ROUSSEAU : SEULE LA PASSION VAINC LA PASSION

ROUSSEAU : SEULE LA PASSION VAINC LA PASSION

Si la raison ne peut combattre les passions, et si, comme l'observait Spinoza, « un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un autre sentiment contraire et plus fort que le sentiment à contrarier » (Ethique IV, prop. vu), la sagesse en tant que maîtrise des passions ne pourra être atteinte que par le jeu de leur opposition et de leur neutralisation mutuelle.

« Comment réprimer la passion même la plus faible, quand elle est sans contrepoids ? Voilà l'inconvénient des caractères froids et tranquilles : tout va bien tant que leur froideur les garantit des tentations ; mais s'il en survient une qui les atteigne, ils sont aussitôt vaincus qu'attaqués ; et la raison, qui gouverne tandis qu'elle est seule, n'a jamais de force pour résister au moindre effort. Je n'ai été tenté qu’une fois, et j'ai succombé. Si l'ivresse de quelque autre passion m'eût fait vaciller encore, j’aurais fait autant de chutes que de faux pas. Il n'y a que des âmes de feu qui sachent combattre et vaincre ; tous les grands efforts, toutes les actions sublimes sont leur ouvrage : la froide raison n'a jamais rien fait d'illustre, et l'on ne triomphe des passions qu'en les opposant l’une à l’autre. Quand celle de la vertu vient à s’élever, elle domine seule et tient tout en équilibre. Voilà comment se forme le vrai sage, qui n’est pas plus qu’un autre à l’abri des passions, mais qui seul sait les vaincre par elles-mêmes, comme un pilote fait route par les mauvais temps. »

Rousseau, Julie.

ordre des idées

1) Première observation : une passion ne peut être réprimée que par un « contrepoids ». 2) Seconde observation : ce contrepoids ne peut être la raison (qui n'a pas « assez de force »), mais seulement une autre passion. 3) Une conséquence : ceux qui ont beaucoup de passions (les « âmes de feu ») sont plus aptes à les maîtriser que ceux qui en ont rarement, et donc à parvenir à la sagesse.