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Schopenhauer: Mort (Tod)

Mort (Tod)

• La mort n’est qu’une illusion phénoménale, puisque l’individu qu'elle affecte n’est lui-même qu’une apparence, due au principe d’individuation (espace et temps). Considéré dans sa vérité métaphysique, notre être en soi est indestructible.

•• Comment s’explique, alors, notre peur de la mort ? Par l’ignorance de notre vraie nature. Pour conjurer cette épouvante, Schopenhauer multiplie les arguments : 1 - Pourquoi s’inquiéter de « l’après », alors qu’on ne se soucie pas de « l’avant » ? « Si l’aspect effrayant sous lequel nous apparaît la mort était dû à l’idée du non-être, nous devrions ressentir le même effroi à la pensée du temps où nous n’étions pas encore. Car, on ne saurait le contester, le non-être d’après la mort ne peut différer de celui d’avant la naissance ; il ne mérite donc pas plus d’exciter nos plaintes. Toute une infinité de temps s’est écoulée où nous n’étions pas encore, et il n’y a là rien qui nous afflige » (M, p. 1207). 2 - La mort « finale » a été précédée d’une infinité de « petites morts », qui sont la rançon quotidienne de la vie : « Les excrétions, les pertes de substance qui se font par la respiration et autrement, ne sont qu’un diminutif de la mort, corrélatif de la génération. Eh bien, si nous savons nous contenter de conserver notre forme sans porter le deuil de la matière que nous abandonnons, nous devons en faire autant quand la mort vient nous imposer un abandon plus étendu, total même, mais tout semblable à celui que nous subissons chaque jour, à chaque heure, par la simple excrétion. Devant l’un nous sommes indifférents ; pourquoi reculer d’horreur devant l’autre ? » (M, p. 353). 3 - Le sommeil est une mort quotidienne, que nous acceptons pourtant sans rechigner. Or, « du sommeil profond à la mort, outre que le passage se fait parfois tout insensiblement, comme lorsqu’on meurt de froid (Erfrieren), la différence, tant que le sommeil dure, est absolument nulle ; elle ne se marque qu’au regard de l’avenir, par la possibilité du réveil. La mort, c’est un sommeil, où l’individualité s’oublie ; tout le reste de l’être aura son réveil, ou plutôt il n’a pas cessé d’être éveillé » (M, p. 353). « Il faudrait regarder notre vie comme un prêt fait par la mort ; le sommeil serait alors l’intérêt quotidien de celui-ci » (R, p. 150).

••• Si l’on s’élève à des considérations plus métaphysiques, dont les précédentes ne sont que la propédeutique, on découvre que la mort n’est qu’une illusion phénoménale, dont l’individu aurait bien tort de s’effrayer : elle « peut bien mettre fin à sa vie (Leben), mais non à son existence (Dasein) » (R, p. 142). Elle le ramène au contraire à son « état originel », « l’état de la chose en soi, par opposition au phénomène » (R, p. 146). Dira-t-on que cette éternité anonyme et inconsciente ne saurait nous satisfaire ? L’objection prouve que l’on reste victime de l’illusion phénoménale. « Pourquoi m’inquiéter de la perte de cette individualité, moi qui porte en moi-même la possibilité d’individualités sans nombre ? » (M, p. 1238): « Si nous reconnaissions à fond, dans son essence la plus intime, notre propre être, nous trouverions ridicule de réclamer l’immortalité de l’individu. Car ce serait abandonner cet être-même pour une seule de ses manifestations, ou fulgurations » (R, p. 148). Schopenhauer n’en exclut pas moins la « solution » du suicide, « un acte inutile et insensé » (M, p. 358), qui n’est que la dernière expression du vouloir-vivre, désespéré, et non pas résigné, et donc ultime victime de l’illusion phénoménale. Le vrai salut est la négation de la volonté, son « euthanasie » (M, p. 1411), dont les modalités effectives dans la vie phénoménale sont l’abstinence et la résignation, l’accès à la sagesse métaphysique.

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