SCHELLING (vie et oeuvre)
Philosophe du romantisme, Friedrich von Schelling est l'un des trois grands noms de l'idéalisme allemand. Il apparaît comme celui qui, en prolongeant l'effort de Johann Gottlieb Fichte, a préparé les voies de Friedrich Hegel.
VIE
A l'enthousiasme des Lumières a succédé le désenchantement. Les romantiques réagissent en cherchant à réconcilier l'esprit et la nature. Friedrich von Schelling sera leur maître à penser.
L'étudiant en théologie
Né à Leonberg (Allemagne) le 27 janvier 1775, Schelling se destine d'abord au pastorat. A partir de 1790, il fait ses études au séminaire de Tübingen, où il a pour condisciples Friedrich Hegel et Friedrich Hölderlin. Il passe son examen de théologie en 1795, mais l'étude de Johann Gottlieb Fichte a décidé de sa vocation philosophique.
Le maître à penser romantique
En 1798, il est «professeur extraordinaire» à Iéna. Ses cours ont un énorme succès. En 1804, il enseigne à l'université catholique de Würzburg. En 1806, il est nommé secrétaire général de l'Académie des beaux-arts à Munich. De 1820 à 1826, il enseigne à l'université d'Erlangen. En 1827, il est titulaire de la chaire de philosophie de l'université de Munich. En 1841, il est appelé à l'université de Berlin. Puis, son influence décline, en même temps que monte celle de Hegel. Il meurt le 20 août 1854, oublié de ses contemporains.
OEUVRES
Le ressort de la réflexion systématique de Friedrich von Schelling, c'est le problème de la relation entre la philosophie de la nature et
la philosophie de l'esprit. Il parviendra à concilier les deux en élaborant une philosophie de l'identité.
De l'Ame du monde (1798)
L'ouvrage expose une Natur-philosophie (philosophie de la nature) qui concilie le panthéisme de Spinoza et la dialectique de Fichte. L'univers est une évolution dynamique, qui recommence à chaque palier et tourne comme les cercles d'une spirale. C'est un organisme incessamment productif par le jeu d'oppositions successivement surmontées.
Système de l'idéalisme transcendantal (1800)
Dans cette oeuvre, l'auteur adjoint, à la philosophie de la nature, une philosophie de l'esprit: la nature de l'esprit humain est la clef explicative dernière de la nature tout court. Le parallélisme de la nature et de l'intelligence autorise la distinction de deux philosophies autonomes et complémentaires. Il y a deux tâches, aussi légitimes l'une que l'autre: partir de l'objectif du savoir et accéder au subjectif, ou l'inverse. «Il faut que la Nature soit l'Esprit visible, l'Esprit la nature invisible».
Exposition de mon système (1802)
Au-delà de l'opposition sujet/objet, esprit/nature, Schelling prétend atteindre un principe supérieur. L'existence d'un tel principe est attestée par l'oeuvre d'art qui unit les forces conscientes de l'esprit et les forces inconscientes de la matière. Le philosophe, comme l'artiste, doit renoncer à la réflexion pure et se confier à l'intuition. Sujet et Objet, nature et Esprit ne sont pas des réalités en soi et indépendantes, mais des points de vue abstraits, deux faces inséparables et correspondantes de la Totalité, seule vraiment existante.
Philosophie et religion (1804)
Comment expliquer la contradiction à l'intérieur de l'Absolu qui se divise en Nature et en Esprit ? L'existence de l'être fini ne s'explique que moralement: il s'agit d'une chute due à l'orgueil et à l'égoïsme. Avec cette chute commence l'histoire du monde, dont les malheurs viennent uniquement de ce qu'il a voulu se poser comme indépendant. Le statut et la fin de l'histoire ne peuvent donc consister que dans un retour progressif dans le sein de l'Absolu primordial.
EPOQUE
La Révolution française
Le monde intellectuel européen a d'abord accueilli favorablement la Révolution: l'humanité semblait prendre en main son destin. Mais, après la condamnation de Louis XVI et les débuts de la Terreur, une critique réactionnaire se développe rapidement et remporte un certain succès. Cette attaque contre la pensée politique des Lumières prend la suite de Querelle du panthéisme, qui avait mis aux prises partisans et adversaires des Lumières. Par le côté mystique de sa philosophie et un certain irrationalisme romantique, Schelling participe à cette réaction.
