Spinoza et la divinité
A partir de l’étude ordonnée de ce texte, dégagez son intérêt philosophique et sa portée :
« Si les hommes pouvaient régler toutes leurs affaires suivant un dessein arrêté ou encore si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais prisonniers de la superstition. Mais souvent réduits à une extrémité telle qu’ils ne savent plus que résoudre, et condamnés, par leur désir sans mesure des biens incertains de fortune, à flotter presque sans répit entre l’espérance et la crainte, ils ont très naturellement l’âme encline à la plus extrême crédulité Cela, j’estime que nul ne l’ignore, tout en croyant que la plupart s’ignorent eux-mêmes. Personne en effet n’a vécu parmi les hommes sans avoir observé qu’aux jours de prospérité presque tous, si grande que soit leur inexpérience, sont pleins de sagesse, à ce point qu’on leur fait injure en se permettant de leur donner un conseil ; que dans l’adversité, par contre, ils ne savent plus où se tourner, demandent en suppliant conseil à tous et sont prêts à suivre tout avis qu’on leur donnera, quelque inepte, absurde ou inefficace qu’il puisse être. On remarque en outre que les plus légers motifs leur suffisent pour espérer un retour de fortune, ou retomber dans les pires craintes. Si en effet, pendant qu’ils sont dans l’état de crainte, il se produit un incident qui leur rappelle un bien ou un mal passés, ils pensent que c’est l’annonce d’une issue heureuse ou malheureuse et pour cette raison, bien que cent fois trompés, l’appellent un présage favorable ou funeste. Qu’il leur arrive maintenant de voir avec grande surprise quelque chose d’insolite, ils croient que c’est un prodige manifestant la colère des Dieux ou de la suprême Divinité ; dès lors ne pas conjurer ce prodige par des sacrifices et des vœux devient une impiété à leurs yeux d’hommes sujets à la superstition et contraires à la religion. De la sorte ils forgent d’innombrables fictions et, quand ils interprètent la Nature, y découvrent partout le miracle comme si elle délirait avec eux. »
SPINOZA, Traité Théologico-Politique.
DIRECTIONS DE RECHERCHE
• Que signifie « fortune » ici ? • A quelle(s) condition(s) selon Spinoza les hommes « ne seraient jamais prisonniers de la superstition » ? Pourquoi « toutes », « toujours » ? • Pourquoi les hommes ont-ils « très naturellement l’âme encline à la plus extrême crédulité » ? Que signifie ici « naturellement »? • En raison de quoi Spinoza affirme-t-il que « cela » « nul ne l’ignore »? • Que signifie ici « la plupart s’ignorent eux-mêmes » ? • En quoi la « remarque, en outre » ajoute-t-elle à l’argumentation précédente de Spinoza ? • Pourquoi Spinoza note-t-il « bien que cent fois trompés » ? • Que signifie dans le texte « maintenant »? • Que signifie exactement « de la sorte » dans le texte ? • Les recherches indiquées précédemment étant menées, est-il possible de dégager la problématique du texte proposé ? Est-ce qu'il s’agit de savoir à quelles conditions les hommes ne seraient jamais prisonniers de la superstition ? S’agit-il de connaître quand et comment l’on écoute les conseils (même les plus « ineptes » ) ? S’agit-il de rendre compte de ce que « les hommes » voient partout le miracle quand ils interprètent la nature ? Si l’on répond positivement à cette dernière question, en quoi les questions précédentes sont-elles « liées » à la réponse à la dernière question et à la façon de se la poser ? • A partir de là dégager « l’intérêt philosophique du texte », apprécier l'intérêt de l’objet de la réflexion de Spinoza et la façon dont elle est menée.