Schelling: Âges du monde (Weltalter)
Âges du monde (Weltalter)
• Cette expression, qui donne son titre à une œuvre inachevée (dont les trois versions s’échelonnent de 1811 à 1815), puis à un cours de Munich en 1827, désigne un « système des temps » dont le système des temps humains qui nous est familier (passé / présent / avenir) n’est que la modeste réplique dans un cercle restreint. Il s’agit de faire droit à l’équivalence selon laquelle du temps = des temps. Il y a des temps, des saisons, des âges parce que tout temps véritable suppose un temps surmonté advenant par une victoire remportée sur soi : « Sans un présent vigoureux, résultant d’une scission de soi-même, il n’y a nul passé ! L’homme qui n’est pas capable de s’opposer à son passé n’en a pas, ou bien plutôt il n’en sort jamais mais vit constamment en lui. » (A. d. M., 22)
•• Les Ages du monde se veulent une histoire scientifique de l’Absolu conçu comme un être vivant primordial (Urwesen, ens originarium). C’est donc bien à une histoire de l’Absolu. et donc à un récit, que nous avons affaire : il s’agit de raconter l’Absolu au sens où les paysans de Balzac « racontent l’Empereur » (J.-Fr. Marquet). Cette histoire de l’Absolu invite à revisiter les trois preuves de l’existence de Dieu recensées et réfutées par Kant dans la Dialectique de la Critique de la raison pure: ces trois preuves (ontologique, cosmologique, physicothéologique) sont, ressaisies plus profondément, trois moments du développement d’un seul et même Etre. Les âges du monde sont des éons cosmiques dont l’étoffe même repose, comme Schelling l’a souligné à plusieurs reprises, sur l’équivalence aiôn (temps) = monde, selon l’étymologie qui fait dériver Welt (monde) de wâhren (durer). Le passé radical ou absolu, ou encore transcendantal (« tellement passé qu’il n’a jamais été présent ») est le passé d’avant le monde, le présent radical, le présent qui réunit le passé, le présent et l’avenir de ce monde (« Rien de nouveau sous le soleil »), l’avenir radical, l’avenir d’après le monde. À ces trois figures, Schelling fait correspondre respectivement celles du Père, du Fils et de l’Esprit (« ce qui sera ») et, analogiquement, celles des apôtres Pierre, Paul et Jean. Les âges du monde ne sont pas des parties du temps, mais des forces qui, en leur conjonction et leur disjonction, en leur relation dynamique, constituent l’organisme du temps. La clef de la doctrine schellingienne des âges du monde est donc la déclaration d’Hippocrate selon laquelle tout ce qui est divin est humain, et réciproquement, ou encore « l’analogie du divin » dont une formule de Hamann, citée par Schelling dans une leçon d’Erlangen, fait « la grande clef de la connaissance humaine ».
••• La problématique des âges du monde s’inscrit dans le projet d’une « généalogie du temps » où il s’agit de remonter à la source du temps à partir de ce non-temps absolu qu’est la nuit des temps, ou l’éternité, pour y saisir ce « léger défaut dans le bloc éternel » (Valéry) qu’est l’éclosion d’une altérité au moins virtuelle au sein de l’éternité, autrement dit la naissance, le commencement du temps (au sens prégnant d’« amorce » qu’a chez Schelling le terme Anfang. commencement), temps d’abord lui-même éternel, ou non-temps non plus absolu mais relatif, c’est-à-dire interne à l’éternité, avant de devenir ce que notre auteur ne craint pas d’appeler un « temps proprement temporel », Du fait de l’oscillation entre temps cosmiques (= âges du monde) et temps humains, les analyses schellingiennes mettent tantôt l’accent sur la temporalité humaine, telle qu’elle entre en jeu par exemple dans le phénomène de la décision, et tantôt sur cela même dont Hegel fera à la même époque le contenu de la logique, à savoir « la présentation de Dieu tel qu’il est dans son essence éternelle, avant la création de la nature et d’un esprit fini ». Les Ages du monde semblent partagés, voire dédoublés entre des considérations que Schelling appelle « éthiques » et, d’autre part, des spéculations trinitaires ; entre l’impératif que nous avons à faire nôtre de « ne pas laisser le temps nous devenir extérieur » et, d’autre part, d’assister à la naissance du temps dans la résistance opposée (et par là offerte) à la force du Père. Certains commentateurs privilégient dès lors « l’instance théologique » (X. Tilliette), d’autres mettent surtout l’accent sur la « structure anthropologique » (W. Wieland). Il semble toutefois que la structure analogique des considérations schellingiennes permette précisément de surmonter ce dilemme.
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