RUSSIE ET URSS AU XXe SIÈCLE
RUSSIE ET URSS AU XXe SIÈCLE
Au début du xxe siècle, l’expansion constitutive de l’Empire russe était à peu près achevée. Ce dernier englobait d’immenses territoires qui s’étendaient d’ouest en est du grand-duché de Varsovie à l’océan Pacifique, en dépit de la perte d’une possession en Alaska vendue aux États-Unis en 1867. Il s’étirait aussi du nord au sud, des rivages orientaux de la mer Baltique à la Transcaucasie, avec la conquête sur l’Empire ottoman des régions de Batoumi, Ardahan et Kars en 1878. Il couvrait enfin une partie de l’Asie centrale depuis la transformation de l’émirat de Boukhara en protectorat en 1868, l’annexion du khanat ouzbek de Khiva en 1873 et, dernière conquête, celle de la région montagneuse du Pamir en 1895, aux confins de l’Empire perse, de l’Afghanistan et de la Chine, l’Inde britannique se trouvant alors à une portée de seize kilomètres seulement.
Les tentatives d’expansion ultérieures en Extrême-Orient en direction de la Mandchourie et de la Corée se sont heurtées à l’impérialisme japonais. L’issue désastreuse de la guerre russo-japonaise (1904-1905), marquée par la défaite humiliante de Port-Arthur, a ébranlé l’empire déjà contesté par la montée des nationalismes en Pologne, en Finlande et au Caucase. Tout cela au moment même où la révolution de 1905 mettait en cause l’absolutisme du tsar sur cet immense empire qui amorçait à peine son développement économique. La population était massivement rurale (80 %) et peu alphabétisée, les campagnes sous-équipées. L’industrialisation avait vu apparaître les premiers entrepreneurs modernes et des ouvriers, peu nombreux mais très concentrés dans des centres urbains misérables.
La Première Guerre mondiale entraîne la dislocation de l’empire et la chute de l’autocratie. Lorsque l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie, la Russie s’engage dans la guerre contre les empires centraux au nom de la solidarité slave avec le « petit frère serbe ». L’armée russe se voit infliger de sévères défaites par les troupes allemandes. La faiblesse militaire et la désorganisation croissante à l’arrière précipitent l’abdication du tsar Nicolas II le 2 mars 1917, après quelques jours de grèves et de manifestations. La révolution de Février (1917) ouvre une période de double pouvoir entre un gouvernement provisoire libéral et des soviets (conseils) où s’imposeront les éléments les plus révolutionnaires. À la faveur de la confusion, les soldats désertent massivement, les paysans entreprennent de partager les domaines de la noblesse, tandis que les peuples non russes affirment leur souveraineté, ce qui conduira à un mouvement vers l’indépendance de la Finlande (décembre 1917), de l’Ukraine (janvier 1918), de l’Estonie et de la Lituanie (février 1918), de la Géorgie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (mai 1918), de la Pologne (octobre 1918) et de la Lettonie (novembre 1918).
La révolution d'Octobre, un coup d'État.
En octobre 1917, les révolutionnaires les plus radicaux, les bolcheviks dirigés par Lénine et Léon Trotski, s’emparent du pouvoir par un coup de force qui reste connu dans l’histoire comme la révolution d’Octobre, et instaurent la « dictature du prolétariat » qui devient rapidement une dictature du seul Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). La décision de dissoudre l’Assemblée constituante (février 1918) déclenche une guerre civile qui durera deux ans, tandis que la Tchéka (police politique) fera régner la « terreur rouge ». Grâce à la paix de Brest-Litovsk (mars 1918) conclue avec l’Allemagne au prix de concessions territoriales, les bolcheviks disposent des coudées franches pour assurer leur pouvoir à l’intérieur et diriger un mouvement communiste international avec la création de la IIIe Internationale, le Komintern (mars 1919).
Au communisme de guerre qui étatisait l’industrie et le commerce et réquisitionnait les paysans, succède en 1921 la Nouvelle Politique économique (NEP), tandis que la création de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), en décembre 1922, entérine les premiers succès d’une reconquête impériale - avec notamment l’inclusion de la Transcaucasie et de l’Ukraine - en dépit de l’échec de l’Armée rouge devant Varsovie lors de la guerre russo-polonaise (1920).
Staline, qui dirige le Parti depuis la mort de Lénine (1924), lance en 1929 la « construction du socialisme » avec une politique d’industrialisation accélérée et de collectivisation agraire forcée. Le coût humain en est considérable : deux millions et demi de personnes, dont les paysans réfractaires, sont déplacées, la famine qui s’ensuit en 1932-1933 fait six millions de victimes. La modernisation s’accomplit au cours des années 1930 au prix de l’instauration d’un régime totalitaire. Le Parti, dont une fraction, après avoir éliminé ses propres élites, décime celles des différentes nations de l’Union - à l’issue de la Grande Terreur et des procès de Moscou de 1936-1938 et de la grande purge de cette dernière année - tient désormais lieu d’État. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, on estime à sept millions le nombre de personnes envoyées au Goulag.
