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Schelling: Alchimie

Alchimie

• On entendra par ce terme non pas l’ancêtre pré-scientifique ou pseudoscientifique de la chimie, mais l’antique et vénérable « science d’Hermès », ou « philosophie hermétique », qui, selon Schelling, a pour ambition de retrouver le secret perdu de la matière. En déclarant que la science est pouvoir {science is power), Bacon, dont Schelling cite cette formule, dégage un trait de la science moderne que l’alchimie médiévale assumait pleinement : l’ambition de détenir un pouvoir magique sur le monde.

•• La « recherche de l’absolu » que suppose l’Ars magna ne pouvait laisser indifférent un auteur tel que Schelling, lecteur de Jacob Boehme, enclin à rechercher « l’essence spirituelle de la matière », ne serait-ce que dans l’huile balsamique dont le vert de la plante est saturé, la tendreté diaphane de la chair ou l’éclat du regard. « Qui peut bien s’imaginer que l’amertume de l’eau de mer, la puanteur des javelles, seraient un paisible produit de la nature ? Ne faut-il pas voir là, bien plutôt, ce qu’ont enfanté le découragement, l’angoisse et le désespoir ? » (Introd. phil., p. 157). À la différence de Descartes, qui s’était bien intéressé aux « sciences curieuses » (dites aujourd’hui sciences occultes), mais pour rejeter « les promesses d’un alchimiste » parmi les « mauvaises doctrines » {Discours de la méthode, Première Partie), Schelling semble réhabiliter l’alchimie et la riche tradition souterraine à laquelle elle est liée, en tant qu’elle serait dépositaire d’un savoir ancestral antérieur à la coupure fatale —véritable péché originel de la philosophie moderne — entre nature (ou matière) et esprit {res extensa / res cogitans). « La véritable idée de la matière s’est perdue de bonne heure et, à chaque époque, n’a été connue que d’un petit nombre » (Bruno, 156). Ce même dialogue, dont le titre rend hommage à Giordano Bruno — fait allusion à « cette pierre que les Anciens ont nommée pierre d’Héraklès et les Modernes aimant ». L’intérêt de Schelling pour l’alchimie est donc solidaire de son projet de voir dans la nature « l’esprit visible », comme dans l’esprit, la « nature invisible ».

••• L’alchimie à laquelle s’intéresse Schelling ne se réduit donc pas à la panacée universelle, qui doit guérir toutes les maladies, et à la pierre philosophale, à même d’opérer la transmutation de tous les métaux en or (ou chrysopéé). La définition courante et vulgaire de l’alchimie, comme « art de faire de l’or », est loin de saisir l’essence de celle-ci. « La représentation habituelle de l’alchimie doit être laissée au vulgaire ; ceux qui comprenaient ce qu’ils voulaient ne cherchaient jamais l’or mais, pour ainsi dire, l’or de l’or, ou ce qui fait que l’or est or » (A. d. M., 178). Rappelons que Schelling est l’auteur d’un traité consacré aux quatre métaux nobles {Die vier edlen Metalle, 1802) : platine, or, vif-argent (ou mercure, l’élément femelle pour l’alchimie) et argent. Le nom allemand de l’or, Gold, se charge en outre d’une consonance avec Gott (Dieu), l’or, le métal de lumière, est comme le dieu de la terre {Phil. Rév., II, 217). Le véritable alchimiste n’est donc pas un simple « faiseur d’or », il est plus profondément, comme l’affirme la tradition hermétique, philosophe.

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