SARTRE : L’EXISTENCE PRÉCÈDE L’ESSENCE
La vision essentialiste. Traditionnellement l’on considère qu’ il existe une « essence » ou une « nature humaine », c’est-à-dire un ensemble de propriétés spécifiques, fixes et universelles, qui définissent « L’ homme en soi », et que cette essence se réalise dans les existences individuelles qu’ elle précède donc d’une certaine manière, de même que lorsque nous inventons un objet, l’essence de cet objet existe (dans notre esprit) avant que n’existe l’objet lui-même dans la réalité. Exemple: une maison qui existe déjà dans l’esprit de l’architecte. Ici: L’essence (ce qu’une chose/un être est) précède l’existence (le fait qu’une chose/un être soit) <= ESSENTIALISME.
Critique de l’essentialisme et de la notion de nature humaine.
- Si l’homme a été défini avant d’exister – par Dieu ou par la Nature => Négation de la liberté humaine. L’homme sera vis-à-vis de Dieu ce que la maison est à l’architecte. Relation créature à son Créateur. Si Dieu a défini la nature humaine, l’homme ne sera plus libre de s’inventer lui-même. La notion de nature humaine contredit la liberté humaine.
- Si on définit des normes de la nature humaine, on définit a contrario des comportements “contre-nature”: homosexualité, athéisme, féminisme. Danger à ériger la nature en tant que norme. Tout ce qui échappe à la norme naturelle sera jugé comme " anormal ". Par exemple, l'homosexualité sera ainsi rejetée comme étant contre nature sous le prétexte qu'elle n'assure pas la reproduction de l'espèce. Or, ce n'est pas au nom de la nature, mais au nom d'une certaine conception culturelle de la nature que telle ou telle pratique se voit condamnée.
- La notion de nature humaine est idéologique, fantasmatique : Rousseau, l’anti-mondain, la verra comme « bonne ». Hobbes et Hegel, adorateurs de l’Etat, la verront « mauvaise ». On ne parle de la nature que du point de vue de la culture. L'homme projette sur la nature ses désirs, ses angoisses, ses lois, ses rêves. Le naturel n'est ni bon ni mauvais en soi puisque ces valeurs n'ont de sens que par et pour l'être humain. La nature est neutre moralement parlant, amorale.
- C’est au nom de l’essentialisme que l’on a pu justifier le racisme, le sexisme, le colonialisme. il y a danger lorsque la notion de nature cache l'exaltation de soi, de sa propre culture, et, tend à désigner la culture de l'autre comme une déviation pathologique.
L’existentialisme : l’existence précède l’essence. Renversant cette analyse, Sartre pose que Dieu n’existant pas, et donc ne pouvant concevoir une essence humaine avant que l’homme n’existe, l’homme est d’abord une existence et qu’il n’est que ce qu’il a voulu être. Aucune nature humaine, aucun destin ne dicte notre conduite. Pas d’essence. Homme = ni bon, ni méchant par nature. La liberté est ici l’absence de norme qui préexisterait à notre action : « vous êtes libres ; choisissez c’est-à-dire inventez » = conséquence logique du refus de valeurs objectives (Bien et Mal universels) et de la transcendance (Dieu, la Raison). Plus de comportements naturellement « humains » ou « inhumains ». Contre l’essentialisme qui parle de « nature humaine ». Existentialisme = Pas de nature humaine. Pas de définition a priori de l’homme. L’homme doit inventer l’homme. L’homme est condamné à inventer des valeurs. Nous sommes donc, selon la paradoxale formule de Sartre, « condamnés à être libres » : il n’y a pas chez l’homme une essence préalable, c’est-à-dire une nature fixe, contre laquelle il faudrait lutter ou dont il faudrait se détacher pour être libre, mais je ne puis jamais cesser d’être libre. La liberté ou contingence est l’étoffe même de mon existence, sa structure même qui fait qu’à chaque instant j’ai à me choisir. L’existentialisme est, par-là, une morale d’une extrême dureté. Puisque je suis pur projet de mon être, je suis intégralement responsable de moi-même et de mes actes : « je n’ai pas d’excuses ». Mon choix qui pose une valeur a une portée (non simplement pour moi mais) universelle, devant autrui. Une des caractéristiques de la condition humaine : je suis condamné à vivre avec autrui. Condamné à mourir, condamné à être libre, condamné au regard d’autrui (« Huis-clos »). Etre libre, c’est être maître de ses choix, de pouvoir en répondre devant sa propre conscience mais aussi et surtout face au regard d’autrui.