Le romantisme
Dans ce débat, les premiers romantiques allemands se réclament d'abord de Fichte, avant de se tourner résolument vers dans lequel ils voient le philosophe capable de réaliser une gigantesque synthèse chrétienne qui contrebalance le radicalisme révolutionnaire des jeunes hégéliens.
APPORTS
Poète autant que philosophe, Schelling a fait une prodigieuse tentative pour réaliser l'unité de la philosophie et de la religion en réconciliant le savoir philosophique et la Révélation.
Une philosophie de l'identité. Au point de départ du système de Schelling, on trouve l'affirmation de l'identité absolue de la nature et de l'esprit. Le moi et le non-moi, le sujet et l'objet, le phénomène et la chose en soi ne forment qu'un. Le monde doit être compris comme une unité essentielle indifférenciée. Dans cette unité se révèle Dieu, dont la nature est le miroir. Toute l'oeuvre de Schelling est un effort pour dégager le sens profond de cette Totalité.
Art et mythologie. L'esthétique est la synthèse de l'idée théorique et de l'Idée pratique. L'oeuvre d'art réconcilie en elle l'idéal et le réel. La mythologie doit être une présentation des idées sous une forme esthétique afin de les rendre accessibles à tous, «le peuple, ses sages et ses prêtres».
Actualité - postérité. L'influence posthume de Schelling n'a pas été proportionnelle à sa gloire. Sans doute était-il trop passionné d'idées nouvelles pour parvenir à constituer une doctrine achevée. Ainsi a-t-il laissé non pas une, mais plusieurs philosophies, et ses adversaires eurent beau jeu pour dénoncer ses contradictions. Lorsqu'il meurt, sa patrie ingrate l'a, à peu près, oublié. Cependant, les intuitions de Schelling seront prolongées par Félix Ravaisson. Henri Bergson retrouvera le sens schellingien de la durée et son enseignement reconduira à Schelling des philosophes comme Gabriel Marcel et Vladimir Jankélévitch.
SCHELLING Friedrich Wilhelm Joseph von. Philosophe allemand. Né à Leonberg (Wurtemberg) le 27 janvier 1775, mort à
Ragaz (Suisse) le 20 août 1854. Issu d’une famille protestante, il se destina d’abord au pastorat, comme tant d’autres penseurs allemands du XIXe siècle, et, à partir de 1790, vint faire ses études au séminaire de Tübingen, où il eut pour condisciples et amis Hegel et Hölderlin. C’est l’étude de Fichte qui décida de sa vocation philosophique, et, comme toute sa génération, il subit d’abord l’emprise de l’idéalisme kantien, auquel se rattachent sans beaucoup d’originalité ses premiers essais .De la possibilité, d’une forme de la philosophie en général [1795], Du Moi comme principe de la philosophie [1795] et Lettres philosophiques sur le dogmatisme et le criticisme [1796]. Déjà cependant y apparaissent des tendances panthéistes et, à l’influence de Kant et de Fichte, se mêle celle de Spinoza. Ayant passé son examen de théologie en 1795, Schelling va s’orienter de plus en plus vers les recherches de physique, de chimie et de sciences naturelles, tout en gagnant sa vie comme précepteur chez le baron de Riedesel, à Leipzig. Son effort principal tend alors à échapper au subjectivisme de l’école idéaliste et à établir fortement la réalité du monde extérieur. Appelé à léna comme « professeur extraordinaire » en 1798, il y met au point, dans des ouvrages tels que Idées pour une philosophie de la nature (1797) et De l’âme du monde (1798), une « Naturphilosophie », qui, conciliant le panthéisme spinoziste et la dialectique fichtéenne, considère l’univers comme un organisme incessamment productif par le jeu d’oppositions successivement surmontées.
