Schopenhauer: Sexe (Geschlecht) et Amour sexuel (Geschlechtsliebe)
Sexe (Geschlecht) et Amour sexuel (Geschlechtsliebe)
• « Les organes virils sont le vrai foyer (Brennpunkt) de la volonté, le pôle opposé au cerveau, qui représente l’intelligence, l’autre face du monde, le monde comme représentation » (M, p. 416). Ils sont la face visible, physique, phénoménale du Désir. Avant d’être « niée » dans l’éthique finale de Schopenhauer, la sexualité constitue sans doute l’expérience primordiale de la volonté, en tant que celle-ci « s’affirme », celle où je sens que mon corps n’est pas qu’une simple représentation.
•• « L’appétit sexuel [...] est le désir qui forme l’essence même de l’homme » (M, p. 1263). « L’homme est un instinct sexuel qui a pris corps » (M, p. 1265), formules qui anticipent les pages de L’Être et le Néant, où, contre « les philosophies existentielles (qui) n’ont pas cru devoir se préoccuper de la sexualité », Sartre se demande si le sexe n’est pas « l’instrument et comme l’image d’une sexualité fondamentale ». Freud, pour sa part, n’a pas manqué de rendre hommage à l’auteur du Monde : « D’éminents philosophes peuvent être cités pour (mes) devanciers, avant tout autre le grand penseur Schopenhauer, dont la « volonté » inconsciente équivaut aux instincts psychiques de la psychanalyse. C’est ce même penseur, d’ailleurs, qui, en des paroles d’une inoubliable vigueur, a rappelé aux hommes l’importance toujours sous-estimée de leurs aspirations sexuelles ».
••• La sexualité n’en est pas moins le lieu privilégié de l’illusion vitale. Cette thèse est longuement exposée dans la « Métaphysique de l’amour » (Metaphysik der Geschlechtsliebe, M, Suppléments de 1844, § 44), que Schopenhauer considérait comme le joyau de son œuvre. L’amour n’est qu’une ruse du Génie de l’Espèce (Genius der Gattung), qui détermine, à l’insu des amants, quels géniteurs sont les plus aptes à perpétuer la perfection du type. « Cette recherche si ardente des avantages physiques et le choix si attentif qu’elle détermine ne dépendent évidemment pas de l’individu même qui choisit, comme celui-ci le croit, mais bien de la fin véritable, de l’enfant à procréer qui doit reproduire le type de l’espèce aussi pur et aussi exact que possible » (M, p. 1294). Schopenhauer voit même dans la pédérastie une confirmation paradoxale de sa thèse : « Puisque le sperme non mûr encore, comme celui que l’âge a gâté, ne peut produire que des êtres faibles, imparfaits et misérables, on rencontre souvent, dans l’adolescence, entre jeunes gens, le même penchant érotique que dans la vieillesse » (M, p. 1326). « Jetée dans l’embarras en conséquence de ses propres lois, la nature a demandé à la perversion de l’instinct un expédient, un stratagème » (ibid.). Ruse au second degré. Ce thème d’une illusion amoureuse était déjà présent dans Le Banquet de Platon. Mais Schopenhauer lui donne une signification nouvelle, puisque à la dualité de l’âme et du corps il substitue celle de la volonté et de la représentation. On comprend mieux pourquoi, après avoir exalté la sexualité comme « foyer » et « affirmation » (Bejahung) de la volonté, il prône finalement sa « négation » (Verneinung) c’est-à-dire l’abstinence, seul moyen d’échapper à cette ruse de l’Espèce, que dénonçaient déjà les Pères de l’Église. Illico post coitum cachinus auditur diaboli (R, p. 166, aussitôt après le coït, on entend le ricanement du diable). Version brahmanique : « Malheur ! Malheur ! Le lingam (pénis) est dans le yoni (vagin) » (ibid.). « Ces amants sont des traîtres, dont les aspirations secrètes tendent à perpétuer toute cette misère et tous ces tracas, sans eux bientôt finis, et dont ils rendront le terme impossible, comme leurs semblables l’ont déjà fait avant eux » (M, p. 1319).
Liens utiles
- Arthur SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, 181 B, livre IV, trad. A. Burd eau,© PUF, 2e éd. 2004
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