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SOPHOCLE

SOPHOCLE. Auteur grec (495-406 av. J.-C.) qui, au Ve siècle avant notre ère, a atteint la perfection du genre tragique. Son œuvre, d’un caractère éminemment universel, met en cause le sort même de l'homme. Elle a traversé les siècles sans vieillir. La beauté de ses tragédies est renforcée par l'intervention du chœur qui exprime de façon émouvante les sentiments humains les plus profonds. Le chant d'amour qui accompagne le plaidoyer du fiancé d'Antigone, le chant sur la vieillesse qui précède la mort d'Œdipe accablé par les ans et les malheurs sont d'un lyrisme bouleversant. Les anciens connaissaient de Sophocle cent vingt-trois titres. Nous avons conservé les Trachiniennes, Ajax, Antigone, Œdipe Roi, Electre, Philoctète, Œdipe à Colone. Les héros de ces tragédies sont tous de la même famille spirituelle. Ils possèdent tous le même courage, qu'ils mettent au service d'un absolu devant lequel rien ne compte. Ils sont solitaires, incompris de leurs semblables, condamnés à des sorts qu'ils ne méritaient pas. Œdipe est, à cet égard, le personnage le plus typique. Cependant, Sophocle n'accuse jamais les dieux. Il a célébré, dans Antigone, «ces lois non écrites que nul mortel ne peut transgresser». Pour lui, il est impossible de comprendre la volonté des dieux. Mais, même broyés par le destin, ses héros restent fiers et dignes. Ils témoignent de la misère de l'homme, mais aussi de sa grandeur.

Sophocle, un des trois poètes tragiques athéniens (Colone, près d’Athènes, v. 495-Athènes 406 av. J.-C.). Fils de Sophillos, il était d'une riche famille et reçut une éducation soignée. Après la bataille de Salamine, il conduisit le chœur des enfants qui chantaient le péan. En 468, âgé de vingt-sept ans, il présenta sa première trilogie contre Eschyle et fut couronné par Cimon qui revenait de son expédition à Scyros, à la suite de quoi Eschyle se retira en Sicile. Jusqu’en 441, date de la première victoire d’Euripide, il resta le maître de la scène à Athènes. En 440, son Antigone lui valut un tel succès que les Athéniens l’élurent stratège, et il suivit Périclès dans la guerre contre Samos. Il avait eu, de deux femmes successives, deux fils, lophon et Aristion, qui mourut jeune et laissa un fils, Sophocle le Jeune, qui fut le favori de son grand-père. Redoutant que son père ne favorisât son petit-fils dans son testament, lophon le traduisit devant les gens de sa phratrie en prétendant que son grand âge (Sophocle avait presque quatre-vingt-dix ans) avait altéré ses facultés mentales. Le poète répondit en lisant le début d'Œdipe à Colone, un de ses chefs-d’œuvre qu'il venait d’écrire, et les phratores (membres de la phratrie) renvoyèrent lophon en le réprimandant pour son ingratitude. Sophocle mourut peu après. Les Anciens lui attribuent cent trente tragédies ; il nous en reste sept et un drame satyrique que la papyrologie nous a en grande partie rendu.