L’attaque allemande du 22 juin 1941 prend l’URSS au dépourvu et la plonge dans la Seconde Guerre mondiale. Les purges n’ont pas épargné les élites militaires, handicapant la préparation face à la montée du danger nazi, sous-estimé du fait de la signature du Pacte germano-soviétique de non-agression en 1939, dont les clauses secrètes établissaient un partage des zones d’influence réciproques en Europe entre les deux régimes totalitaires.
La " Grande Guerre patriotique ".
Le plan Barbarossa (« Barberousse ») qui sous-tend l’offensive allemande prévoit, par un effet de Blitzkrieg, d’atteindre Moscou, d’une part, et de s’emparer des ressources utiles de l’Ukraine et du Caucase, d’autre part. Après une phase de succès qui mène l’avancée de la Wehrmacht jusqu’à la Volga sans grande résistance hormis la défense in extremis de Moscou, la victoire de l’armée soviétique à Stalingrad (février 1943) marque non seulement le début des revers allemands sur le front russe, mais aussi un tournant décisif quant à l’issue de la guerre, confirmé par la victoire soviétique à Koursk en juillet suivant. Dès lors, l’armée soviétique reprend définitivement l’offensive, repasse ses frontières de 1939 en juillet 1944, en direction des Balkans où elle prend le contrôle de la Roumanie, de la Bulgarie, ainsi que de la Hongrie, via la Pologne où elle laisse les nazis exterminer les insurgés de Varsovie. Après avoir fait sa jonction avec l’armée américaine le 25 avril 1945 à Torgau, sur l’Elbe, elle prend Berlin le 2 mai.
Le bilan de la Grande Guerre patriotique, comme on nomma la Seconde Guerre mondiale en Union soviétique, est effroyable pour les peuples de l’URSS : aux 26 millions de morts (dont 8,6 millions de pertes militaires) s’ajoutent en effet deux autres catégories de victimes ; il s’agit des 2,3 millions de prisonniers de guerre rapatriés dont seuls 20 % ont pu rentrer chez eux, la grande majorité étant transférée vers les camps du Goulag, ainsi que de ceux que l’on nommera les « peuples punis », accusés de collaboration collective et déportés. Dès avant l’attaque allemande, ce fut le cas de 400 000 Polonais d’Ukraine et de Biélorussie occidentale. Pendant la débâcle de l’été 1941, ce fut le tour d’un millier d’Allemands de la Volga et d’autres régions de la Russie. Puis, en 1943-1944, des Tchétchènes, Ingouches, Karatchaïs, Balkars, Kalmouks et Tatars de Crimée.
Consacrée superpuissance.
En revanche, le bilan politique de la guerre consacre l’URSS comme grande puissance mondiale. Lors des conférences de Yalta (où elle obtient trois sièges à la Conférence constitutive de l’ONU, dont elle sera par la suite membre permanent du Conseil de sécurité), puis de Potsdam, les Occidentaux entérinent l’extension de sa zone d’influence dans le Pacifique - avec le sud de l’île de Sakhaline et les îles septentrionales de l’archipel des Kouriles repris au Japon - mais surtout en Europe. La Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie, la Yougoslavie, la Hongrie, la Pologne, puis la Tchécoslovaquie (1948) et la République démocratique allemande (RDA) en 1949 constitueront le « glacis soviétique ». L’Europe sera ainsi coupée en deux jusqu’en 1989.
La création du Kominform (1947) marque la bipolarisation entre deux blocs et le début de la première Guerre froide qui verra la recherche systématique de la confrontation : à la création du Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM ou Comecon en russe) qui lie, en janvier 1949, l’URSS et ses satellites (baptisés en Europe de l’Est « démocraties populaires »), les Occidentaux répliquent en avril suivant par la signature du Pacte atlantique qui crée l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ; les Soviétiques accélèrent les préparatifs de l’essai, en juillet, de leur première bombe atomique. De la même manière, en mai 1955, l’entrée de la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans l’OTAN sera immédiatement suivie de la signature du Pacte d’assistance mutuelle dit « pacte de Varsovie ».
Du dégel khrouchtchévien à la perestroïka gorbatchévienne.
