Databac

Schopenhauer: Liberté (Freiheit)

• La liberté est l’un des attributs de la Volonté. Elle désigne la suspension du principe de raison suffisante au point de vue de la causalité. Tous les êtres sont métaphysiquement libres, en tant qu’ils participent de la Volonté, et physiquement déterminés, dans la sphère de la représentation. Ce dualisme se retrouve dans la distinction des deux caractères, intelligible (libre), et empirique (déterminé), héritée de Kant.

•• Que l’homme, en tant que phénomène, soit déterminé, cela ne souffre aucune discussion. « Tu peux, il est vrai, faire ce que tu veux : mais à chaque moment déterminé de ton existence, tu ne peux vouloir qu’une chose précise et une seule, à l’exclusion de toute autre » (EL, p. 52). « Je peux, si je veux, donner aux pauvres tout ce que je possède, et devenir pauvre moi-même — si je veux ! — mais il n’est pas en mon pouvoir de le vouloir, parce que les motifs opposés ont sur moi beaucoup trop d’empire » (EL, p. 82). On peut, certes, distinguer divers modes de détermination, depuis la cause (Ursache), qui régit le monde inorganique, jusqu’à la motivation {Motivation}, « particulière au règne animal » (EL, p. 63), en passant par l’excitation {Reiz}, « caractère distinctif des plantes » (ibidi). De même, au niveau supérieur, convient-il de distinguer les motifs sensibles, auxquels tous les animaux sont soumis, y compris l’homme, et les motifs rationnels, spécifiques de l’humanité ; mais ces distinctions ne diminuent en rien la nécessité. Si, maintenant, on suspend la juridiction du principe de raison suffisante, pour passer du côté de la Volonté, en elle-même inconditionnée {grundlos}, tous les êtres, à quelque règne qu’ils appartiennent, sont également libres. La liberté ne décline pas plus quand on s’éloigne de l’homme, que la causalité lorsqu’on s’élève à lui.

••• Deux conséquences en découlent. La première peut se résumer dans la formule scolastique : « operari sequitur esse (chaque être agit conformément à son essence) » (EL, p. 102). Mais il convient de l’interpréter correctement. « C’est une erreur fondamentale [...] d’attribuer la nécessité à l’Être et la liberté à l’action : c’est le contraire qui est le vrai ; dans l'Être seul réside la liberté, mais de l’Esse et des motifs l'Operari résulte nécessairement, et c’est par ce que nous faisons que nous reconnaissons nous-mêmes ce que nous sommes » (EL, p. 162). « Je me suis borné à intervertir les places : la liberté a été transportée dans l’Esse et la nécessité a été limitée à l’Operari » (M, p. 1042). La seconde se condense à son tour dans une formule latine, empruntée à Sénèque : velle non discitur, vouloir ne s’enseigne pas. « Sénèque dit excellemment : velle non discitur, préférant ici la vérité à ses amis les stoïciens ; ceux-ci enseignaient que la vertu peut s’apprendre » (M, p. 374). La double détermination, essentielle par l’Être, et phénoménale par les motifs, rend illusoire toute pédagogie morale. Aussi Schopenhauer n’accorde-t-il à la sanction qu’une valeur préventive, la peur du châtiment pouvant constituer un motif dissuasif.

Liens utiles