SOPHOCLE. Le plus célèbre des tragiques grecs naquit à Colone, bourgade située à quelque dix stades au nord-ouest d’Athènes, que le poète, presque nonagénaire, devait célébrer dans sa dernière pièce, Œdipe à Colone. Il était né sans doute en 496 av. J. C., peut-être en 495. La légende veut qu’au lendemain de la bataille de Salamine (480), où Eschyle avait combattu en héros, le jeune Sophocle, âgé de seize ans, ait été chargé de conduire le chœur qui devait célébrer l’hymne de la victoire. Euripide serait né, lui, le jour de la bataille navale, dans l’île même de Salamine. Rapprochements ingénieux et symboliques. Notons que Sophocle survécut à son cadet Euripide. La biographie du grand tragique nous est connue par une Vie de Sophocle, due à un auteur de la basse antiquité et qui, au milieu de renseignements controuvés et quasi légendaires, relate des faits consignés par des sources assez anciénnes. Le père de Sophocle, Sophillos, riche bourgeois d’Athènes, que l’industrie des métaux avait enrichi, appartenait à cette population moitié rurale, moitié urbaine qui fit pendant longtemps la prospérité de la cité. Le jeune Sophocle reçut une éducation distinguée : les exercices du corps développèrent sa grâce naturelle, la lecture des poètes forma son esprit; le fameux musicien Lampros lui apprit l’art compliqué des rythmes grecs. Sophocle dut entrer, jeune encore, dans la carrière littéraire. Plutarque, dans la Vie de Cimon — Vies des hommes illustres — raconte qu’il aurait débuté en 468, avec une pièce appelée Triptolème, qui lui aurait permis de l’emporter sur Eschyle, jusqu’alors prince incontesté de la tragédie. Le théâtre devint alors la principale occupation de Sophocle. Au cours de sa longue carrière, il écrivit cent vingt-trois pièces, remportant vingt-quatre fois le premier prix, ne descendant jamais au troisième rang dans le concours tragique. En bon citoyen, Sophocle prenait part à l’activité politique de son pays. En deux circonstances, cette participation à la vie publique de la cité fut particulièrement notable. En 440, le succès récent d’Antigone valut au poète d’être désigné comme un des dix stratèges de l’année; Périclès était du lot. Cela permit au poète de participer à la reprise de Samos, alliée qui avait fait précédemment défection. De même, vers la fin de la carrière du poète, le pays fit de nouveau appel à lui. La guerre du Péloponnèse était en train de ruiner définitivement l’impérialisme athénien. Au lendemain du désastre subi par le corps expéditionnaire de Nicias en Sicile (413), Sophocle fut un des six commissaires du peuple [probouloi] qui formèrent une sorte de Comité de salut public qui contribua à sauver la cité. Bien qu’assombrie vers la fin par les malheurs du pays, la longue vie de Sophocle ne connut guère que le bonheur. De son épouse, Nicostraté, il avait eu cinq fils, dont l’aîné, Iophon, fut lui-même un poète tragique distingué. Une concubine, Théoris, lui avait donné un fils illégitime, Ariston, lui-même père d’un autre Sophocle, petit-fils préféré du vieux poète, et comme lui illustre dans le genre tragique. La veine poétique de Sophocle ne s affaiblit jamais. Il était presque nonagénaire lorsqu’il écrivit Œdipe à Colone, ou l’on trouve les plus beaux morceaux de son génie. Il faut tenir pour légendaires les récits des accusations qu’aurait portées contre lui son fils Iophon, accusant son père d’être atteint de démence sénile et de se trouver partant incapable de gérer ses biens. Le seul reproche que Sophocle pouvait faire à la vieillesse est de lui avoir permis de voir les malheurs de son pays. Encore le poète disparut-il avant la prise d’Athènes. Sophocle mourut vers la fin de l’année 405, quelque temps après Euripide, dont une tradition rapporte qu’il aurait pris le deuil. Sophocle passa aux yeux des anciens comme le type de l’« homme heureux ». Sa vie fut une parfaite