SAINTE-BEUVE Charles Augustin de
SAINTE-BEUVE Charles Augustin de 1804-1869. C’est plus comme critique littéraire qu’il nous est connu, critique qui, il faut le dire est passé à côté de Balzac (qui l’appelait plaisamment Sainte-Bévue), Hugo, Stendhal, Baudelaire. Cette presbytie esthétique lui a valu la grogne d’un Proust (Contre Sainte-Beuve). Mais il a aussi publié des poèmes: Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme (1829), Les Consolations (1830), Pensées d’Août (1837), où il exprime son mal du siècle mais sur le mode intimiste.
Né dans une vieille famille bourgeoise de Boulogne-sur-Mer, le 23 décembre 1804, Charles Augustin Sainte-Beuve, orphelin de père, a une jeunesse triste. À Paris, cet étudiant en médecine passionné de littérature connaît la gêne. À partir de 1824, il collabore, comme critique littéraire, au journal Le Globe. Admis dans le « cénacle » de Victor Hugo, il publie quelques poésies mais revient à la critique avec son Tableau de la poésie française au xvie siècle. Il fait paraître deux romans, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (1829) et Volupté (1834), autobiographie désenchantée qui n'a pas de succès. Sa réputation, il la doit à ses articles d'histoire, de philosophie et de critique, dans lesquels l'ancien étudiant en médecine dissèque avec talent les œuvres de ses contemporains. Ami de Victor Hugo, il s'éprend de son épouse, Adèle, qui cède plus par pitié que par passion. Elle veut surtout se venger des frasques de son insatiable époux. Rupture. Sainte-Beuve, dont Adèle sera le seul amour, choisit de l'oublier en partant, quelque temps, enseigner à Lausanne. Bibliothécaire à la Mazarine en 1840, il est reçu à l'Académie française quatre ans plus tard (c'est Victor Hugo qui fait le discours de réception) et est nommé en 1855 professeur au Collège de France mais doit démissionner de ce poste à cause de l'hostilité de ses étudiants libéraux. En 1859, il achève Port-Royal, une brillante histoire de la célèbre abbaye janséniste sous Louis XIV. Cet homme aigri qui, dans ses Cahiers, son « armoire aux poisons », laisse libre cours à sa malveillance, se dit, après avoir fréquenté tous les milieux, éprouvé tous les sentiments, sympathisé avec toutes les croyances, revenu de tout et définitivement établi dans le scepticisme moral et philosophique. Il est l'un des rares romantiques à se rallier au Second Empire ; il s'éteint à Paris en 1869, la veille de l'effondrement du régime qui l'avait fait sénateur. Il a inauguré la critique biographique et rassemblé en livres ses articles littéraires : Portraits de femmes (1844), Portraits contemporains (1846), Causeries du lundi (1851-1862).
Le romantique a la nostalgie, comme Hamlet ; il cherche ce qu'il n'a pas, et jusque par-delà les nuages ; il rêve, il vit dans les songes. Au dix-neuvième siècle, il adore le Moyen Âge ; au dix-huitième, il est déjà révolutionnaire avec Rousseau. [...] Hamlet, Werther, Childe-Harold, les Renés purs, sont des malades pour chanter et souffrir, pour jouir de leur mal, des romantiques plus ou moins par dilettantisme : la maladie pour la maladie.
SAINTE-BEUVE Charles-Augustin. Critique, poète et romancier français. Né à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) le 23 décembre 1804, mort à Paris le 13 octobre 1869. Issu d’une famille de bourgeoisie picarde et normande qui, ayant eu droit a la particule nobliaire, l’avait abandonnée lors de la Révolution et n’avait pas songé à la reprendre au retour des Bourbons, Charles-Augustin ne connut pas son père, mort quelques mois avant sa naissance, mais le souvenir du défunt, vivement entretenu par sa mère et sa tante, étendit une ombre de tristesse sur sa première enfance. Arrivé à Paris en 1818, il fut élève au lycée Charlemagne, puis au collège Bourbon, futur lycée Condorcet. Bien que plus tard, après qu’il eut évolué vers un anticléricalisme militant, il ait prétendu que sa vie intellectuelle avait commencé « par le XVIIIe le plus avancé », il est certain que Sainte-Beuve adolescent fut profondément marqué par la piété de sa famille et par l’atmosphère de réaction catholique qui était celle des collèges pendant la période de la Restauration. A seize ans, lisant René , il découvrit Chateaubriand, se reconnut tout entier dans le héros romantique et lut avec la même passion les Méditations de Lamartine. Cependant, cet élève studieux, remarquablement précoce et passionné par ses études classiques, allait aussi découvrir les mémorialistes du siècle précèdent et les idéologues, Destut de Tracy, Lamarck, qui l’orientèrent vers l’empirisme psychologique et vers les recherches physiologiques. L’âme remplie d’ardeurs