Databac

Schopenhauer: Volonté


Volonté
• La Volonté est l’instance fondamentale du système de Schopenhauer. Elle correspond à la chose en soi de Kant. Si, du point de vue phénoménal, « le monde est ma représentation » (M, p. 25), du point de vue métaphysique, « le monde est ma volonté » (M, p. 27), ou, plus exactement, la Volonté, puisque celle-ci s’étend à l’ensemble des phénomènes et acquiert ainsi un statut cosmologique. Cette détermination de la chose en soi comme Volonté serait déjà en germe dans le kantisme : « J’admets, quoiqu’il me soit impossible de le démontrer, que Kant, chaque fois qu’il parle de la chose en soi, se représentait déjà vaguement et dans les profondeurs les plus obscures de son esprit la volonté libre » (M, p. 635). « Kant n’avait pas mené sa pensée jusqu’au bout ; j’ai simplement continué son œuvre. En conséquence, j’ai étendu à tout phénomène en général ce que Kant disait uniquement du phénomène humain » (M, p. 631).
•• Cette « extension » n’en est pas moins exorbitante, mais toute l’originalité de Schopenhauer tient dans cette « trahison » du kantisme, au point que l’on a pu parler d’un véritable « parricide », qui s’opère au début du Livre Deux du Monde, « où se trouve décrite la démarche la plus originale et la plus importante de ma philosophie, à savoir le passage, déclaré impossible par Kant, du phénomène à la chose en soi » (M, p. 885). Loin d’exalter cette expérience métaphysique de la chose en soi comme une opération de haut vol, Schopenhauer la décrit au contraire comme « une voie souterraine, une communication secrète (eine geheime Verbindung), qui, par une sorte de trahison (Verrat), nous introduira tout d’un coup dans la forteresse, contre laquelle étaient venues échouer toutes les attaques dirigées du dehors » (M, p. 890). Ce cheval de Troie, pour filer la métaphore militaire, c’est la « connaissance que chacun a de son propre vouloir » (Wollen, M, p. 891). Mais de quelle nature est cette « connaissance », qui ne saurait évidemment relever de l’entendement ou de la raison, facultés de la représentation, entièrement soumises au principe de raison suffisante ? Schopenhauer ne se prononce pas sur le statut de «cette mystérieuse faculté et il adopte une position moyenne, pour le moins ambiguë : « Cette perception intime que nous avons de notre propre volonté est loin de fournir une connaissance complète et adéquate de la chose en soi » (M, p. 892). « Cette connaissance intérieure est affranchie de deux formes inhérentes à la connaissance externe, à savoir de la forme de l’espace et de la forme de la causalité, médiatrice de toute intuition sensible. Ce qui demeure, c’est la forme du temps, et le rapport de ce qui connaît à ce qui est connu. Par conséquent, dans cette connaissance intérieure, la chose en soi s’est sans doute débarrassée d’un grand nombre de ses voiles, sans toutefois qu’elle se présente tout à fait nue et sans enveloppe » (M, p. 892). Problématique ou non, l’expérience métaphysique de ma volonté va être étendue à l’ensemble du monde, dans la mesure où « nous allons nous en servir comme d’une clé, pour pénétrer jusqu’à l’essence de tous les phénomènes » (M, p. 146). « Cette connaissance directe que chacun a de l’essence de son propre phénomène [...] doit ensuite être transférée analogiquement aux autres phénomènes » (FHP, p. 111). Plus précisément : « Nous les jugerons par analogie avec notre propre corps et nous supposerons que si, d’une part, ils sont semblables à lui, en tant que représentations, et d’autre part, si on met de côté leur existence en tant que représentation du sujet, le reste, par son essence, doit être le même que ce que nous appelons en nous volonté» (M, p. 146-47).
••• « Panthélisme » (de pan — tout — et éthélô — vouloir) est l’heureux néologisme, forgé par E. von Hartmann pour désigner cette cosmologie de la Volonté et la distinguer du panthéisme, que Schopenhauer récuse. L’attribut essentiel de cette Volonté est son inconditionnalité, puisqu’elle échappe au principe de raison suffisante (Satz vom Grund). Trois autres déterminations s’en déduisent : la première est l’unité de la Volonté, suspension du principe de raison au point de vue de l’espace. La seconde est l’indestructibilité, suspension du principe dans sa modalité temporelle. La troisième est la liberté, suspension du principe dans sa forme causale.


MONDE COMME VOLONTÉ ET COMME REPRÉSENTATION (le) [Die Welt als Wrlle und Vorstellung], par Schopenhauer (1818), traduction française de Burdeau (Paris, 1888-1889). Schopenhauer y développe ces deux idées : 1° que le monde, qui est objet de notre connaissance, se réduit uniquement à notre représentation; 2° mais que, dans sa réalité en soi, au-delà de notre connaissance, la substance du monde est un « vouloir-vivre » aveugle, inconscient et universel : ce vouloir-vivre s'exprime dans la croissance même des plantes, la lutte pour la vie des animaux, là consistance même des minéraux, et seul l'homme peut en triompher en prenant conscience du mal qu'il fait et en se niant lui-même (par des processus ascétiques inspirés du yoga hindou).

Liens utiles