réussite humaine, menée avec une rare harmonie. Le poète avait maintes fois répété qu’on ne peut reconnaître la valeur de la vie d’un homme avant qu’il fût mort. Du moins sut-il, dans sa vie comme dans ses derniers vers, trouver le ton d’une apaisante grandeur. La légende intervient jusqu’à la fin. Les Spartiates qui assiégeaient Athènes auraient permis au cortège funèbre qui emmenait le corps de Sophocle de sortir de la ville, afin qu’on pût l’ensevelir à Décélie, dans le tombeau de famille. Les Athéniens vénérèrent le tombeau de Sophocle, sur lequel, en souvenir des si beaux chants du poète, ils sculptèrent une Sirène. Ils rendirent un culte au poète mort, comme on faisait pour les « héros ». « Heureux Sophocle, écrivait à son sujet le poète comique Phrynichos, il est mort après une longue vie. Il a eu et chance et talent. Il a fait jouer de nombreuses et belles tragédies; il mourut heureusement sans avoir connu le malheur. » Sophocle avait écrit cent trente-trois drames. La plupart de ces pièces sont des tragédies. Une quinzaine de pièces étaient qualifiées par les anciens de drames satyriques. De cette production importante, nous n’avons conservé que sept pièces complètes. Ces sept pièces sont celles-là même qui furent choisies en vue du programme universitaire qui se constitua au milieu du IIe siècle de notre ère. Il fait un pendant exact au « choix » d’Eschyle de même date, et fut sans doute composé par le même grammairien. Il est à noter que ni d’un poète ni de l’autre on ne garda de tragédie de jeunesse. Dans le cas de Sophocle, on trouve même une proportion notable de drames remontant à la vieillesse, et même à l’extrême vieillesse. Voici, suivant l’ordre chronologique présumé, la liste des sept tragédies de Sophocle constituant le choix : Les Trachiniennes, Antigone (441), Ajax, Œdipe Roi (430), Electre (avant 413), Philoctète (409), Œdipe à Colone enfin, représenté en 401 par les soins de Sophocle le Jeune. Le moyen âge byzantin ramena à trois le nombre des pièces de Sophocle qu’on lisait alors dans les classes :ce furent Ajax, Œdipe Roi et Electre. Les tirades de cette dernière tragédie, les plus froides au point de vue dramatique, tirent les délices des professeurs de rhétorique. Sophocle avait en outre composé des poésies variées, élégies, péans, etc. Il aurait aussi, dit-on, composé un écrit sur le « chœur ». La chose n’est pas invraisemblable. De cet ensemble, rien ne nous est resté d’entier, en dehors des sept pièces du « choix ». Pourtant, nous possédons un ensemble de fragments, d’ordinaire assez courts, recueillis au cours de l’antiquité par les lexicographes, les grammairiens ou les compilateurs de citations. De récentes découvertes papyrologiques ont accru cet apport d’éléments nouveaux. Une de ces découvertes a un caractère insigne. Un papyrus trouvé à Oxyrrhynchos, en Égypte, et publié en 1912, nous a restitué, souvent en très mauvais état de conservation, quelque quatre cents vers, soit la première moitié d’un drame satyrique, intitulé les Limiers (ou les Pisteurs). La seconde moitié de la pièce manque entièrement. Ces sept pièces et les divers morceaux conservés permettent d’avoir une idée d’ensemble sur une œuvre poétique qui fut considérable. On y voit une œuvre d’une seule venue; héritée des mains d’Eschyle et docilement conservée, la tragédie classique ne change pas pendant un siècle. Les innovations que nous aurons à signaler seront purement techniques, mais on peut dire que, pendant tout un siècle, les grands tragiques ne diffèrent guère les uns des autres que par le talent et l’esprit. Parlons d’abord des particularités extérieures. Sophocle dut rapidement renoncer à l’usage qui voulait que l’auteur fût lui-même son protagoniste. Dans une de ses premières pièces, il dut incarner Nausicaa jouant à la balle, comme le veut le récit homérique. Mais si Sophocle se montra habile a la