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Schopenhauer: Kantisme (Kantismus)

Kantisme (Kantismus)

• Philosophie « critique », exposée par Kant dans ses trois ouvrages fondamentaux: Critique de la raison pure (1781, 1787) ; Critique de la raison pratique (1788) ; Critique de la faculté de juger (1791). Schopenhauer se considère comme le véritable héritier de cette doctrine, à l’encontre des autres postkantiens, Fichte, Hegel et Schelling ; mais, pour l’essentiel, il ne retient que l’idéalisme transcendantal de la première Critique.

•• Schopenhauer a toujours rendu hommage à Kant, dont il se proclame « l’audacieux continuateur » (VN, p. 45), formule qui exprime assez bien la filiation ambiguë des deux systèmes. Longtemps méconnu de ses contemporains, il n’a cessé d’associer son nom à celui de Kant, alors même qu’il se montrait sévère envers lui, comme l’atteste, dès 1819, le long «Appendice», «Critique de la philosophie kantienne» (M, p. 519 à 668). En dépit de graves désaccords, à l’occasion desquels Schopenhauer sait se montrer sarcastique, voire insultant, cette alliance est constamment revendiquée. Ce n’est pas un hasard si, dans cette « période de déloyauté », « nous sommes mauvais tous les deux » (VN, p. 46). « Haine contre Kant, haine contre moi, haine contre la vérité » (VN, p. 55). « C’est Kant qui a introduit le sérieux en philosophie et c’est moi qui l’entretiens » (VN, p. 52). Ce sérieux, c’est l’idéalisme transcendantal. Kant a pratiqué sur nous « l’opération de la cataracte » (M, p. 4), nous délivrant ainsi de notre cécité réaliste. C’est pourquoi « la philosophie de Kant est la seule avec laquelle il soit strictement nécessaire d’être familier pour entendre ce que j’ai à exposer » (M, p. 5), car « celui qui ne s’est pas assimilé la doctrine de Kant, quelle que puisse être d’ailleurs sa pratique de la philosophie, est encore dans une sorte d’innocence primitive ; il n’est pas sorti de ce réalisme naïf et enfantin que nous apportons tous en naissant ; il peut être propre à tout, hormis à philosopher » (M, p. 16). « Aussi, à ce point de vue, le plus sage serait de commencer par lire 1’“Appendice” » (M, p. 5), c’est-à-dire la présentation et la critique systématiques des écrits de Kant, propédeutique idéale à la lecture du Monde.

••• « Le plus grand mérite de Kant, c’est d’avoir distingué le phénomène de la chose en soi » (M, p. 522). Il en a un autre, la distinction des deux caractères, intelligible et empirique. Voilà « les deux diamants » de la couronne kantienne. Le dithyrambe ne saurait pourtant masquer les désaccords. 1 — Dans la seconde édition de la Critique de la raison pure (1787), Kant a « mutilé » et « gâté » son idéalisme (M, p. 855). Seule la première édition n’est pas « châtrée » (FHP, p. 117), et l’une des premières satisfactions de Schopenhauer, dans sa carrière philosophique, fut d’obtenir de Rosenkranz qu’il édite conjointement les textes des deux éditions. Quoi qu’il en soit, cet idéalisme doit être approfondi. La chose en soi devient la Volonté, désormais connaissable, à travers une expérience métaphysique intime, qui sera ensuite étendue à l’ensemble du monde, organique ou non. Quant au phénomène, il prend le nom de « représentation », soumise au principe de raison suffisante, constitué de trois instances, l’espace, le temps et la causalité, que Kant avait pris soin de dissocier (les douze catégories de la première Critique se trouvent, du même coup, réduites à une seule). Mais, surtout, Schopenhauer fait subir à l’idéalisme transcendantal une double transformation : l’entendement (Verstand) est identifié au cerveau, tandis que le phénomène (Erscheinung) est assimilé à une apparence (Schein). Il en va de même dans la sphère métaphysique. Kant, sans doute, a bien mérité de la philosophie en déboutant la raison de toute prétention théorique. « La Critique de la raison pure n’admet pas, en effet, qu’on fasse passer de la mythologie juive pour de la philosophie » (M, p. 1346). Mais sa critique n’est pas assez radicale. « Toute la série des antinomies n’est qu’une feinte, un simulacre de conflit. [...] Dans chacune des quatre antinomies, la démonstration de la thèse est un sophisme » (M, p. 620-621) Quant aux idées de l’Âme et de. Dieu, elles ne sont que des billevesées, destinées à ménager la réintroduction subreptice de la métaphysique dans l’usage pratique de la raison. 2 - La critique est encore plus cinglante dans le domaine éthique. La raison n’est pas le fondement de la morale. Hume l’avait déjà dit et il faut le répéter. En dépit de ses bonnes déclarations d’intention, Kant est resté un théologien, un théologien juif, dans la mesure où son « impératif catégorique » (« Tu dois ») n’est qu’un vulgaire avatar de la loi mosaïque, un « Deus ex machina [...] le résultat d’un ergotage conceptuel » (VN, p. 197), qui mérite néanmoins plus qu’un simple sarcasme, puisque Schopenhauer lui a consacré le plus long chapitre de son second écrit de concours, Le Fondement de la morale, II, « Critique du fondement de la morale proposé par Kant » (p. 12 à 91). 3 - La troisième Critique ne fait pas l’objet d’un commentaire aussi développé. Kant, « à qui l’art est resté fort étranger, et qui, selon toute apparence, était peu fait pour sentir le beau et n’a sans doute même jamais eu l’occasion de voir une œuvre d’art digne de ce nom » (M, p. 662), a malencontreusement associé, sous le signe de la finalité et du jugement réfléchissant, esthétique et téléologie. « De là résulte cette union baroque de la connaissance du beau avec celle de la finalité des corps, dans une faculté de connaître qu’il appelle jugement » (M, p. 664-665). Il est vrai que la contemplation esthétique est « désintéressée », mais « la partie de la Critique de la faculté de juger qui est de beaucoup la meilleure, c’est la théorie du sublime » (M, p. 665), à condition de la purger de ses « réflexions morales » (M, p. 264). Quant à sa téléologie, elle se réduit finalement à une thèse fort simple : « Bien que les corps organisés nous apparaissent nécessairement comme soumis, dans leur structure, à un concept préalable de finalité, rien ne nous autorise cependant à regarder cette finalité comme objective » (M, p. 665), et point n’était besoin, pour l’établir, de toutes ces « fantaisies architectoniques » (ibid.), dont Kant a la manie.

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