet, aux circonstances et aux personnes impliquées dans l’acte du discours, ce qui veut dire au premier chef une mesure appropriée à la qualité de celui qui parle. On prendra un exemple significatif de ce point à valeur quasi universelle en rhétorique, en citant quelques remarques de Quintilien d’autant plus fortes qu’elles ne sont point techniques et que le savant maître les a données, comme par une sorte de débordement et, tout ensemble, de résumé, à propos de l’action. Mais il faut bien que le genre d’éloquence dont on se sert ait sa bienséance. Car tel genre sied bien à l’un, qui siéra mal à l’autre. Un style abondant, plein d’audace et de véhémence, ou extrêmement élégant et poli conviendra moins à un homme d’âge, qu’un style serré, doux et exact, tel enfin que celui dont Cicéron nous a voulu donner l’idée, quand il a dit que son éloquence commençait à blanchir avec ses cheveux [...] Qu’un jeune homme s’égaie dans sa composition, qu’il pèche même par trop d’abondance, par des pensées hardies et presque outrées, on ne le trouvera pas mauvais. Au contraire un style sec, peiné, circonspect et trop châtié ne manquera pas de déplaire en lui, quand ce ne serait que par l’affectation d’une sévérité prématurée. [...] Un style simple est le style qui convient à un homme de guerre. Et ceux qui se donnent pour philosophes n’auront pas de grâce à refuser les ornements qui naissent des grands mouvements et des passions, puisque ce sont autant de vices dans leur opinion. On n’attend pas même d’eux ni des mots choisis, ni un style nombreux et périodique. [...] Au contraire cet homme d’État, ce vrai sage que j’instruis ici, et qui s’adonne non à des disputes oisives mais au gouvernement de la République, emploiera généralement tout ce qui pourra servir à rendre son discours plus persuasif et plus touchant, afin de venir à bout de son dessein [...] Enfin il y a une sorte d’éloquence pour les Princes, et pour les personnes constituées en dignité, qui ne conviendrait point à d’autres. [...] Mais souvent un même mot est pris différemment selon les personnes d’où il vient. [...] La comédie et la tragédie ont encore plus de bienséances à garder, parce qu ’elles mettent un plus grand nombre de personnes sur la scène, et des caractères plus divers. [...] Nous-mêmes, dans les causes dont on nous charge, nous devons savoir observer la même différence. Ce passage, dont on n’a cité que les extraits les plus représentatifs, illustre à quel point, à l’apogée de la rhétorique antique, le sentiment le plus profond était bien celui de l’adaptabilité des styles à l’énonciation du discours. C’est là une idée que l’on pourrait qualifier de vraiment moderne, si l’on croyait à un progrès dans la conscience rhétorique. En tout cas, c’est un point qu’il ne faut jamais oublier, quand on envisage la question de la rhétorique normative des genres, des niveaux et des esthétiques. Communément, on oppose trois niveaux de style : le sublime, le moyen et le bas. Il arrive qu’une quadripartition soit proposée : l’abondant, le bref, le fleuri, le sec. L’hétérogénéité de la double répartition tient surtout au fait que, dans la quadripartition, on a plutôt des indications de moyens ou d’effets que des qualificatifs ; c’est donc la tripartition qui est la plus fondamentale, dans la mesure où elle représente une incontestable hiérarchie. On tempérera cette rigueur axiologique en rappelant le principe d’adaptabilité, et en signalant qu’il y a eu, sur deux millénaires de culture rhétorique, des tendances diverses, dont certaines ont visé à reconnaître des excellences relatives à différentes matières. On ajoutera que, d’une certaine façon, une des qualités du style qui permet de subsumer la hiérarchie, est l’exigence, absolue et d’application à tous domaines, de variété. Enfin, on notera également que la hiérarchisation la plus apparente joue, concrètement, sur une double opposition, parfaitement technique et neutre : l’abondance et la brièveté, la sécheresse et le fleuri (comme il apparaît dans le monnayage de la quadripartition). Si l’on fait le bilan des diverses qualifications empilées par la tradition ancienne sur la notion de genres de style, ou de niveaux de style, ou encore des vertus ou des qualités du style, en admettant l’hétérogénéité de la conceptualisation et le flou de la catégorisation, on a à peu près la série suivante : gravité, grandeur, sublime ; douceur, suavité ; abondance et brièveté ; humilité, médiocrité, bassesse, sécheresse ; élégance, grâce ; variété, justesse, propriété, adaptabilité, convenance, dignité ; ornement, agrément, allégresse, bonheur. Certains de ces qualifiants s’équivalent plus ou moins, ou servent mutuellement de commentaire définitoire ; certains sont parfois pris en mauvaise part; en revanche, sont toujours présentées comme des vices l’obscurité et l’affectation. Cette valse-hésitation entre les jugements d’appréciation se retrouve dans une liste plus moderne, représentative de la rhétorique française classique ; on dira donc aussi du style qu’il est : pompeux ou magnifique, au risque de friser le galimatias, fleuri ou galant, historique, coulant ou uniforme. On peut encore se faire une idée de ce porte-à-faux dans l’appréhension à la fois descriptive et axiologique du style, en relisant l’article que lui consacre Richelet à la fin du xviie siècle. Ce mot se dit en parlant de discours. C’est la maniéré dont chacun s’exprime. C’est pourquoi il y a autant de stiles que de personnes qui écrivent. Néanmoins comme ces diverses maniérés de s’exprimer se réduisent à trois sortes de matières, l’une simple, l’autre un peu élevée et la troisième grande et sublime, il y a aussi par rapport à ces matières trois sortes de stiles, le simple, le médiocre, et le sublime. Le stile doit être clair, pur, vif, coulant, agréable, juste et propre au sujet. Le texte est clair, si l’on peut dire : appropriation à une matière, correspondance conséquente niveau-matière, contradiction entre l’idée d’un style personnel aux variations indéfinies et l’affirmation d’une catégorisation générale en trois types, classement en rang et, simultanément, exigence de qualités communes. Il est facile de voir combien est ambiguë la dialectique du hiérarchique et du non hiérarchique, en rappelant les tentatives parfois essayées pour mettre en parallèle des qualificatifs manifestement de niveau avec des qualificatifs manifestement de genre, comme, par Cicéron lui-même, le sublime avec le style asian, le moyen avec le rhodien, l’humble avec l’attique : ce système ne marche évidemment pas du tout, même à l’intérieur de la hiérarchie, et subvertit en tout cas l’idée d’une hiérarchie. C’est encore la convenance qui caractérise le plus justement tout style.