Toutefois, s’il veut rendre ses droits à la réalité extérieure, Schelling entend bien ne pas la séparer de l’esprit. A côté de la philosophie de la Nature s’ébauche donc, dans le Système de l’idéalisme transcendantal, une philosophie de l’Esprit, dans laquelle les tendances esthétiques vont devenir rapidement prédominantes sous l’influence des cénacles romantiques, avec lesquels Schelling est alors en relations suivies (il épouse en 1803 l’ancienne femme divorcée de A. W. Schlegel, Caroline). Au-delà de l’opposition du moi et du non-moi, de l’Esprit et de la Nature, Schelling prétend atteindre un principe supérieur, ou plutôt antérieur. Qu’un tel principe existe réellement, n’en trouve-t-il pas une garantie dans l’œuvre d’art, qui unit les forces spirituelles et inconscientes ? Le philosophe, autant que l’artiste, est donc tenu de renoncer à la sèche réflexion, qui isole le monde extérieur, et de se confier à l’intuition par laquelle se manifestera l’unité des contraires dans la dialectique divine. Sujet et objet, Esprit et Nature ne sont pas en effet des réalités en soi et indépendantes, mais des points de vue abstraits, deux faces inséparables et correspondantes de la Totalité seule vraiment existante.
Cette « doctrine de l’identité » (« Einheitslehre ») telle qu’on peut la trouver exprimée dans l'Exposition de mon système (1800-02) et dans l'Exposition de l’empirisme philosophique (posthume, 1861), posait à Schelling un grave problème : comment en effet expliquer cette contradiction, cette sorte de tragédie à l’intérieur de l’Absolu se séparant en un monde spirituel et en un monde corporel ? A cette question, seule une réponse religieuse pouvait être donnée et, à partir de 1804, année où Schelling quitte le milieu rationaliste de léna pour occuper une chaire à l’université catholique de Würzburg, on constate que le philosophe, laissant désormais au second plan les sciences naturelles, subit l’influence des mystiques de la grande tradition germanique, en particulier de Jakob Böhme, celle aussi de l’hétérodoxe italien Giordano Bruno, auquel il avait déjà consacré l’étude intitulée : Bruno ou du principe naturel et divin des choses (1802). Deux ans plus tard, il donnait une première réponse au problème qu’on vient d’évoquer dans Philosophie et Religion . L’existence de l’être fini, affirme Schelling, ne peut s’expliquer naturellement mais moralement : il s agit d’une sorte de défection, de chute hors de l’Absolu, due à un désir mauvais d’être pour soi, en un mot à l’orgueil et à l’égoïsme. Avec cette chute, commence l’histoire du monde, dont les malheurs viennent uniquement de ce qu’il a voulu se poser comme indépendant. Le salut, et la fin de l’histoire, ne peut donc consister qu’en un retour progressif dans le sein de l’Absolu primordial. Ici Schelling se distingue nettement de Hegel; l’histoire n’a pas pour lui un contenu pouvant être déduit, elle est foncièrement histoire de la liberté, sujette à des erreurs et à des retards, somme des efforts douloureux de l'Humanité pour abolir la faute primitive et retrouver accès à la plénitude de l’Etre. Cette théogonie sera exposée dans les Recherches sur l’essence de la liberté humaine (1809) et dans Les Ages du monde [Die Weltalter, 1815]. Mais Schelling, qui par tempérament fut toujours très sensible à la réalité des formes vivantes, ne pouvait manquer d’être arrêté par le fait que le devenir qui apparaît dans le monde objectif, devenir cyclique passant par les étapes de la génération, de la croissance et de la mort à une génération nouvelle, est non seulement différent du devenir historique de la liberté, s’élevant peu à peu de l’existence inférieure à l’existence supérieure, mais semble bien invinciblement contradictoire avec l’aspiration à une vie transcendante. Le devenir cyclique, constate Schelling, est du « temps arrêté ». Entre ce temps et le temps de la liberté, aucun passage naturel n’est possible. Il faut au contraire que soit brutalement rompu le « triste cercle des phénomènes » et comment pourra-t-il l'être, sinon par une intervention supérieure ? Le Christ, la personne du Christ, par laquelle l’histoire accède à l’intériorité, entre ainsi dans les horizons de cette doctrine et va y prendre une place croissante.