balle, il s’avéra déficient dans l’art vocal, et la faiblesse de sa voix dut lui faire renoncer à jouer lui-même ses rôles. On dira plus loin l’importance que Sophocle attacha au luxe de la mise en scène. La tradition veut que, pour donner de l’importance à ses personnages, il les ait pourvus de sortes de hautes chaussures appelées crépides, munies d’épaisses semelles (notons en passant que le mot cothurne ne se rencontre qu’à l'époque romaine avec le sens spécial de chaussure d’acteur tragique). Le fonds de théâtre ne comportait pas, du temps de Sophocle, de construction permanente. Si l’on en croit Aristote, l’usage d’un décor peint, réduit peut-être à une toile de fond, serait dû à une initiative de Sophocle lui-même. Ces décors ne comportaient aucune perspective. Mais voici les innovations importantes apportées par Sophocle. La plus notable consiste à ne plus présenter au concours de trilogie liée. Ce n’est pas, comme on l’a dit parfois, parce que la volonté divine, ayant chez Sophocle moins d’importance que chez Eschyle, ne peut plus suffire à maintenir l’unité dans trois pièces successives. La vraie raison est le développement organique du drame : dans la trilogie, il était nécessaire que l’action fût très simple. Or, avec Sophocle, le drame devient plus complexe et la connaissance du métier avait fait de tels progrès que le poète tendait naturellement à la complication. On en était arrivé à mieux comprendre la nature du drame qui est, non de représenter une succession d’événements, mais de choisir une crise. En même temps, Sophocle simplifie la mise en scène et réduit l’élément spectaculaire : l’intérêt du drame psychologique y supplée. Du fait même, l’élément purement lyrique du drame, si caractéristique chez Eschyle, tend à prendre moins d’importance. Sophocle, en conséquence, est amené à augmenter le nombre des acteurs, de façon à varier et à assouplir le jeu des sentiments. Il y aura désormais trois acteurs sur la scène et il arrivera qu’un même vers de dialogue soit coupé entre trois personnages. Sophocle introduit aussi au théâtre un grand nombre de personnages de second plan. Il excelle dans l’art de s’en servir. Les adversaires du protagoniste le mettent en relief, le font ressortir. Les personnages de second plan expriment une sagesse moyenne, en face de l’idéal. Le poète augmente parallèlement le nombre des choreutes, les portant de douze à Quinze et cherchant à obtenir des effets chorégraphiques et musicaux d’autant plus sensibles que l’importance dramatique du chœur va en diminuant. Acteurs et choreutes sont magnifiquement habillés. Toutes ces modifications extérieures se ramènent à une modification intérieure fondamentale, l’enrichissement psychologique du drame. Dans Eschyle, il y a toujours une volonté très forte qui mène l’action. Il en va de même chez Sophocle, mais avec des différences : les personnages discutent et avec eux-mêmes et avec les autres. Pourtant, ils ne sont pas toujours tendus au même degré de volonté, et surtout ils n’ont pas un sentiment unique. Par cette variété sentimentale, les personnages ont plus d’humanité et de sensibilité. Aussi Sophocle excelle-t-il à rendre les sentiments féminins. Pour ce qui est de la conduite de l’action, Sophocle est encore résolument disciple d’Eschyle. Il veut une action simple. Mais chez Eschyle, ainsi dans les Perses, l’action existait en dehors des caractères; chez Sophocle, au contraire, l’action n’échappe jamais aux personnages. Le protagoniste est tout dans la tragédie : Ajax, Electre, Philoctète. De là la nécessité de créer des péripéties. Sophocle, à côté des péripéties religieuses, réservées aux dénouements, invente des péripéties psychologiques. Tout tend au même but : l’enrichissement psychologique du drame. Tout l’art de Sophocle est là. Il est impossible qu’un homme comme Sophocle n’ait pas été sensible aux progrès de la pensée