=> Éloquence, partie, élocution, action; composition, discours; qualités, vices; bienséances, convenant; genre, niveau; variété, humble, bas, moyen, médiocre, sublime, fleuri, sec, abondant; asian, attique, rhodien ; galimatias.

STYLE nom masc. - 1. La manière propre qu’a un individu -et tout particulièrement un écrivain - d’utiliser le langage. 2. L’esthétique propre à une école artistique ou à une époque. ETYM. : du latin stilus= « poinçon » (servant à écrire). Le style d’un écrivain se manifeste par la nature du vocabulaire qu’il utilise, les procédés auxquels il a recours de manière systématique, sa manière de construire les phrases, etc. Alors que la langue est le bien commun de tous ceux qui la parlent, le style traduit, par un certain nombre de choix et d’originalités, la singularité de l’écrivain. En ce sens, il est un « écart » par rapport à une norme et cela même s’il est vrai que la notion de norme est en ce domaine des plus problématiques. Qui plus est, cet écart, chez un grand écrivain, doit être perceptible par le lecteur : c’est lui qui fait qu’on identifie rapidement une page du Voyage au bout de la nuit comme étant du Céline ou un paragraphe de L’Education sentimentale comme étant du Flaubert. On retrouve ici le sens de la fameuse formule de Buffon qui veut que le style soit l’homme même. La littérature moderne a tendance à faire du style l’élément essentiel de la création littéraire. Autrefois, le style pouvait n’être que la conformité à l’usage et aux règles de la langue ; alors qu’on ne pouvait lui demander que de s’effacer derrière le sujet, il passe par la suite au premier plan. Dans Le Temps retrouvé, Proust le définit comme la vision propre de l’artiste, celle qui donne un sens au monde à travers la construction de l’œuvre. En lui se marque donc la personnalité de l’auteur en ce que celle-ci a de plus profond. Par lui, le réel trouve le principe de cet ordre et de cette cohérence qui lui faisaient défaut. A la limite, l’œuvre moderne se propose comme objectif ce « livre sur rien » dont rêvait déjà Flaubert et qui tiendrait par la seule force de son style.

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