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Schopenhauer: Unique pensée

Unique pensée

• « Ce qui est proposé ici au lecteur, c’est une unique pensée » (M, p. 1). En effet, « toutes mes théories sont traversées par une pensée principale que j’applique en guise de clé à tous les phénomènes du monde » (M, p. 881). Cette clé n’est autre que la célèbre distinction kantienne du phénomène et de la chose en soi, mais précisée et remaniée, puisque le phénomène devient la « représentation », inessentielle et illusoire, tandis que la chose en soi est désormais déterminée comme « Volonté », une, universelle, indestructible et libre.

•• Le trait fondamental de cette « unique pensée » est sa rupture radicale avec la tradition cartésienne et, plus généralement, rationaliste. La Volonté n’est plus un simple attribut ou une fonction de la pensée. Elle s’en détache, sans pour autant basculer du côté de l’étendue, et « cette séparation, cette analyse du Moi ou de l’Ame, si longtemps considérés comme simples, en deux composantes hétérogènes, est pour la philosophie ce que fut pour la chimie l’analyse de l’eau » (VN, p. 76). Si Kant s’est dit le Copernic de la philosophie, Schopenhauer s’en veut le Lavoisier. « Cette division cartésienne de toutes les choses en esprit et en matière n’est donc pas philosophiquement exacte ; la seule vraie c’est celle en volonté et en représentation, qui ne marche aucunement en ligne parallèle » (PS, p. 33-34). La res extensa rejoint en effet la res cogitans du côté de la représentation, de sorte que la matière, loin d’être chose en soi se voit dotée d’un statut purement phénoménal. Un tel remaniement s’accompagne d’un renversement dans l’ordre des priorités et supériorités : la Volonté, métaphysique, est « le prius de l’organisme », dont l’intellect, physique, n’est que le « posterius» (VN, p. 76).

••• « Le présent ouvrage n’étant, je l’ai dit, que l’épanouissement d’une seule pensée, toutes ses parties ont entre elles la plus intime liaison » (M, p. 363). Encore convient-il de justifier la quadripartition du Monde, c’est-à-dire l’adoption de quatre « points de vue », qui s’opposent terme à terme, le troisième — « La représentation considérée indépendamment du principe de raison » — étant au premier — « La représentation soumise au principe de raison suffisante » — ce que le quatrième — « Arrivant à se connaître elle-même, la volonté s’affirme, puis se nie » — est au second — « L’objectivation de la volonté ». L’explication, fournie par Schopenhauer, est essentiellement pédagogique : « Sans doute, pour la commodité de l’exposition, elle (l’unique pensée) souffre d’être divisée en parties » (M, p. 1), et « ce n’est pas là pour elle un état essentiel, mais bien un état tout artificiel » (M, p. 364). On pourrait, pour justifier cet « artifice », invoquer l’ordre des matières, c’est-à-dire les divisions traditionnelles de la philosophie, comme le suggère Schopenhauer dès le début de sa première Préface : « Cette pensée, que j’ai à communiquer ici, apparaît successivement, selon le point de vue d’où on la considère, comme étant ce qu’on nomme la métaphysique, ce qu’on nomme l’éthique, et ce qu’on nomme l’esthétique » (M, p. 1). Mais, outre que l’ordre réel est ici inversé, puisque l’esthétique occupe le Livre Trois, on aurait trois matières pour quatre livres, et il faudrait sans doute considérer que la métaphysique, au sens où elle est ici entendue, couvre les deux premiers. Un texte des Pererge paraît le confirmer, qui distingue quatre moments dans l’ordre philosophique : 1 - « L’investigation de la faculté de connaissance, de ses formes et de ses lois, comme de leur validité et de leurs limites », soit la « philosophie prime », ou métaphysique au sens strict, qui se subdivise elle-même en « dianoïologie », ou examen des représentations primaires (doctrine de l’entendement) et « logique », ou examen des représentations secondaires (doctrine de la raison). Elle occupe le Livre Un. 2 — La « métaphysique de la nature » (Livre Deux). 3 — La « métaphysique du beau » (Livre Trois). 4 — La « métaphysique des mœurs » (Livre Quatre), (PS, pp 150-52).

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