Rue des Boutiques obscures de Patrick MODIANO, 1978
L'auteur reprend le thème de l'amnésique (cf. Giraudoux, Siegfried et le Limousin, Anouilh, Le Voyageur sans bagage) et bâtit, selon les techniques du roman policier, un ingénieux récit propre à alimenter la réflexion du lecteur sur les rapports de la mémoire et du moi. Le héros-narrateur est un amnésique d'un certain âge, devenu détective privé, qui cherche à retrouver sa véritable identité et son passé. Sur de fragiles indices, un nom, une photo, un numéro de téléphone, il explore un monde flou d'étrangers et d'apatrides à l'identité incertaine, luttant contre les défaillances de mémoire, les réticences, la disparition des témoins. Il est interpellé un soir, dans un bar, sous le nom de Pedro McEvoy par un ancien jockey anglais, peut-être ivre, qui lui permet de reconstituer un peu du passé de ce personnage. Il l'adopte comme sien, sans que l'incertitude disparaisse car le jockey a ainsi achevé : Dis-moi, Pedro, quel était ton vrai nom? Est-il vraiment l'homme qui, sous l'occupation allemande, a fui Paris avec un passeport dominicain à ce nom et essayé de passer en Suisse avec une certaine Denise Coudreuse? Sa mémoire (ou son imagination) s'arrête à une chute dans la neige, dans le blanc. À Paris, à Megève et jusque dans le Pacifique, à Bora-Bora, il tente de suivre des fils qui se rompent les uns après les autres. Dernière démarche encore possible quand s'arrête le récit, se rendre à Rome, rue des Boutiques obscures. Dans cette quête obstinée, le passé se dissout à mesure qu'il paraît se composer, à l'inverse de ce qui se passe chez Proust dans 4 la recherche du temps perdu, puisque la mémoire subjective ne fournit pas le pivot d'une conscience et d'une identité vécues.