Schopenhauer: Science (Wissenschaft)
Science (Wissenschaft)
• Il n’y a de science que du phénoménal, c’est-à-dire l’univers de la représentation, régi par le principe de raison suffisante (espace, temps, causalité). Les propositions scientifiques demeurent à la superficie du monde physique, elles ne sont que les lois de l’illusion, et laissent hors de leur champ l’essentiel, la Volonté métaphysique et ses objectités immédiates, les Idées (Forces, Espèces et Caractères intelligibles). « La science, en effet, ne saurait pénétrer jusqu’à l’essence intime du monde ; jamais elle ne dépasse la simple représentation, et, au fond, elle ne donne que le rapport entre deux représentations » (M, p. 56). « On pourrait donc comparer la science à un bloc de marbre, où de nombreuses veines courent les unes à côté des autres, mais où on ne voit pas le cours intérieur de ces veines jusqu’à la surface opposée » (M, p. 138).
•• Les quatre modalités du principe de raison suffisante permettent d’établir une classification des sciences : « I — Sciences pures a priori. 1) Doctrine de la raison de l’être (ratio essendî) ; a) Dans l’espace : géométrie ; b) Dans le temps : arithmétique, algèbre. 2) Doctrine de la raison de la connaissance (ratio cognoscendi) : logique. II — Sciences empiriques ou a posteriori. Toutes fondées sur la raison du devenir (ratio fiendi), c’est-à-dire sur les trois modes de la loi de causalité. 1) Doctrines des causes ; a) Causes générales : mécanique, hydrodynamique, physique, chimie ; b) Causes particulières : astronomie, minéralogie, géologie, technologie, pharmacie. 2) Doctrine des excitations ; a) Générales : physiologie des plantes et des animaux, ainsi que l’anatomie, science auxiliaire de la précédente ; b) Particulières : botanique, zoologie, zootomie, physiologie comparée, pathologie, thérapeutique. 3) Doctrine des motifs ; a) Généraux : morale, psychologie ; b) Particuliers : droit, histoire » (M, p. 813). En fait, il semble que ces dernières « sciences » relèvent plutôt de la quatrième « racine » du principe de raison suffisante, la raison de l’agir (ratio agendî), oubliée dans cette classification, où elle n’apparaît plus que comme subdivision de la ratio fiendi. Quant à « la philosophie ou métaphysique », elle échappe évidemment à cette classification, puisque sa destination fondamentale est radicalement différente de celle de la science. « Elle doit être considérée comme la base fondamentale de toutes les sciences, mais est d’essence supérieure à celles-ci » (ibid.) « Si grands que soient les progrès de la physique [...] ils ne contribueront guère à nous faire avancer d’un pas vers la métaphysique ; pas plus qu’une surface, si loin qu’on la prolonge, n’acquerra un contenu en volume » (M, p. 872). « Aussi, de nos jours, l’écorce de la nature est-elle minutieusement étudiée, on connaît par le menu les intestins des vers intestinaux et la vermine de la vermine. Mais vienne un philosophe comme moi, qui parle du noyau intime de la nature, ces gens ne daigneront plus écouter, estimant que cette étude est étrangère à la science, et continueront à éplucher leur écorce » (M, p. 873). La physique n’a aucun droit face à la métaphysique. C’est pourquoi Schopenhauer récuse le « matérialisme aussi grossier que stupide » (VN, p. 41) de Büchner et Moleschott. Il en va de même de l’atomisme, « une absurdité révoltante [...] une idée fixe des savants français [...] conséquence de l’état arriéré où est restée chez eux la métaphysique, si négligée en leur pays » (M, p. 1019). Ils en sont encore à Locke et Condillac, ils n’ont pas subi « l’opération de la cataracte », pratiquée par Kant en Allemagne. C’est également cette ignorance du kantisme qui a conduit Lamarck à proposer son hypothèse inepte sur l’évolution des espèces, récusée par la métaphysique, qui impose l’immutabilité de celles-ci.
••• Il convient toutefois de souligner que Schopenhauer possède une solide formation scientifique. Pendant quatre ans, de 1809 à 1813, à Göttingen, puis à Berlin, et parallèlement à ceux de Schulze, Fichte et Schleiermacher, il a suivi les cours des anatomistes Hempel et Blumenbach, de l’astronome Bode, du naturaliste Lichtenstein, des physiologistes Horkel et Rosenthal. Cela pourrait expliquer la méprise de sa mère, qui crut, dit-on, que la Quadruple racine (1813) était une thèse d’odontologie. Son second ouvrage, De la vision et des couleurs (1816), est un traité scientifique, où, partant de la Farbenlehre (Doctrine des couleurs) de Goethe, il oppose à la conception newtonienne sa « théorie physiologique des couleurs » : les différences entre celles-ci ne proviennent ni des degrés de réfrangibilité des rayons (Newton), ni des milieux traversés (Goethe), mais de l’activité rétinienne. Il est, à cet égard, significatif que le nom du philosophe ait d’abord été cité dans les revues scientifiques. Par la suite, Schopenhauer n’a cessé de parfaire son information, qui confine parfois à l’érudition, comme en témoigne De la Volonté dans la nature (1836), et ne se limite pas aux sciences physiques et biologiques, puisque, dans le domaine des mathématiques, par exemple, il propose de construire une géométrie intuitive (QR, § 39) et « donne de lumineux exemples de ce genre de démonstration [...], devançant de près d’un siècle les théories toutes récentes de M. Mérey », pour ne point évoquer celles de Brouwer.
Liens utiles
- « L’idée de Bien est le principe de la science et de la vérité » PLATON
- Quelles sont les conditions d'une science de l'histoire ?
- Arthur SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, 181 B, livre IV, trad. A. Burd eau,© PUF, 2e éd. 2004
- Grand oral sujet Hlp: comment la science-fiction tente d’anticiper les dérives possibles de nos sociétés actuelles
- SOCIOLOGIE ET SCIENCE POLITIQUE SP5 : LES FORMES ET MOTIVATIONS DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE EN DEMOCRATIE