et de la réflexion, qu’il n’ait pas participé à l’extraordinaire effervescence de vie de son époque. Toutes ces influences ont dû pénétrer, en l’enveloppant, une nature aussi ouverte que la sienne. Mais sa personnalité même devait lui permettre de réagir à ces influences. Un des traits qui frappent d’abord quand on observe son caractère est une bienveillance instinctive. Cette bienveillance naturelle résulte d’un heureux équilibre de toutes les facultés. Cet équilibre lui-même paraissait dans la personne physique du poète, et il est permis, encore de nos jours, d en voir un reflet dans l’image de Sophocle qui est conservée au Musée du Latran. C’est cet homme qui a connu toutes les passions nobles, celui que Platon, au commencement de la République , représentera comme débarrassé de toutes les faiblesses de la nature. Sous ce mondain, il y avait un esprit singulièrement réfléchi, bien que moins porté à la philosophie que son rival Euripide. En matière de religion, Sophocle n’a pas de doutes; il n’a pas pratiqué la spéculation et est resté attaché aux croyances religieuses de son temps. Le poète suit la tradition par habitude. C’est un croyant que n’absorbe pas sa croyance, plus porté vers l’étude de la vie humaine que vers celle de la théologie. Sophocle, d’autre part, n’est pas un observateur : c’est un intuitif, dont le regard droit et clair voit juste, tout en amplifiant et en idéalisant tout ce qu’il a vu. Mais le poète recherche les racines des sentiments qui lui apparaissent : il aime la logique de l’être moral et il se plaît à reconstituer en son ensemble l’âme des personnages qu’il crée. Enfin et surtout, c’est un artiste. Sophocle est tout nourri de vieille poésie, et surtout d’Homère, qui a exercé sur lui une influence profonde. Le biographe anonyme confirme ce témoignage. Ion disait de Sophocle qu’il était le seul tragique qui fût vraiment disciple d’Homère. Notre poète a en effet plus qu’Eschyle, et aussi plus qu’Euripide, « la grâce homérique ». Une des premières tragédies de Sophocle fut une pièce intitulée Nausicaa, ou le poète avait su reproduire la fraîcheur virginale que le vieil aède avait donnée à ce personnage. Au goût de la grandeur, à l’effet dramatique puissant et large qu’il devait à Homère, Sophocle avait su ajouter la naïveté, le laisser-aller du langage parlé, le charme de la vie qui s’exhale de la jeunesse. Seules les Trachiniennes, la moins tardive des pièces conservées du poète ont gardé quelque reflet de la manière dont Sophocle avait pu peindre les passions de l’amour, Sophocle a surtout été un grand artiste en vers. Contrairement aux deux autres tragiques, il n’a pas cherché à agir sur l’opinion, à jouer le rôle de « prophète ». Ce qui l’a intéressé, c’est sa façon personnelle de concevoir les choses et de les dire. Il n’a pas cherché les problèmes compliqués, il n’a pas révolutionné le genre. Ce qu’il a révolutionné, c’est l’art décrire, et dans ce domaine il a progressé jusqu’à la fin de sa vie. Il n’écrit ni suivant une convention, ni contre une convention : il écrit selon lui-même avec un mélange de haute poésie, de langage courant et de formules familières, presque populaires, qu’on ne rencontre guère ailleurs. Tout cela ne se rend pas facilement en français. Il faut aller jusqu’au grec pour le sentir. Mais plus on le pénètre, plus il plaît.

SOPHOCLE (Colone, v. 496-Athènes, v. 406 av. J.-C.). Grand poète tragique grec. De riche famille, ami d'Hérodote, de Périclès et de Phidias, il domina le théâtre athénien et fut de multiples fois couronné. On lui attribue près de 130 tragédies (il ne nous en reste que 7). Les plus célèbres sont Antigone, Œdipe roi et Electre. Dans ses pièces, les rapports entre les dieux et les hommes ont changé depuis Eschyle. Même si les dieux continuent à veiller, l'homme, par sa raison et sa volonté, est désormais maître de ses actes. Voir Euripide.