confuses et contradictoires, encore incertain de sa voie, il suit vers 1823 les cours de l’Ecole de Médecine mais, à la même époque, donne ses premiers articles de critique au Globe, organe de combat du jeune romantisme, puis il rencontre Victor Hugo, à la suite d’un article sur les Odes et ballades , et fréquente le Cénacle. Déjà, on pouvait percevoir deux traits essentiels de sa personnalité : d’une part une vive sensibilité des choses de l’âme; d’autre part une confiance dans les méthodes scientifiques, une curiosité des influences de la vie physique sur la vie morale qu’il mettra Elus tard au service de sa critique littéraire, Un « Werther carabin », c’est ainsi qu’on put le définir à cette époque et qu’il nous apparaît dans ses premiers recueils poétiques, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (1829) et Les Consolations (1830) où un certain mélange d’intimité tendre et de morbidesse annonce déjà Baudelaire. Au même moment, Sainte-Beuve se faisait dans ses articles le « héraut d’armes » du romantisme littéraire dont il préparait l’explosion par son Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle (1828) où, l’un des premiers (avec le jeune Nerval), il rendait sa place à Ronsard, discrédité depuis deux cents ans : dans cette retentissante redécouverte s’affirmait déjà l’esprit de conciliation caractéristique de Sainte-Beuve et son souci d’insérer le jeune mouvement littéraire dans la tradition nationale en faisant du romantisme le continuateur de la Renaissance. Toutefois, avec une curiosité inlassable, l’ami de Victor Hugo, et bientôt de Mme Adèle Hugo — Le Livre d’amour (1843) — s’intéressait également au saint-simonisme de P. Leroux, puis à Armand Carrel, chef du parti républicain et il ne demandait qu’à se laisser séduire par le christianisme libéral de Lamennais, dont la condamnation et l’apostasie lui laisseront une vive déception : c’est en particulier sous cette dernière influence qu'il écrivit son unique roman, Volupté (1834), et qu’il collabora à la rédaction d’Arthur, d’Ulrich Guttinger. En 1836, sous le double coup de la ruine de ses espérances d’un renouveau catholique et d’une rupture brutale de sa liaison avec Mme Hugo (il s’était fâché avec Victor Hugo dès avril 1834), il éprouva le besoin de se recueillir et partit faire un séjour à Lausanne où d’octobre 1837 à juin 1838 il donna un cours sur l’histoire de Port-Royal, ébauche de la grande synthèse religieuse, littéraire, psychologique et historique — Port-Royal — dont les volumes allaient paraître de 1840 à 1859. Personne mieux que Sainte-Beuve n’a compris Pascal et le jansénisme; mais, précisément parce qu’il avait une sorte de grâce fatale pour voir le christianisme dans son exigence totale, il découvrit qu’il était lui-même incapable d’un tel effort intérieur et sortit de ce travail complètement incroyant.
En 1848, cet homme de bibliothèque fort peu fait pour les révolutions donna sa démission du poste de conservateur de la bibliothèque Mazarine qu’il occupait depuis 1840 (il avait été élu a l’Académie française en 1843) et s’exila volontairement à Liège, en Belgique; le cour qu’il y fit en 1848-1849 sur Chateaubriand parut en volume sous le titre : Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire (1861), et marquait de la part du critique une réaction très nette et par moments violente contre les mirages romantiques de sa jeunesse. A son retour en France, Sainte-Beuve allait commencer en 1849 la série de ses fameuses Causeries du lundi parues dans le Constitutionnel, puis dans Le Moniteur et recueillies ensuite en volumes (1851-1862). Alors qu’aux environs de 1830 — Critiques et portraits littéraires (6 vol., 1832-1839) — il s’était montré combatif et souvent partisan, puis, dans La Revue des Deux Mondes , plus impartial mais avec le défaut, reconnaissait-il, de ne pas conclure — Portraits de femmes (1844), Portraits littéraires (1844), Portraits contemporains (1846) — désormais, journaliste officiel, rallié à l’Empire, heureux de vivre sous un pouvoir autoritaire, Sainte-Beuve prétendit pendant quelque temps juger les livres et les hommes selon des principes moraux et politiques. Mais sa passion de la pure chose littéraire ne tardant pas à regimber contre cette contrainte, l’auteur des Lundis, fidèle à son empirisme profond, revint à une critique libérée de tout esprit de système et s’attachant exclusivement, avec quelle merveilleuse souplesse ! à circonscrire et à définir un esprit, une âme. Vers 1860, cependant, peut-être sous l’influence du dogmatisme de Taine, Sainte-Beuve allait se laisser aller dans ses Nouveaux Lundis (1863-1870) à donner à sa critique des prétentions scientifiques; il