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SAINT-SIMON Louis de Rouvroy, duc de 1675-1755


SAINT-SIMON Louis de Rouvroy, duc de 1675-1755
1. La vie d'un «féodal». - Ses idées: 2. Le sang. 3. L'éthique et l'étiquette. - 4. Un écrivain d'humeur.
Mémorialiste, né à Paris.
La vie d'un «féodal»
Il prétendait descendre de Charlemagne. En fait son père, grand louvetier, devait son titre tout neuf de duc et pair au roi Louis XIII qui appréciait fort, à la chasse, sa technique et son ingéniosité. Les Mémoires nous rapportent en toute franchise les humbles motifs de son ascension rapide: pour aider le roi lors du « changement de cheval», il s'avisa de lui présenter le cheval frais tête-bêche avec l'autre, et flanc contre flanc, ce qui permettait au roi, sans mettre pied à terre, de changer de monture en pivotant sur l'étrier et en passant la jambe. Favori du roi, capitaine de Versailles (bourg récemment découvert et « acheté » par Louis XIII), au reste fidèle et courageux, le grand louvetier se remarie. Il a soixante-neuf ans quand naît son fils, qui sera élevé surtout par la jeune mère, autoritaire et pieuse. Le futur duc apprend le latin, l'histoire, mais aussi le blason, l'équitation, les armes et (comme tout jeune gentilhomme) la danse. Il entre alors dans l'armée (1692), prend part au siège de Namur, et charge par trois fois durant la bataille de Neerwinden à la tête d'une compagnie de cavalerie. Le roi le nomme « mestre de camp » (équivalent de colonel). Pourtant il quittera l'armée bientôt (1702). On a expliqué cette démission par son dépit d'avoir été omis dans une promotion de « brigadiers » (actuellement : général de brigade). En réalité, dès sa dix-septième année, le duc rassemble les archives familiales; et la lecture des Mémoires de Bassompierre, allié de Louis XIII et de son père contre Richelieu, l'incite à entreprendre sans plus tarder les siennes (il a dix-neuf ans). Dès lors, il va chaque jour prendre des notes, accumuler sa documentation. Ces travaux d'approche dureront quarante-cinq ans. Peut-être son choix fut-il déterminé par cette considération, que, de la cour ou des camps, le plus important dans le cadre de son entreprise de mémorialiste était encore la cour. On peut se faire rendre compte, par un témoin, d'une bataille et même de toute une campagne ; la moindre intrigue est chose bien autrement complexe et il faut « avoir suivi l'affaire » au plus près. Toute sa vie, le duc va devoir jouer le rôle (comme il dit lui-même) du voyeux, et la dernière phrase des Mémoires est pour rappeler qu'il parle ici en témoin oculaire : Presque tout est puisé de ce qui a passé par mes mains; le reste de ce que j'ai su, par ceux qui avaient traité les choses que je rapporte, et ma liaison intime avec eux est hors de tout soupçon.
De sa démission militaire Louis XIV témoigne le plus vif mécontentement (« Voilà encore un homme qui nous quitte ! ») ; et, dans les débuts, Saint-Simon se voit rayé de la liste des« invités » à Marly. Le roi lui reproche au surplus de « parler trop » et de «juger». En 1708 enfin, grâce à sa femme (qu'il a épousée à vingt ans, et qui sera son unique joie), il est indirectement honoré par le titre qu'elle reçoit de « dame d'honneur de la duchesse de Berry». Grâce à elle, encore, il pourra loger au palais de Versailles. Cependant, il ne cesse de compromettre son faible crédit en se faisant le méticuleux défenseur des« ducs », frustrés de tout rôle décisif par l'absolutisme. Il s'attache au jeune duc de Bourgogne, petit-fils du roi, qui, à la mort du grand dauphin (1711), va devenir l'héritier présomptif. Ami de Beauvillier, le gouverneur du nouveau dauphin, Saint-Simon s'efforce, non sans succès, de faire du futur monarque un adepte de ses théories sur le rôle de l'aristocratie dans la conduite des affaires publiques. Mais le duc de Bourgogne meurt l'année suivante (1712), et Saint-Simon va devoir attendre la mort de Louis XIV (1715) pour que l'on pense à lui de nouveau: son ami de jeunesse Philippe d'Orléans l'appelle au Conseil de régence. On tente une expérience inspirée par sa doctrine. Plus de ministres roturiers, mais une série de conseils où dominent les grands féodaux; or la formule se révèle inopérante et il faut l'abandonner au plus vite, tandis que le régent s'en remet à Dubois, cardinal d'une impiété parfaite; qui pis est, de basse extraction. Puis il expédie Saint-Simon en Espagne avec une mission purement honorifique : la préparation du mariage de Louis XV, lequel n'a encore que onze ans. L'ambassadeur extraordinaire, pour sa part, est enthousiasmé (il sera d'ailleurs fait « grand d'Espagne»). Après ce voyage triomphal, il court retrouver sa femme, venue elle-même à sa rencontre, pour jouir - dit-il - du plaisir de nous revoir en solitude et en liberté. Mais le régent Philippe d'Orléans meurt quelques mois plus tard et le duc se décide à la retraite. (L'esprit languissant du vide effleure bien des objets qui se présentent avant que d'essayer d'accrocher son ennui sur pas un.) Il a quarante-huit ans.