Rousseau: L'origine du contrat social
Constatant la misère de l'homme dans un état de société qui l'aliène, Rousseau propose un "contrat social" qui permette le libre épanouissement de l'individu dans un ensemble social harmonieux.
Problématique
Selon Rousseau, la vie sociale naît de l'impasse où se trouve la vie à l'état de nature, à un moment crucial de son évolution. Mais l'auteur pose ce problème en des termes nouveaux : il s'agit de penser le rapport entre les intérêts de l'individu, promus en valeur inaliénable, et le bon fonctionnement d'une société faite pour l'homme. La condition du contrat est rigoureuse : chacun doit renoncer à ses droits propres, subjectifs, pour accepter la soumission au droit commun. En contrepartie, il y retrouvera sa souveraineté perdue, dans la mesure où il n'est plus législateur pour lui-même, mais co-législateur pour tous les citoyens, dont il fait lui-même partie.
Enjeux
On a pu voir dans cette conception l'origine des totalitarismes modernes. Le danger est de voir l'individu totalement soumis à la société. Mais il s'agit en fait d'un malentendu, dans la mesure où l'individu reste le fondement du contrat, dont il est lui-même colégislateur. Les conceptions démocratiques modernes manifestent ce principe par la possibilité, pour les citoyens, d'influencer les décisions politiques, ne serait-ce qu'en mandatant leurs dirigeants par des élections libres.
L'origine du contrat social
Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature l'emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s'il ne changeait sa manière d'être. Or comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n'ont plus d'autre moyen pour se conserver que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l'emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert. Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs : mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire, et sans négliger les soins qu'il se doit ? Cette difficulté ramenée à mon sujet peut s'énoncer en ces termes : "Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant." Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu'à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça. Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.
- état de nature : état hypothétique de l'homme vivant en dehors de toute société.
- forces : tout ce qui influence l'existence humaine. Les forces de la nature se manifestent ici en termes d'obstacle et de résistance, auxquelles s'opposent les forces humaines.
- agrégation: assemblage, regroupement en un tout.
- contrat : convention entre plusieurs personnes, entre gouvernants et gouvernés, qui s'obligent réciproquement à certains devoirs.
- clause : disposition particulière d'un acte juridique. Un contrat est formé d'une ou plusieurs clauses.
- acte : toute convention juridique signée par les parties en présence. Un contrat est un acte juridique.
- liberté : Rousseau distingue la liberté naturelle, propre à chaque individu en dehors de toute société, et la liberté conventionnelle, qui caractérise le citoyen signataire du contrat.
- aliénation : acte contractuel par lequel l'individu cède ses biens à un tiers.