Sartre: La liberté peut-elle faire l'économie du risque ?
Sartre
L’existentialisme est un humanisme (1945), © Éditions Gallimard, 1996, pp. 51-53.
La liberté peut-elle faire l'économie du risque ?
Le quiétisme, c'est l'attitude des gens qui disent : les autres peuvent faire ce que je ne peux pas faire. La doctrine que je vous présente est justement à l'opposé du quiétisme, puisqu'elle déclare : il n'y a de réalité que dans l'action ; elle va plus loin d'ailleurs, puisqu'elle ajoute : l'homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie. D'après ceci, nous pouvons comprendre pourquoi notre doctrine fait horreur à un certain nombre de gens. Car souvent ils n'ont qu'une seule manière de supporter leur misère, c'est de penser : « Les circonstances ont été contre moi, je valais beaucoup mieux que ce que j'ai été ; bien sûr, je n'ai pas eu de grand amour, ou de grande amitié, mais c'est parce que je n'ai pas rencontré un homme ou une femme qui en fussent dignes ; je n'ai pas écrit de très bons livres, c'est parce que je n'ai pas eu de loisirs pour le faire ; je n'ai pas eu d'enfants à qui me dévouer, c'est parce que je n'ai pas trouvé l'homme avec lequel j'aurais pu faire ma vie. Sont restées donc, chez moi, inemployées, et entièrement viables une foule de dispositions, d'inclinations, de possibilités qui me donnent une valeur que la simple série de mes actes ne permet pas d'inférer. » Or, en réalité, pour l'existentialiste, il n'y a pas d'amour autre que celui qui se construit, il n’y a pas de possibilité d'amour autre que celle qui se manifeste dans un amour ; il n'y a pas de génie autre que celui qui s'exprime dans des oeuvres d'art : le génie de Proust c'est la totalité des œuvres de Proust ; le génie de Racine c'est la série de ses tragédies, en dehors de cela il n'y a rien ; pourquoi attribuer à Racine la possibilité d'écrire une nouvelle tragédie, puisque précisément il ne l'a pas écrite ? Un homme s’engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure il n'y a rien. Évidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu'un qui n'a pas réussi sa vie. Mais d'autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu, comme espoirs avortés, comme attentes inutiles ; c'est-à-dire que ça les définit en négatif et non en positif. [...] Ce que nous voulons dire, c'est qu'un homme n’est rien d'autre qu’une série d'entreprises, qui est la somme, l'organisation, l'ensemble des relations qui constituent ces entreprises.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Qu’est-ce qui définit l'existence humaine ? 2 Qu'est-ce qui principalement empêche l’homme d’exister ? 3 Quel risque nous fait courir le fait d'être libre ?
1 - La réalisation par l’être humain de son projet, l'ensemble des actes posés au cours de sa vie. 2 - Le recours aux circonstances, qui prétendument nous empêchent de réaliser notre potentiel, nous donne des excuses et nous console de notre misère. . 3 - Celui de ne pas réussir sa vie, d’être déçu de ses attentes et de se définir négativement au travers de ces déceptions.Liens utiles
- leçon liberté conscience: Faire son devoir, est-ce renoncer à sa liberté ?
- « Jouer avec les mots, faire n'importe quoi avec les mots, c'est une délivrance. Donner aux mots une liberté entière, faites leur dire n'importe quoi, sans intention, il en sortira toujours quelque chose. Il y aura toujours des mots liés entre eux qui, par là, signifieront... » Ionesco. Défendez ce point de vue de l'auteur ?
- Selon Sartre, le choix de l'écriture poétique par les écrivains engagés est mauvais car il brouille le message dans l'esprit des lecteurs. Le genre poétique vous parait-il apte à faire réfléchir le lecteur, à susciter son engagement ?
- Faire son devoir, c’est réellement perdre sa liberté ?
- Faire son devoir, est-ce renoncer à sa liberté ?