En 1806, Schelling s’est installé à Munich où il a été nommé secrétaire général de l’Académie des beaux-arts et membre de l’Académie des sciences. Il a été anobli. Après avoir fait un cours à l’université d'Erlangen de 1820 à 1826, il atteint en 1827 le sommet de sa carrière en recevant la chaire de philosophie de la nouvelle université de Munich. Dès lors, il va se poser de plus en plus en réformateur religieux. Dès 1828, le bruit courait que le philosophe s’était converti au catholicisme. Il n’en était rien, mais, comme le prouvent ses cours publiés bien plus tard, en 1856-1857, sur la Philosophie de la Révélation et la Philosophie de la Mythologie , le rôle du christianisme dans l’évolution de l’humanité devenait pour lui le problème essentiel. Renonçant à son ambition passée de construire la Nature « a priori » à partir de l’Absolu, il partait maintenant du donné historique, dont la révélation chrétienne lui apparaissait un des principaux éléments. Mais le christianisme, pour Schelling, préexistait en quelque sorte au Christ, et, comme Lamennais dans son Essai sur l’indifférence , le philosophe allemand en retrouvait des traces dans toutes les traditions païennes. Il n’allait pas ainsi sans prendre de grandes libertés avec le dogme, mais les milieux catholiques de Munich espéraient fermement que de ces recherches allait naître une gigantesque synthèse chrétienne, dont l’importance pour le siècle romantique aurait été comparable à celle de la Somme théologique de saint Thomas pour le Moyen Age. Ces milieux en venaient à tenir Schelling pour un des leurs : quoique protestant, le philosophe n’affirmait-il point que, sans le Magistère romain, le Christ historique aurait été, depuis longtemps perdu ?
Toute l’Allemagne traditionaliste se tournait d’ailleurs à cette époque vers Schelling comme vers le seul esprit capable de balancer le radicalisme révolutionnaire des jeunes hégéliens. Aussi, en 1841, le roi de Prusse Fredéric-Guillaume IV nomma-t-il Schelling membre de l’Académie des Sciences de Berlin en l’invitant à venir donner une série de cours à l’université de cette ville. Schelling se révéla cependant incapable de fixer sa position religieuse : il proclamait, non sans quelque emphase, son intention de révéler une philosophie entièrement nouvelle; les quelques fragments qu’il en laissa paraître n’allaient nullement dans le sens espéré par ses admirateurs catholiques. A la fin de sa vie, le philosophe semblait plutôt vouloir revenir à ses conceptions de jeunesse. Sans doute Schelling était-il trop passionné d’idées nouvelles et de recherches diverses pour parvenir à constituer enfin une doctrine achevée. A vrai dire, il n’a pas laissé une, mais plusieurs philosophies et ses adversaires, un Jacobi par exemple, avaient beau jeu pour dénoncer ses contradictions — Monument élevé à l'auteur des « Choses divines », Monsieur Jacobi (1812). Poète autant que philosophe, Schelling, comme Hegel, a fait une prodigieuse tentative pour réaliser l’unité de la philosophie et de la religion, mais, à la différence de Hegel, il a laissé de plus en plus prévaloir l’élément religieux dans sa pensée. Son sentiment de l’importance du mythe pour la compréhension du développement historique lui a permis en tout cas d’atteindre à des intuitions restées très fécondes pour la philosophie et la critique allemandes jusqu’à nos jours.
♦ J’ai passé avec Schelling une excellente soirée. Il y a toujours grand plaisir à trouver l’extrême clarté unie à l extrême profondeur... » Gœthe, 1802. ♦ « C’est un ragoût panthéiste avec une sauce chrétienne. » Franz von Baader. ♦ < Il a trahi la philosophie et l’a livrée à la religion... » Heinrich Heine. ♦ « Le premier, Schelling introduisait dans la philosophie, avec une audace effrénée, le drame de l’univers, cette discorde dans l’unité, cette recherche de soi-même à l’infini, cette réunion et cette fuite réciproques des pôles opposés, la désharmonie qui se résolvait au sein d’un grand accord harmonieux. » Ricarda Huch. ♦ « Il peut nous paraître aujourd’hui que [Schelling] était le début d’un tournant; en fait, il ne s’agit rien de moins que d’un effort pour réconcilier la philosophie et la Révélation, pour ramener au temple de Dieu — et non à un temple fait de main d’homme — l’esprit solitaire réduit à s’entretenir avec soi-même et à prétendre en vain par son effort démesuré atteindre par ses propres forces à une vérité qui lui suffise... » Reinhold Schneider. ♦ « Schelling a conçu un type de spéculation extrêmement neuf, une métaphysique qui reconnaîtrait l’être à la façon d’un dramaturge qui explore en tâtonnant une situation donnée. » Gabriel Marcel.
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