SOLLERS Philippe [Philippe Joyaux] 1936
SOLLERS Philippe [Philippe Joyaux] 1936
Romancier, et essayiste, né à Talence, Gironde. La revue Écrire de Jean Cayrol, qùi accueille les premières œuvres de jeunes auteurs, publie en 1957 une nouvelle de Philippe Sollers, Le Défi (reniée plus tard) ; elle obtient le prix Fénéon. Dès l'année suivante, son roman Une curieuse solitude est salué par deux « anciens » aussi différents d'idées (et de goût) que Mauriac et Aragon. Sollers n'attendra pas bien longtemps pour lancer, aidé de Jean-Édern Hallier et de Jean-René Huguenin, la revue Tel Quel qui va animer sans répit la vie intellectuelle tout au long des années 60 et 70.
Ce titre rendu célèbre par Valéry et plus encore par Nietzsche dit bien ce qu'il veut dire: admettre « le monde tel quel». Mais, en fait, c'est admettre pour « soumettre » (en esprit du moins) l'ordre actuel des choses. Sur le double plan éthique (l'ordre bourgeois) et esthétique (la tradition). Et d'ici là, plus réalistement, « s'y mettre ». Y écriront, à l'occasion, Francis Ponge, Michel Foucault, Jean Genet, Georges Bataille, Pierre Boulez, Jacques Lacan; mais aussi les telquelliens Maurice Roche, Denis Roche, Julia Kristeva, Jean Ricardou, Jean Thibaudeau, Marcelin Pleynet, tous rassemblés en 1968 autour d'une Théorie d'ensemble. C'est cette même année que se constitue le Groupe d'études théoriques Tel Quel. Pour sa part, Sollers mène le combat sur tous les fronts. En tant qu'auteur de fiction d'abord: Le Parc (prix Médicis, 1961) où, indéniablement d'avant-garde pour le reste, il n'a pourtant pas encore trouvé sa vraie voie. Au contraire, Drame (1965) reste sans aucun doute le plus trouvé de ses ouvrages romanesques de recherche (la revue Tel Quel et le groupe telquellien ne sont-ils pas un« laboratoire littéraire »?). C'est le roman de tous les romans : Une minute de vie humaine, si quelqu'un s'arrête et regarde, dans cette fixité animée de l'événement le plus apparemment banal, cette minute est riche de toutes les histoires du monde (ceci, qui est extrait de L'Intermédiaire, 1963, recueil d'essais de Sollers, pourrait se référer à Drame). Suivront plusieurs autres romans, qui s'engagent toujours plus ardemment dans l'aventure d'une écriture textuelle, au point parfois d'en devenir illisible: Nombres, 1968 (de l'abîme, entendu ici comme je l'écris, vient le fleuve de nuit et sa vase en gris, et de la nuit, à son tour, l'air qui permet le jour: la terre accouche dans un premier temps ou dans une première logique, d'un corps égal à elle-même...). Puis H (1973), et enfin Paradis (1981); titre sibyllin dont il s'explique ainsi: Pourquoi «Paradis»? Parce que, même si j'étais en enfer, ce serait ma manière d'être. Parce que j'ai l'impression d'être entré par hasard dans l'immense humour du non-être. L'humour? Il coule, et même il court, souterrain bien souvent, tout au long de son œuvre (très longue déjà, car c'est là un grand travailleur quoi qu'il dise). Cette veine bouffonne, on peut la déceler, même, dans ses ouvrages théoriques (en particulier dans L'Intermédiaire) dont il ne sera pas question ici. Il faut observer du moins que, du jour où Philippe Sollers cesse d'activer ou (un peu plus tard, et presque à lui tout seul) de réactiver les investigations telquelliennes (1982), le public assiste, de sa part, à un regain de littérature proprement dite. C'est d'abord une allègre série de romans: Femmes (1983), Portrait du joueur (1984), Le Cœur absolu (1987), Les Folies françaises (1988; qui, malgré le titre, emprunté par jeu à Couperin, est l'histoire d'un amour; de l'amour singulier qu'éprouve un père pour France, sa fille de dix-huit ans, qu'il n'avait pas connue), Le Lys d'or (1989), Le Secret (1992); et surtout La Fête à Venise (1991, un chef-d'œuvre).
« Portrait du joueur», ce livre ne fait pas mystère de son caractère autobiographique puisque le héros naît à Bordeaux, pour finir sa carrière à Venise. Et, pas plus que Jean Giono naguère, jetant aux orties sa sombre cape de prophète pour enfourcher le cheval d'Angelo, Philippe Sollers n'a pas changé, en fait. Sa verve (disons mieux : son verbe) est toujours là. Du temps de Tel Quel (n°46, été 1971, p. 103), dans le texte final, « La pratique formelle d'avant-garde», il défendait côte à côte avec une de ses disciples, Jacqueline Bisset, la cause de l'écriture considérée comme un jeu, ou du «jeu de l’écriture». Notre joueur a changé de jeu, et c'est une prouesse tout aussi risquée, un exploit de funambule : un «jeu » à se casser les reins si ce n'est pas bien fait. Mais on ne joue pas pour s'amuser. Ainsi, Philippe Sollers.