SAINT-EXUPÉRY Antoine de 1900-1944

Romancier, conteur et moraliste, né à Lyon. Pilote de ligne, il réalise d’audacieux exploits pour le compte de ses patrons (la société Latécoère, ou l’Aéropostale) ; mais non content de cet héroïsme quotidien, il tente un raid de New York à la Terre de Feu, avec un matériel qui, à l’époque, ne lui laissait aucune chance de vaincre et guère davantage d’en réchapper. Aux temps de l’occupation allemande, il rejoint les Forces françaises libres et disparaît au large de la Corse lors d’un vol de reconnaissance. Sur le plan littéraire, dès son premier livre, Courrier Sud (1929), récit d’un ton curieusement discret, mais d’une rare intensité (classique au sens le plus fort du terme), il est salué par ses pairs comme un maître, et surtout comme un styliste de belle race. Ses dons vont trouver un champ d’application plus large encore dans Vol de nuit (1931) et surtout Terre des hommes (1939); hymne puissant, et méditation morale aussi, qu’il dédie à ses deux camarades Mermoz et Guillaumet. Lorsque éclate le deuxième conflit mondial, il écrit Pilote de guerre (publié en 1942), révélant les scrupules d'un trop intelligent et généreux soldat, qui (avec Fénelon) tient toutes les guerres pour « guerres civiles ». Un ami juif lui inspire en 1943 la Lettre à un otage, page grandiose qui vise les sommets, et qui va bouleverser d'infaillible façon ses lecteurs; tandis que, cette même année 1943, la fantaisie - un des traits les plus savoureux du poète Saint-Exupéry - se donne carrière dans le conte du Petit Prince.

Depuis sa mort, on a publié d'autres œuvres restées en tiroir; dont, surtout, Citadelle (1948). Œuvre monumentale - quoique en état de non-achèvement - et, aussi, œuvre émouvante, qui agrandit encore la stature du personnage de« Saint-Ex» (son ombre portée, si l'on peut dire). Mais on retrouve davantage, peut-être, dans les Carnets publiés en 1953, ce ton de gravité, de générosité et de simplicité mêlées, qui, d'entrée de jeu, avaient convaincu les premiers admirateurs de Courrier Sud et de Vol de nuit. Une légende, cependant, s'attacha très vite à sa vie exemplaire, et, par suite, aux aspects moraux de l'écrivain, qui en effet le rendaient propre à devenir aussitôt « matière scolaire ». Si bien que tout l'apport de Saint-Exupéry court le risque d'être saisi en porte à faux. À la force chaleureuse, à la gentillesse fraternelle, d'un homme dont tout l'art résidait dans sa sobriété même, vertu rare et originale entre toutes à son époque, on en vient à préférer les livres dits majeurs. On en vient à mettre au premier plan les aspects les moins personnels de ses œuvres. Par exemple les tirades en style biblique, ou encore les pastiches claudéliens de la Lettre à un otage (Mais voici qu’aujourd’hui... etc. Ou, cinq lignes plus loin: Et voici qu’à nous diviser...). Ou, pis encore, l'épais brouet nietzschéen de Citadelle (Force-les de bâtir ensemble une tour et tu les changeras en frères. Mais si tu veux qu’ils se haïssent, jette-leur du grain; - Il m’est apparu qu’il ne fallait point soumettre celui qui crée aux souhaits de la multitude; - Si ton pouvoir, tu le divises, et le distribues entre tous... etc.). Dès avant la guerre, les admirateurs de Saint-Exupéry avaient vu apparaître chez lui de place en place un premier « petit point noir » ; ainsi dans Terre des hommes, l'auteur, afin de mieux expliquer son titre, nous avait affirmé que l'avion est un lieu privilégié, du fait de la vue d'ensemble qu'il permet, pour saisir les problèmes de l'humanité avec le recul et la sérénité nécessaires. Si un tri doit plus tard être opéré dans l'œuvre entière de Saint-Exupéry (comme il advient, un jour, pour toutes les œuvres d'écrivain), souhaitons qu'il ne soit pas fait dans cette optique philosophique que nous suggérait parfois l'auteur et que semblent adopter, jusqu'ici, nombre d'éducateurs.