Trachiniennes, les («les femmes de Trachis»). Tragédie grecque de Sophocle, dont on ignore la date ; il s'agit probablement de l'une de ses plus anciennes tragédies, avec Ajax et Antigone, de quelques années postérieures à L'Orestie d'Eschyle (458 av. J.-C.). Après le meurtre d'Iphitos, le fils d'Eurytos, Héraclès et sa famille ont été bannis de Tirynthe et éxilés à Trachis (en Malide, à l'ouest des Thermopyles). Le choeur se compose d'un groupe de femmes de Trachis. Au début de la pièce, Héraclès est absent depuis quinze mois; or Déjanire, sa femme, a trouvé une tablette de sa main affirmant qu' après une absence de plus d'un an, il arriverait à un moment décisif de son destin qui le conduirait soit à la mort, soit au bonheur. Déjanire envoie leur fils Hyllos à la recherche de son père. Alors qu'elle se consume dans l'attente et l'inquiétude, un messager annonce qu'Héraclès est en Eubée. Peu après, elle apprend qu'Héraclès victorieux est sur le point d'arriver; son compagnon, Li-chas, le précède avec une troupe de captives d'oechalie, la cité d'Eurytos en Eubée. Parmi ces captives, se trouve Iole, fille du roi vaincu, en qui Déjanire devine une rivale. Elle décide, pour que lui soit rendu son mari, de recourir au philtre que lui avait laissé le centaure Nessos vaincu par Héraclès. Elle en enduit une tunique qu'elle charge Lichas d'apporter à Héraclès, mais s'aperçoit trop tard qu'il s'agit en réalité d'un poison mortel. Hyllos revient, décrit l'agonie de son père, la chair rongée par la tunique empoisonnée, et accuse sa mère d'être la meurtrière. Déjanire sort en silence ; peu après, sa vieille nourrice annonce qu'elle s'est tuée. Héraclès, mourant, entre alors en scène ; il prie Hyllos de le transporter sur le mont oeta afin d'y être brûlé sur un bûcher avant la fin de son agonie. Il le convainc également d'épouser Iole. Hyllos accepte avec répugnance, accusant les dieux du sort cruel imposé à son père.


Sophocle (v. 496-406 av, J.-C.). L'un des grands tragiques athéniens, né à Colone, près d'Athènes ; fils de Sophilos, riche fabricant d'armures. Sa Vie, rédigée dans l'Antiquité, fournit de nombreux renseignements, malheureusement peu fiables pour la plupart. Remarqué très tôt pour sa beauté, ses dons de danseur et de musicien, il fut chargé, jeune garçon, de conduire le choeur qui chanta le péan en l'honneur de la victoire grecque de Salamine sur les envahisseurs perses (480 av. J.-C.). Lampros fut son professeur de musique. Sa carrière littéraire fut brillante : il fut couronné dès la première tentative — semble-t-il — aux concours de tragédies des Grandes Dionysies de 468 av. J.-C., où il battit Eschyle. Sa jeunesse coïncida avec l'expansion de l'Empire athénien, et, bien que ne participant guère, d'après ce que l'on sait, à la vie politique, il fut élu deux fois stratège, tout d'abord avec Périclès lors de l'expédition contre Samos, en 440, puis au côté de Nicias. On a dit que son élection de 440 était due au succès d'Antigone. Son intéressante conversation avec le poète Ion de Chios sur l'expédition de Samos nous a été transmise par Athénée (Les Deipnosophistes, XIII, 603). Après l'échec de l'expédition contre la Sicile en 413, il fut nommé à la commission despro-bouloi, chargée de résoudre la crise. Sophocle écrivit un poème (disparu) à l'historien Hérodote qui était son ami. Lorsque le culte d'Asclépios fut introduit à Athènes, il reçut dans sa maison, en attendant que le temple fût terminé, le serpent sacré, symbole du dieu, et composa un péan en son honneur. Sophocle fut le seul des trois grands tragiques à refuser de quitter Athènes, déclinant, contrairement à Euripide et à Eschyle, les invitations aux différentes cours royales. II écrivit, outre ses tragédies, un traité en prose : Sur le choeur. À la mort d'Euripide, quelques mois avant sa propre mort, il présenta lors du proagon ses acteurs et son choeur en grand deuil. Un an après sa disparition, Aristophane résuma ainsi la personnalité de ce grand poète dans Les Grenouilles (82) : « heureux parmi les vivants, heureux parmi les morts ». Il eut deux fils : de sa femme Nicostrate, Iophon, le poète tragique; de Théôris, la courtisane de Sicyone, Agathon, qui fut