Schopenhauer: Bêtise (Dummheit)
Bêtise (Dummheit)
• La bêtise est un défaut d’entendement. « C’est une sorte d’inaptitude (Stumpfheit, stumpf, émoussé, obtus) à faire usage du principe de causalité, une incapacité à saisir d’emblée les liaisons, soit de cause à effet, soit du motif à l’acte » (M, p. 48), c’est-à-dire à manier efficacement le principe de raison suffisante. Elle s’oppose à la vivacité d’esprit, ou « facilité à appliquer le principe de causalité » (ibid.) •• Dans sa doctrine de la représentation, Schopenhauer met en place un dispositif terminologique sophistiqué, assez malaisé à traduire en français. Si le manque d’entendement se nomme Dummheit (bêtise, stupidité), le défaut de raison dans l’usage logique s’appelle Einfalt (niaiserie), et dans l’usage pratique Torheit (sottise, insanité). Mais les deux facultés peuvent aussi se tromper (Trug). L’entendement tombe alors dans l’illusion (Schein) et la raison dans l’erreur (M, p. 50). ••• Si l’on s’en tient à cette analyse, la bêtise et ses voisines se situent du côté de la représentation et ne trahissent qu’un défaut ou une défaillance soit de l’entendement, soit de la raison, dans l’usage du principe de raison suffisante. Mais Schopenhauer esquisse aussi une véritable métaphysique de la bêtise, qui met en cause la Volonté elle-même, dont on sait qu’elle est essentiellement « grundlos », c’est-à-dire étrangère au principe de raison suffisante, et que nous la partageons avec tous les autres phénomènes. « La volonté, comme la chose en soi, est commune à tous les êtres. Nous la possédons par conséquent en commun avec tous les hommes, même avec les animaux, et à un degré plus bas encore. [...] Livré à un tel affect, le plus grand génie devient semblable au fils le plus vulgaire de la terre » (EDP, p. 168-69). On s’expliquerait alors pourquoi le génie, qui se trouve déjà dans l’inquiétante proximité de la folie, est menacé, plus que quiconque, par la bêtise, ce « fond universel, digestif et légumineux ». Schopenhauer, à cet égard, annonce les grands écrivains français qui feront de la Bêtise leur ennemie intime (Baudelaire, Flaubert, Mallarmé, etc.). Ils seront d’ailleurs nombreux à lui rendre hommage (Huysmans, par exemple, dans À rebours, 1884), quand sa renommée aura franchi la frontière.
Liens utiles
- Arthur SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, 181 B, livre IV, trad. A. Burd eau,© PUF, 2e éd. 2004
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