Schopenhauer: Représentation (Vorstellung)
Représentation (Vorstellung)
• La représentation est l’un des deux pôles de « l’unique pensée » de Schopenhauer. « Le monde est ma représentation » (M, p. 25), c’est sur cette proposition que s’ouvre Le Monde comme Volonté et comme Représentation et, « s’il est une vérité qu’on puisse affirmer a priori, c’est bien celle-là ; car elle exprime le mode de toute expérience possible et imaginable, concept beaucoup plus général que ceux même de temps, d’espace et de causalité qui l’impliquent » (ibid.). La représentation est donc le monde, tel qu’il m’apparaît dans l’acte perceptif, et elle se définit comme le rapport indissoluble du sujet percevant et de l’objet perçu. « Je ne pars ni du sujet ni de l’objet, mais du fait de la représentation » (M, p. 63).
•• La représentation est l’équivalent du « phénomène » kantien. Elle est soumise aux trois conditions de l’espace, du temps et de la causalité, qui relèvent de l’entendement et forment le Principe de raison suffisante. À cette représentation phénoménale s’oppose la Volonté métaphysique, qui correspond à la « chose en soi » de Kant, dont Schopenhauer se réclame explicitement, et dont il se veut « l’audacieux continuateur » (VN, p. 45). « Le plus grand mérite de Kant, c'est d'avoir distingué le phénomène de la chose en soi (M, p. 522, souligné par Schopenhauer), même s’il n’est pas allé assez loin dans la détermination de cette dernière. La doctrine schopenhauerienne de la représentation relève donc, à son tour, de cet « idéalisme transcendantal » (M, p. 677), dont Kant a posé les fondements.
••• « L’audacieux continuateur » n’en fait pas moins subir à la doctrine kantienne deux distorsions, qui obligent à considérer l’équation : phénomène = représentation avec circonspection. La première est « physiologique », dans la mesure où la faculté représentative, c’est-à-dire l’entendement, est identifiée au cerveau (QR, p. 221, M, p. 527). Schopenhauer reconnaît que, dans le texte kantien, le mot « cerveau » n’intervient pas, qu’il « est remplacé par la faculté de connaître » (M, p. 677), mais il n’importe. « De même que c’est notre œil qui produit le vert, le rouge, le bleu, c’est notre cerveau qui produit le temps, l’espace et la causalité » (FHP, p. 101). Cette matérialisation du transcendantal ne semble pas gêner Ribot : « Ce qui est curieux à noter, c’est que Schopenhauer fait subir aux doctrines de son maître une transformation physiologique : il identifie volontiers les formes de l’intelligence et la constitution du cerveau. [...] Cette transformation était d’ailleurs toute naturelle et il est probable que, si Kant eût vécu un demi-siècle plus tard, en plein développement des sciences biologiques, il l’eût opérée lui-même ». Elle soulève en revanche, l’indignation de Guéroult, qui y voit un « scandale philosophique » : « La substitution du mot et de la notion de cerveau au mot et à la notion de faculté de connaître, que Schopenhauer opère avec la tranquillité de l’inconscience, aurait constitué aux yeux de Kant une énormité ». La seconde distorsion, platonicienne et védique, consiste à assimiler le phénomène à une apparence (Schein). « En faisant cette distinction, Kant tire de son propre fonds, exprime d’une manière tout à fait originale, découvre sous un nouveau point de vue et par une nouvelle méthode la même vérité qu’avant lui Platon ne se lassait point de répéter, et qu’il exprime le plus souvent dans son langage de la manière suivante : le monde qui frappe nos sens ne possède point véritablement l’être ; il n’est qu’un devenir incessant, indifférent à l’être ou au non-être ; le percevoir, c’est moins une connaissance qu’une illusion » (M, p. 524). « C’est encore la même vérité, toujours sous une forme différente, qui fait ce fonds de l’enseignement des Védas et des Pouranas : c’est la doctrine de la Maya. Sous ce mythe, il faut voir exactement ce que Kant nomme phénomène par opposition à la chose en soi » (M, p. 524-25). Il y a là une seconde « énormité », car Kant n’a jamais prétendu que la représentation phénoménale était illusoire, bien au contraire, puisque toute son entreprise critique est destinée à assurer un fondement à la science. On ne saurait donc s’autoriser de lui pour affirmer que la représentation n’est qu’un « charme », une « apparence inconsistante, inessentielle », une « illusion d’optique », un « voile », un « rêve » (M, p. 525).
Liens utiles
- Arthur SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, 181 B, livre IV, trad. A. Burd eau,© PUF, 2e éd. 2004
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