le père du poète Sophocle le Jeune. On lui rendit, après sa mort, le culte réservé aux héros pour la piété qu'il avait manifestée envers Asclépios. Sophocle aurait composé 130 pièces, dont sept furent considérées postérieurement comme n'étant pas de sa main. Ses tétralogies lui valurent vingt-quatre victoires aux concours dramatiques athéniens, et jamais il ne descendit au-dessous du second rang. Sept tragédies, à la datation incertaine à l'exception de Philoctète et d'Œdipe à Colone, sont parvenues jusqu'à nous : Les Trachiniennes et Ajax furent vraisemblablement les premières écrites, puis vinrent Antigone en 441, Œdipe Roi peu après 430, Èlectre entre 418 et 410, Philoctète en 409 et Œdipe à Colone entre 406 et 405, qui ne fut représentée qu'après sa mort par Sophocle le Jeune (pour les sujets, consulter chaque pièce). Un long fragment du drame satirique Ichneutes (Les Limiers, voir sa-tyrique, drame) a été retrouvé au début du siècle sur un papyrus; c'est l'histoire du vol du troupeau d'Apollon par Hermès nouveau-né. Selon Aristote (Poétique), Sophocle fut un grand novateur dans le domaine de la tragédie : il ajouta un troisième acteur aux deux admis jusque-là, porta de douze à quinze le nombre des choreutes et introduisit «la décoration peinte du fond de la scène » ; il substitua en outre à la trilogie liée d'Eschyle (voir tragédie) la trilogie libre, où chaque drame possède une action autonome. L'introduction d'un troisième acteur — les tragédiens antiques jouaient plusieurs rôles — permit à Sophocle d'accroître la complexité de l'intrigue, des dialogues et des rapports entre les personnages. Aristote admirait ses héros : « à notre image, mais plus nobles ». On a dit que Sophocle avait représenté les hommes tels qu'ils devraient être et Euripide tels qu'ils étaient; ses personnages n'apparaissent pas, cependant, totalement idéalisés et restent humains. Ses héros et ses héroïnes sont placés dans des situations qui les contraignent à agir, et c'est à travers ces actes, ces conséquences tragiques, qu'ils révèlent leur grandeur héroïque. Les héros de Sophocle, plus que ceux des autres tragiques, semblent agir en fonction de leur caractère propre ; le choix de leur conduite s'imposa à eux. Lorsque, comme dans Ajax, Antigone et Les Trachiniennes, le personnage principal meurt bien avant la fin, la tension se relâche et l'intrigue prend un tour différent, cependant le dénouement paraît pourtant découler nécessairement de ce qui a précédé. Dans d'autres pièces présentant une unité totale, comme dans oedipe Roi (qui représentait pour Aristote la tragédie grecque par excellence), les fils de l'intrigue sont noués avec une extrême habileté et un rythme étonnamment rapide. Les tragédies de Sophocle se réfèrent rarement à des faits contemporains, ce qui rend difficile la datation selon des critères internes. Ce fut un maître du dialogue, à la fois dans l'art du discours et de la stichomythie. Il fut célèbre, entre autres, pour son ironie dramatique, ses textes ayant souvent un double sens pour l'auditoire qui reconnaissait les grandes lignes d'une histoire tirée de mythes familiers (voir tragédie). La langue de Sophocle est pleine de dignité, elle évite la grandiloquence comme l'excès de naturalisme ; elle est dense bien que sobre et ne manque pas de clarté. Certaines de ses odes lyriques se caractérisent par une action se déplaçant sur différents niveaux. Selon Plutarque, Sophocle distinguait trois périodes à l'intérieur de son propre style : la première était à l'imitation du style «hiératique» d'Eschyle; la deuxième se signalait par un style âpre et artificiel ; et la troisième présentait le style le mieux adapté à l'expression du caractère des personnages et convenait parfaitement au drame. Toutes les pièces subsistantes semblent se rattacher à cette troisième période. Les dieux sont toujours présents dans les pièces de Sophocle, même s'il s'agit souvent d'une piété conventionnelle : les hommes subissent la justice divine et sages sont ceux qui agissent conformément à la volonté des dieux. Le poète Shelley avait un volume de Sophocle dans sa poche lorsqu'il se noya en 1822.

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