Schopenhauer: Art (Kunst)
Art (Kunst)
• « L’art reproduit (wiederholt) les idées éternelles qu’il a conçues par le moyen de la contemplation pure » (M, p. 239), c’est-à-dire affranchie du principe de raison suffisante (espace, temps et causalité). « Son origine unique est la connaissance des idées ; son but unique la communication de cette connaissance » {ibid.}. Il est « le propre du génie » (M, p. 240), qui détient donc la double capacité de contempler les idées, ou objectités immédiates de la Volonté, et de les communiquer, par la production des œuvres, qui sont la « copie » (Abbild) de ces idées. •• L’esthétique schopenhauerienne met l’accent sur la contemplation des idées, comme condition fondamentale de l’activité artistique. À la connaissance rationnelle, soumise au principe de raison suffisante, et qui « n’a de valeur que dans la vie pratique et dans la science » (M, p. 239), Schopenhauer oppose la « contemplation platonicienne » (M, p. 240), dont la « reproduction constitue l’œuvre d’art », qui n’est, finalement, « qu’un moyen destiné à faciliter la connaissance de l’idée, connaissance qui constitue le plaisir esthétique » (M, p. 251). Cette double référence platonicienne à la contemplation des idées et à la doctrine de l’imitation ne doit pourtant pas abuser le lecteur. Alors que, chez Platon, au Livre X de La République en particulier, la production artistique est dévaluée, en tant que « simulacre de simulacre », puisque le peintre, par exemple, ne fait que recopier une copie sensible de l’idée intelligible, Schopenhauer lui accorde au contraire une éminente dignité métaphysique, puisqu’elle est une reproduction de l’idée, et donc très supérieure aux autres objets du monde phénoménal. « À cette occasion, je puis encore indiquer un autre point sur lequel notre théorie des Idées s’écarte beaucoup de celle de Platon. Il enseigne (De Rep., X) que l’objet que les beaux-arts s’efforcent de reproduire, c’est-à-dire le modèle de la peinture et de la poésie, ce n’est point l’idée, mais la chose particulière. Toute l’analyse que nous avons faite jusqu’ici établit justement le contraire » (M, p. 272-73). L’esthétique de Schopenhauer est donc anti-platonicienne et s’apparente davantage à celle de Kant, qui définit le génie comme « pouvoir des Idées esthétiques » et à celle de Hegel, qui conçoit l’art comme la « représentation sensible de l’Esprit ». ••• La classification des beaux-arts, présentée par Schopenhauer, n’est d’ailleurs pas sans analogie avec celle de Hegel, à cette différence près que le point de vue historique, fondamental chez celui-ci, est absent chez celui-là. Il ne s’agit pas de l’Esprit se réalisant progressivement dans le temps, selon une succession des arts, tour à tour dominants — l’architecture pour l’art symbolique, proche-oriental et égyptien ; la sculpture pour l’art classique, grec ; la peinture, puis la musique, la poésie enfin, pour l’art romantique, occidental et chrétien —, mais d’une hiérarchie fondée sur celle des Idées — Forces, Espèces, Caractères intelligibles —, que les beaux-arts reproduisent. On s’élève ainsi de l’architecture, liée aux forces élémentaires — pesanteur, résistance, etc. —, jusqu’à la tragédie, celle du héros, qui atteint à la résignation, stade ultime de l’éthique schopenhauerienne, dont l’art est la propédeutique. La musique est absente de cette classification verticale : elle n’est pas, « comme les autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté (Abbild des Willens selbst), au même titre que les Idées elles-mêmes » (M, p. 329). Elle est donc, à l’instar de celles-ci, « une objectité immédiate de la volonté » (ibid), ce qui ne va pas sans difficultés, puisque les Idées sont des essences éternelles, tandis que la musique est une production humaine, qui a besoin du temps pour se déployer. Mais tel est son privilège métaphysique que Schopenhauer n’hésite pas à affirmer qu’elle pourrait « continuer à exister, alors même que l’univers n’existerait pas » (ibid.).
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- Arthur SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, 181 B, livre IV, trad. A. Burd eau,© PUF, 2e éd. 2004