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Schopenhauer: Morale

Morale

• Le propre de l’action morale est « d’être dirigée en vue de l’avantage et du profit d’un autre » (FM, p. 117). « Or, pour que mon action soit faite uniquement en vue d’un autre, il faut que le bien de cet autre soit pour moi, et directement, un motif, au même titre où mon bien à moi l’est d’ordinaire » (ibid.). La morale suppose donc un « moyen » par lequel je m’identifie avec l’autre. Or ce moyen existe, c’est la pitié, et elle seule. La pitié est donc le fondement de la morale.

•• Schopenhauer renie donc, avec éclat et en des termes violemment polémiques, l’enseignement de Kant, dont, par ailleurs, il se réclame. Kant, sans doute, dans la « Dialectique transcendantale » de la Critique de la raison pure, a ruiné définitivement la théologie spéculative, privant du même coup l’éthique de son fondement traditionnel ; et il « a bien mérité de la morale en un point : il l’a purifiée de tout souci du bonheur, de tout eudémonisme » (FM, p. 12). Mais il est resté théologien. Sa philosophie pratique est « un pur déguisement de la morale théologique » (FM, p. 93). Ce vice théologique, Schopenhauer le décèle dans l’impératif catégorique : « Ce concept, avec tous ses voisins, ceux de loi, de commandement, de nécessité morale et autres [...] est emprunté à la morale théologique, et n’est dans la morale philosophique qu’un étranger » (FM, p. 18). « La notion de devoir, la forme impérative prise par la morale, n’appartiennent qu’à la morale théologique » (FM, p. 103), et, plus précisément, mosaïque (FM, p. 18 et 20). La doctrine kantienne n’est donc qu’un avatar du Décalogue, reproche majeur, aux yeux de Schopenhauer, pour qui l’anti-judaïsme est une nécessité philosophique. La raison déboutée de toute prétention éthique — telle est la véritable « critique de la raison pratique » —, il faut chercher le vrai « fondement de la morale ». Il ne peut être que la pitié, « seul principe réel de toute justice spontanée et de toute vraie charité » (FM, p. 118).

••• Cette déduction de la pitié comme fondement de la morale n’est qu’une introduction, une initiation à l’éthique finale de Schopenhauer. L’expérience de la compassion possède en effet une valeur métaphysique, dans la mesure où elle me révèle l’identité essentielle de tous les êtres, autrui, les animaux — dont Schopenhauer parle avec passion dans ses derniers ouvrages, nouvelle occasion de stigmatiser le judaïsme, et tous les monothéismes, ces bourreaux de l’animalité —, mais aussi les objets du monde inorganique. Elle m’enseigne l’altruisme, l’amour des bêtes, mais aussi, et, plus profondément, le renoncement, la négation de ma volonté, qui, après s’être trop longtemps et trop violemment affirmée, doit enfin s’abolir dans l’abstinence et la résignation.

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