La condition humaine : Pas de concept universel de l’homme, pas de nature humaine mais des conditions sociales, historiques d’existence auxquelles ma liberté, mon choix donne sens. La condition humaine est d’être mortel (limite temporelle), de vivre dans le monde (limite spatiale), de cohabiter avec autrui (limite de ma liberté). Il n’y a pas d’essence, d’Idée de l’homme à laquelle je devrais me soumettre ou me conformer. Seulement des conditions d’existence qui sont comme la matière de ma liberté. // « Condition humaine » (Malraux) = je peux naître Homme ou femme, riche ou pauvre. Mais, cela n’implique pas que j’en adopte tous les codes (les 3 K pour les allemands) => « Kinder, Küche und Kirche » ! Ce n’est pas parce que je suis né bourgeois que je serai conservateur (Marx, Engels). Pas de détermination, mais « situation » % à laquelle ma liberté s’exerce. La liberté ne consiste pas dans le choix d’une situation, mais dans le choix du sens qu’on lui donne. Par exemple, Je n’ai pas choisi d’avoir ce corps qui est le mien, mais je choisis le sens que je lui donne, la manière dont je le vis. Je peux l’aimer narcissiquement, le négliger, le haïr, le mépriser, le soigner, le cultiver, l’embellir….
Illustration : « Nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’occupation allemande », la liberté d’action et de choix, aussi douloureuse et difficile soit-elle, est toujours entière. Ne pas choisir c’est déjà choisir, cad faire le jeu de l’occupant. C’est moi qui détermine les déterminismes à me déterminer. Dans tout esclavage, il y a une certaine part scandaleuse, de consentement, je pourrais toujours refuser d’obéir, quoi qu’il n’en coûte. Seule la mort, destruction de mon existence me ramène paradoxalement à l’être ; et mon identité figée y devient définitivement figée y devient définitivement l’objet du jugement d’autrui, sans plus pouvoir le démentir.
CSQ:
- Pas de racisme: la pensée raciste est essentialiste. Racisme et sexisme résident dans l’idée qu’il existe une nature, une essence propre à chaque race, à chaque sexe et que les individus en sont de part en part prisonniers. Si plus de nature humaine, plus de racisme ou de sexisme. Une couleur de peau n’est pas une nature. Le racisme dit « LE noir est ceci, LE blanc est cela ». L’emploi de l’article « le », au singulier, comme si tous les éléments de l’ensemble étaient forcément identiques, tous doués du même trait commun à l’espèce, à la « race ».
- Pas de sexiste: « On ne naît pas femme, on le devient. » (Beauvoir). Pas d’essence de la femme. Les femmes sont des hommes comme les autres. Et inversement. Pas d’essence du masculin ou du féminin. Féminisme de l’égalité républicain. Le sexiste dit « Les femmes sont ceci, les zhommes (!) sont cela ». Le sexiste pense volontiers qu’il est dans l’ « essence de la femme », dans sa « nature », d’être sensible, douce, patiente, pour ne pas dire « faite pour » avoir des enfants et rester à la maison, rivée aux fourneaux… Beauvoir, féminisme de la complémentarité et non de la substitution.
- Pas de colonialisme= Contre l’Algérie française, contre la guerre du Vietnam, contre le franquisme, etc.
- Pas de rôles sociaux. Rôle prédéterminé que l’on peut jouer. Essences auxquelles on peut s’identifier, jouer à être par peur, lâcheté de la liberté. => On vit par procuration, on devient une chose, un « gros-plein-d’être» (« L’Etre et le Néant »), c’est la « mauvaise foi » ( cours : Autrui). On joue à être sa propre caricature. « Qu’as-tu fais de ce que l’on a fait de toi? » = appel à l’authenticité de l’existence, cad maintien de la liberté.
« Dostoïevski avait écrit : “ Si Dieu n’existait pas, tout serait permis.” C’est la le point de départ de l’existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n’existe pas, et par conséquent l’homme est délaissé, parce qu’il ne trouve ni en lui ni hors de lui une possibilité de s’accrocher. Il ne trouve d’abord pas d’excuses. Si, en effet, l’existence précède l’essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, l’homme est liberté. Si, d’autre part, Dieu n’existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n’avons ni derrière nous ni devant nous, dans le domaine numineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C’est ce que j’exprimerai en disant que l’homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu’il ne s’est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu’une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu’il fait. […] L’existentialisme […] pense donc que l’homme sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l’homme. Ponge a dit, dans un très bel article : “L’homme est l’avenir de l’homme.” C’est parfaitement exact. » Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, p. 36-38
Ordre des idées
1) Une thèse générale : l’homme est complètement responsable de lui-même (il est « sans excuse »), totalement et inéluctablement liberté (il est « condamné à être libre »).
2) Deux raisons :
a) En l’homme « l’existence précède l’essence », c’est-à-dire que l’homme est ce qu’il se fait : il n’est pas déterminé par une « nature humaine » immuable.
b) Dieu n’existe pas : il n’existe donc pas de principe transcendant pouvant guider l’homme en lui dictant des valeurs, et sur lequel l’homme pourrait se décharger de sa responsabilité, de sa liberté.
3) Une conclusion : « L’homme est l’avenir de l’homme », c’est-à-dire que, seul en face d’un lui-, même qu’il crée sans cesse, il est son propre projet, son propre et unique horizon : l’homme sera ce qu’il aura projeté d’être.
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