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Schopenhauer: Chose en soi (Ding an sich)

Chose en soi (Ding an sich)

• La chose en soi est la Volonté. Kant désignait par « chose en soi » la réalité effective, indépendante de l’expérience phénoménale que nous en avons, laquelle est soumise à la double condition des formes a priori de l’intuition sensible (espace et temps) et des catégories de l’entendement. Elle est radicalement inconnaissable et l’on ne peut que la nommer de manière indéterminée. Schopenhauer reprend cette distinction fondamentale, mais il lui fait subir deux transformations profondes. 1 - La chose en soi est désormais connaissable, au moins relativement. 2 - Cette connaissance est, à l’origine, l’expérience de ma volonté, étendue ensuite à l’ensemble des phénomènes, même inorganiques.

•• « Le plus grand mérite de Kant, c’est d’avoir distingué le phénomène de la chose en soi » (M, p. 522). Mais on peut se demander si Schopenhauer, qui se veut l’héritier du kantisme, mais aussi son « audacieux continuateur » (VN, p. 45), n’a pas, dans son audace, trahi l’esprit de cette distinction éminente, qui est la clé de voûte de l’idéalisme transcendantal. 1 - Devenu « représentation », le phénomène (Erscheinung) est réduit à une apparence ce qui est contraire à la doctrine kantienne. 2 - Si la chose en soi est connaissable, peut-on encore parler de « chose en soi » ? Schopenhauer s’attache pourtant à la sauvegarder en tant que telle et à soutenir le paradoxe de sa cognoscibilité, comme l’attestent les titres de deux chapitres des « Suppléments » au Monde : « Comment la chose en soi est connaissable » (XVIII) et « Considérations transcendantes sur la volonté comme chose en soi » (XXV). Mais on ne sait pas bien de quelle nature est cette connaissance, ni, surtout, quelle est l’instance cognitive qui l’assure, puisqu’il ne peut s’agir, ni de l’entendement, ni de la raison, régis par le principe de raison suffisante (espace, temps et causalité). Schopenhauer hésite entre plusieurs possibilités et semble finalement opter pour une solution de compromis : « Cette connaissance intérieure est affranchie de deux formes inhérentes à la connaissance externe, à savoir la forme de l’espace et la forme de la causalité, médiatrice de toute intuition sensible. Ce qui demeure, c’est la forme du temps, et le rapport de ce qui connaît à ce qui est connu. Par conséquent, dans cette connaissance intérieure, la chose en soi s’est sans doute débarrassée d’un grand nombre de ses voiles, sans toutefois qu’elle se présente tout à fait nue et sans enveloppe » (M, p. 892). « L’acte de volonté n’est donc sans doute que le phénomène le plus proche et le plus précis de la chose en soi. [...] Par là la doctrine kantienne de l’incognoscibilité de la chose en soi est modifiée en ce sens que cette chose en soi n’est inconnaissable qu’absolument, mais qu’elle est remplacée pour nous par le plus immédiat de ses phénomènes » (M, p. 893). Elle n’est donc connaissable que relativement, mais, en dépit de cette relativité, la connaissance de la chose en soi l’emporte sur toutes les autres, dans la mesure où elle est métaphysique, tandis que les représentations phénoménales ne me livrent qu’un savoir illusoire. Ce terme de volonté « loin de représenter à nos yeux un inconnu, indique au contraire ce qui, par un côté du moins, nous est infiniment plus connu et plus familier que tout le reste » (M, p. 1040). Le problème se complique encore avec l’extension de ma volonté à l’ensemble du monde, un transfert exorbitant, qu’aucune expérience ne vient désormais garantir. Il s’agit d’un « transfert analogique », donc, semble-t-il, d’un produit de ma raison « logique », étrangement investie d’une fonction métaphysique, qui lui est pourtant déniée par Schopenhauer.

••• On comparera avec intérêt la position de Schopenhauer, qui tente, à tout prix, de « sauver » la chose en soi kantienne, avec celle de Hegel, qui n’hésite pas à l’évacuer, comme une notion vide, un caput mortuum qui n’est « lui-même que le produit de la pensée, précisément de la pensée qui a progressé jusqu’à la pure abstraction, du Moi vide qui se donne pour objet cette vide identité de lui-même. [...] On ne peut, d’après cela, que s’étonner d’avoir lu, à de si nombreuses reprises, que l’on ne sait pas ce qu’est la chose en soi ; alors qu’il n’y a rien de plus aisé que de savoir cela».

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