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Schopenhauer : Idéalisme (Idealismus)

Idéalisme (Idealismus)

• Le système de Schopenhauer est un idéalisme, dans la mesure où il considère le monde comme le produit de ma représentation, c’est-à-dire de mon entendement, lui-même régi par le principe de raison suffisante (espace, temps, causalité). Cette thèse s’énonce comme une évidence indubitable et un gage de probité intellectuelle : « Le véritable philosophe doit être idéaliste ; il doit l’être pour être seulement honnête » (M, p. 673).

•• Il ne s’agit pourtant pas de n’importe quel idéalisme. Si Berkeley « est le père de l’idéalisme, base de toute vraie philosophie » (FHP, p. 88), « le véritable idéalisme [...] n’est pas l’idéalisme empirique» de Berkeley, «mais l’idéalisme transcendantal » de Kant (M, p. 677), dont le corrélatif est le « réalisme empirique », qui affirme l’existence d’une « chose en soi », déterminée comme volonté dans le système de Schopenhauer, tandis que le « phénomène » kantien prend le nom de « représentation ». À l’instar de son modèle, l’idéalisme schopenhauerien est donc un dualisme ; mais, à la différence de Kant, qui s’y emploie longuement, Schopenhauer juge inutile de réfuter l’idéalisme radical, celui qui nie l’existence de toute réalité extérieure au sujet, et qu’il nomme « égoïsme théorique » : « On ne pourra jamais réfuter l’égoïsme théorique par des preuves ; toutefois, il n’a jamais été employé en philosophie que comme sophisme sceptique, non exposé comme conviction. On ne le rencontrerait, à ce titre, que dans une maison d’aliénés ; et alors ce n’est pas par un raisonnement, c’est par une douche qu’il faut le réfuter » (M, p. 146). Il faut le traiter « comme un petit fort de frontière, qui sans doute est toujours imprenable, mais aussi dont la garnison ne peut jamais sortir ; c’est pourquoi on passe sans l’attaquer. Il n’y a aucun danger à l’avoir sur ses arrières » On ne perdra pas davantage son temps à réfuter les élucubrations des « trois sophistes », Fichte, Hegel et Schelling, adeptes de l’idéalisme absolu, une imposture sans précédents dans l’histoire de la philosophie. Hegel, pour n’évoquer que lui, est un « Caliban intellectuel » (M, p. 13), « un grossier charlatan » (FM, p. 47), « une créature ministérielle » (EL, p. 141), et ses disciples ne sont-que des valets, abusés ou corrompus.

••• L’idéalisme schopenhauerien n’en demeure pas moins problématique, dans la mesure ou il s’inscrit délibérément dans un cercle épistémologique : « Il est aussi vrai de dire que le sujet connaissant est un produit de la matière que de dire que la matière est une simple représentation du sujet connaissant » (M, p. 682). « Sans doute, dans mon explication, l’existence du corps suppose le monde de la représentation, en tant que comme corps ou objet réel il n’est que dans ce monde ; et d’autre part, la représentation suppose tout autant le corps, puisqu’elle ne naît que par une fonction de ce corps » (M, p. 988). Certes, le cercle n’est pas vraiment circulaire, ni l’antinomie équilibrée, puisque l’avantage reste toujours à la métaphysique. « La volonté est métaphysique, l’intellect physique » (M, p. 897). Mais le problème n’est pas entièrement résolu. Faut-il parler, avec Frauenstaedt, ami et confident de Schopenhauer, d’un « idéalisme matérialiste » ? Les commentateurs sont partagés. Pour les uns, « l’idéalisme est le dernier comme le premier mot du Monde. Pour d’autres, et en dépit de ses professions de foi idéalistes, accentuées dans la seconde édition du Monde, et de ses critiques acerbes du matérialisme contemporain, Schopenhauer serait profondément réaliste, comme en témoignent l’érudition et la passion scientifiques dont il fait montre dans son ouvrage de 1836, De la Volonté dans la nature. L’idéalisme n’en a pas moins le dernier mot : « Les processus géologiques ayant précédé toute vie sur la terre [...] n’avaient donc pas, par manque de tout sujet, d’existence objective, c’est-à-dire qu’ils n’existaient pas du tout : or, que signifie alors leur « s’être effectué » ? C’est au fond une simple hypothèse. Si, dans ces temps primitifs, une conscience avait existé, de tels processus s’y seraient représentés » (PS, p. 79-80).

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