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SOUVERAINETÉ

SOUVERAINETÉ Caractère suprême et inconditionné d’une puissance qui n’est soumise à aucune autre et se trouve investie des compétences les plus élevées. L’ordre international reconnaît dans la souveraineté un attribut essentiel de l’État. Dans la théorie du régime représentatif, la souveraineté est l’attribut d’un être, nation ou peuple, qui fonde l’autorité des organes suprêmes de l’État parce que c’est en son nom qu’est exercée par eux en dernière instance la puissance publique. Selon Georg Jellinek (1851-1911), théoricien allemand de la fin du xixe siècle, la souveraineté est « compétence des compétences », tandis que le Français Carré de Malberg (1861-1935) y voit un organe et une fonction. Pour le concept de souveraineté, le xxe siècle a été l’âge des paradoxes. En un sens, il y a connu un triomphe. Le nombre d’États titulaires de la souveraineté a quadruplé, passant d’une cinquantaine vers 1900 à près de deux cents en l’an 2000. Mais ce triomphe quantitatif n’est pas allé sans une dilution qualitative. Les mouvements des nationalités du xixe siècle en Europe, avec l’unité italienne et l’unité allemande, avaient abouti à des regroupements étatiques. Sur les autres continents, la même réduction s’était opérée du fait de la colonisation européenne, sauf en Amérique latine où le nombre d’États s’était accru par morcellement de l’empire espagnol et accessions aux indépendances. Le xxe siècle a vu le mouvement inverse. La fin des empires austro-hongrois, ottoman, russe (démantèlement seulement partiel) et allemand a abouti à la création ou à la renaissance d’États comme la Pologne, la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, la Tchécoslovaquie et le royaume des Serbes, Croates et Slovènes (première Yougoslavie en 1929). La soviétisation de l’Europe de l’Est a retardé la « balkanisation » de ces États en intégrant les Pays baltes à l’URSS et en donnant une légitimité nouvelle aux fédérations tchécoslovaque et yougoslave. Les empires européens d’Asie, du Pacifique, du Moyen-Orient et d’Afrique se sont désintégrés au rythme de la décolonisation, sans compter le cas particulier de l’Empire russe. Ce processus a fait passer le nombre d’États souverains à plus de cent cinquante. La fin du communisme européen a encore augmenté ce nombre, du fait de la désintégration des fédérations soviétique (15 États successeurs) et yougoslave (5 États successeurs), et de la scission tchéco-slovaque (1er janvier 1993). Autodétermination des peuples, intangibilité des frontières. Toutes les revendications de souveraineté se fondent sur le principe de l’autodétermination des peuples. Dans le mouvement de décolonisation, ce principe a toutefois été contrebalancé par celui de respect de l’intégrité territoriale des nouveaux États (principe de l’intangibilité des frontières, dit de l’« uti posidetis juris »), réaffirmée en 1963 à la conférence d’Addis-Abéba fondatrice de l’OUA (Organisation de l’unité africaine), et la sécession a été exclue par l’Assemblée générale de l’ONU en 1960, ce que l’échec de la guerre du Biafra (1967-1970) a traduit en actes. La guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971, rendue possible par l’intervention de l’Inde et l’appui soviétique, aura été un cas exceptionnel. En Europe balkanique, ce principe a trouvé son point d’application dans la règle d’intangibilité des frontières entre républiques d’une fédération affirmée par les avis de la commission Badinter le 11 janvier 1992. Cela a signifié que Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro et Serbie pouvaient se séparer de la fédération yougoslave, mais que les Serbes de Croatie ne pouvaient pas vivre dans une entité distincte de la Croatie, pas plus que les Croates de Bosnie-Herzégovine ne pouvaient se détacher de cette dernière ou que les Albanais du Kosovo ne pouvaient faire sécession d’avec la Serbie (du fait que leur statut, avant le 23 mars 1989, avait été celui d’une république autonome [Constitution de 1974] et non d’une république). La suppression de cette autonomie et les persécutions infligées aux Albanais passés à la lutte armée en 1998 ont abouti à l’intervention militaire de l’OTAN du 24 mars au 10 juin 1999, qui s’est conclue par l’occupation de ce territoire, au nom de l’ONU, par une armée surtout composée de soldats de l’OTAN, tandis que le principe de la souveraineté de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie-Monténégro) était réaffirmé par la résolution 1244 du 9 juin 1999. Vers un monde sans souveraineté. La souveraineté étatique et le principe du respect de l’intégrité territoriale ont ainsi été relativisés, prolongeant une évolution que les pratiques d’ingérence avaient déjà largement amorcée. L’adoption du principe d’institution d’une Cour pénale internationale (CPI) à Rome en juillet 1998 d’une part, le point de vue moral qui valorise, en Europe et aux États-Unis, le droit à l’autodétermination au détriment de l’intégrité territoriale - laquelle est perçue comme la loi des États et de la Realpolitik - d’autre part, concourent à cette relativisation. En Afrique et surtout en Asie, la crise du Kosovo a été perçue par les gouvernants comme une régression néo-coloniale. Des pays comme la Chine (Tibet), l’Inde ou la Birmanie ont tout à craindre d’un basculement définitif de l’équilibre ancien dans le sens de l’autodétermination des peuples. Les sécessions traduisent une volonté d’autonomie, contre l’hétéronomie des empires et des États multinationaux. Il n’est pas étonnant que ce soit d’Asie, continent des hiérarchies et des traditions sacralisées, qu’émanent les plus fortes résistances à cette évolution. Cela ne va pas sans tentation d’abandon de la solidarité envers les régions pauvres, malgré les incantations moralistes des mouvements réclamant l’autodétermination. Ainsi en Europe occidentale, en Catalogne, en Flandre et en Piémont-Lombardie (d’oùétait parti le mouvement d’unité italienne et où a resurgi une forme de régionalisme italien), des formations ont déclaré ne plus vouloir supporter les charges de régions plus pauvres. L’évolution du système international — intégration régionale dans des ensembles comme l’Union européenne, négociations multilatérales sur des questions allant de l’environnement au commerce international, mondialisation économique — limite en droit et en fait, l’exercice de la souveraineté de chaque État. La montée en puissance de l’Inde et de la Chine a semblé freiner la venue de ce monde sans souveraineté, où le nombre d’États sans puissance prolifère et où le concept de souveraineté se dilue dans l’économisme et l’individualisme, le droit d’ingérence, le juridisme des droits de l’homme, tandis que le clivage entre les anciens colonisés et les anciens colonisateurs continue de se manifester.

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