Néanmoins, avec la mort de Staline (1953) et l’arrivée au pouvoir de Nikita Khrouchtchev s’amorce une période de détente où sera définie la théorie de la coexistence pacifique entre les deux blocs. La nouvelle direction soviétique entame aussi un rapprochement avec la Yougoslavie de Tito qui avait été condamnée pour déviation en 1948 - ce qui n’empêchera pas une nouvelle rupture à l’intérieur du camp socialiste dix ans plus tard avec le schisme sino-soviétique qui donnera lieu à des affrontements frontaliers. Mais surtout, en dénonçant les crimes de la politique de Staline devant le XXe congrès du PCUS (1956), N. Khrouchtchev annonce un assouplissement du système politique, le « dégel », qui laissera toutefois intacte l’ossature de la planification centralisée et bureaucratique. Les espoirs de libéralisation seront rapidement déçus avec la répression sanglante de l’insurrection populaire de Budapest (Hongrie) par les troupes du pacte de Varsovie en 1956. Des oppositions parviendront malgré tout à se maintenir dans les pays satellites, mais aussi à l’intérieur de l’URSS parmi les élites nationales des républiques périphériques et en Russie même sous la forme du mouvement de la dissidence, dont les figures de proue seront l’écrivain Alexandre Soljénitsyne et le physicien Andreï Sakharov.
Après avoir déposé N. Khrouchtchev en 1964, Leonid Brejnev poursuivra la politique de détente entre les deux superpuissances - symbolisée par la jonction dans l’espace de deux vaisseaux, l’un soviétique, l’autre américain (1975) - ainsi que la compétition pour la conquête spatiale, qui avait été inaugurée par le vol du cosmonaute soviétique Iouri Gagarine (1934-1968) en 1961. Mais la relance de la course aux armements à partir de 1979 illustre une seconde Guerre froide. La guerre d’Afghanistan résultant de l’invasion de ce pays par les troupes soviétiques cette même année portera les tensions Est-Ouest au paroxysme.
La rupture introduite par Mikhaïl Gorbatchev à partir de 1985 visera à restaurer la confiance en engageant un processus de désarmement (signature du traité FNI sur le démantèlement des forces nucléaires intermédiaires en 1987), en annonçant le retrait des forces soviétiques d’Afghanistan (effectif en 1989) et en ne s’opposant pas à la nomination du premier gouvernement non communiste du glacis de l’après-guerre en Pologne (août 1989), prélude à la chute du Mur de Berlin en novembre suivant.
Les changements engagés à l’intérieur avec les politiques de perestroïka (« restructuration ») et de glasnost (« transparence ») ne parviennent pas à réformer le pays, mais aboutissent en revanche à l’implosion de l’empire et à la fin du système communiste qui le soutenait.
Le retour de la Russie.
Dans ce processus, la Russie a joué un rôle moteur. Dissoute depuis 1922 dans l’URSS, dont elle n’était formellement que l’une des quinze républiques fédérées, la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), elle s’était engagée dans l’appropriation de sa souveraineté, prenant la tête du mouvement d’affirmation nationale lancé par les autres républiques. Fort de sa légitimité de premier président de la RSFSR élu au suffrage universel (juin 1991), Boris Eltsine prend le pouvoir de fait après l’échec du putsch d’août 1991 contre M. Gorbatchev jusqu’à la démission de ce dernier en décembre 1991. Cela sonne le glas de l’URSS et l’éclatement de son empire. La Russie sera immédiatement reconnue comme « État continuateur » de l’URSS jusque dans son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. La création concomitante de la Communauté d’États indépendants (CEI), qui rassemblera bientôt toutes les républiques ex-soviétiques à l’exclusion des trois États baltes, apparaît comme un simple cadre destiné à amortir le choc de la rupture des anciennes relations impériales. Le fonctionnement ultérieur de ses accords se limitera effectivement à une succession d’alliances à géométrie variable dans les domaines monétaires et de défense.
Au plan institutionnel, la nouvelle Russie semble suivre les règles d’une construction démocratique, en respectant en particulier le calendrier des échéances électorales : adoption par référendum d’une Constitution instituant 89 entités en 1993, tenue jugée équitable d’élections législatives (1993 et 1995), puis présidentielles en 1996 - B. Eltsine est réélu -, régionales enfin dans l’hiver 1996-1997.
Sur fond de chaos économique persistant et de crise sociale généralisée (la moitié de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté), une double dérive se fait jour : d’une part les pratiques autoritaires des nouvelles élites, révélées dès 1993 avec la dissolution violente du Parlement (impliquant l’intervention de forces armées), et d’autre part leur corruption massive, mise au jour par les implications de la crise financière de 1998. Ces événements ont montré à quel point l’héritage soviétique et tsariste est demeuré vivace. De même, la première guerre en Tchétchénie (1994-1996), qui a fait 80 000 victimes et qui a été prolongée par un second conflit ouvert en 1999, a tragiquement souligné le regain des vieux réflexes impériaux, de même que le refus d’accepter pleinement que les anciens satellites puissent choisir librement leurs alliances (entrée dans l’OTAN de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie en 1999).
Le 31 décembre 1999, B. Eltsine annonçait sa démission et intronisait Vladimir Poutine comme dauphin désigné (président par intérim). Issu des organes de sécurité (ex-police politique soviétique), celui-ci sera élu le 26 mars 2000 et entendra renforcer le pouvoir central et restaurer l’ordre. Il sera soutenu par les grandes puissances malgré la « sale guerre » poursuivie en Tchétchénie.
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