se posera alors en « botaniste moral », il voudra faire « l’histoire naturelle des esprits », donner « un long cours de physiologie morale ». A la vérité, ce ne furent guère plus que des velléités théoriques, car Sainte-Beuve avait trop le vrai amour des lettres et la passion de l’individu pour sacrifier à la rigide orthodoxie déterministe. Il demeure le maître incontesté de la critique française, bien qu’il soit loin d’avoir été sans défauts : il avait beau en effet se répéter que le vrai rôle du critique est de juger et de conseiller les écrivains contemporains, il a commis dans ce domaine une série de bévues parfois méchantes, égalant Béranger aux génies et le comparant tout simplement à Racine, mais ravalant le génie d’un Balzac, méconnaissant Stendhal, ignorant Nerval, etc. Lorsqu’il juge les maîtres de son temps, on sent toujours chez Sainte-Beuve, poète et romancier lui-même, mais de second rang, des relents d’envie. En revanche, dès qu’il retrouve les auteurs du passé, le voilà à son aise : en véritable souverain de la république des lettres, il dresse le bilan, dit ce qu’il est beau de conserver, convenable d’oublier, édicte en petits traits décisifs le verdict du bon goût. Plus encore que les livres ce sont les hommes qui l’intéressent, dont il suit la biographie avec une minutie passionnée, mais qu’il s’attache toujours aussi à situer dans leur temps, à relier à un grand mouvement de civilisation. Aussi, très souvent, la critique de Sainte-Beuve déborde le domaine proprement littéraire. Ce professeur pouvait avoir des côtés assez laids — Mes poisons (1926) et, sur l’homme en général, la Correspondance encore en cours de publication — il avait un sens du beau inséparable du sens de la vie et, dans la mise en question radicale des valeurs accomplies par le siècle romantique, il a sauvé la grande réalité de la tradition littéraire.
♦ «Vous avez fait la psychologie morale de notre époque. » Michelet, à Sainte-Beuve. ♦ « Il aime surtout les curiosités, et, dans un moment où son cœur et son esprit seraient échauffés par la recherche, je ne voudrais pas lui donner le choix entre le sacrifice du plus bel ouvrage de Corneille ou d’un joli vers de Desportes. Il pourrait y avoir danger ! » Gobineau. ♦ Avant le grand poète Charles Baudelaire, et comme lui, Sainte-Beuve, rompant avec la psychologie de convention, regarda en nous et en lui-même, et traduisit en vers durables une souffrance nouvelle, un héroïsme nouveau : il connut et peignit poétiquement l’homme du XIXe siècle. » Th. de Banville. « M. Sainte-Beuve a été un inventeur. Il a importé dans l’histoire morale les procédés de l’histoire naturelle. » Taine, 1869. ♦ « A considérer longuement Sainte-Beuve, je vois que son extrême politesse et sa compréhension ne sont accompagnées d’aucune sympathie pour ceux mêmes qu ’il pénètre le plus intimement. » Maurice Barres. ♦ «Pour ne pas avoir vu l’abîme qui sépare l’écrivain de l’homme du monde, pour n’avoir pas compris que le moi de l’écrivain ne se montre que dans ses livres..., il inaugurera cette fameuse méthode, qui, selon Taine, Bourget, tant d’autres, est sa gloire, et qui consiste à interroger avidement pour comprendre un poète, un écrivain, ceux qui l’ont connu, qui le fréquentaient, qui pourront dire comment il se comportait sur l’article femmes, etc., etc., c’est-à-dire précisément sur tous les points où le moi véritable du poète n’est pas en jeu. » Marcel Proust. ♦ « Sainte-Beuve est le seul critique qui ait eu le sentiment profond et détaillé de ce qu’on appelait autrefois les mœurs, l’ethos littéraire. Il sait ce que c’est qu’un homme de lettres manqué, un homme de lettres réussi, et les grandeurs et les misères de la littérature, et la société générale des lettres, et leurs sociétés particulières. Il a été le Montesquieu de leur République. » Albert Thibaudet.
SAINTE-BEUVE, Charles Augustin (Boulogne-sur-mer, 1804-Paris, 1869). Ecrivain français. Il fut, malgré ses erreurs de jugement, un grand critique littéraire. Ami de Victor Hugo, membre du cénacle romantique, il publia d'abord des recueils de poésies (Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, 1829 ; Les Consolations, 1830) et un roman inspiré par sa liaison tourmentée avec la femme de Victor Hugo, Adèle (Volupté, 1834). Il se consacra ensuite à la critique et à l'histoire littéraire, en restituant les auteurs dans tous les aspects de leur milieu (biologique, social, historique), tentant une sorte d'histoire naturelle des esprits (Port-Royal, 1840-1859 ; Portraits littéraires, 1836-1839; Causeries du lundi, 1851-1862 et Nouveaux Lundis, 1863-1870). Sainte-Beuve fut élu à l'Académie française en 1843.