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Rousseau et le « préjugé d’état »

« Depuis trois ou quatre cents ans que les habitants de l'Europe inondent les autres parties du monde et publient sans cesse de nouveaux recueils de voyages et de relations, je suis persuadé que nous ne connaissons d’hommes que les seuls Européens; encore paraît-il aux préjugés ridicules qui ne sont pas éteints, même parmi les gens de lettres, que chacun ne fait guère sous le nom pompeux d’étude de l’homme, que celle des hommes de son pays. Les particuliers ont beau aller et venir, il semble que la philosophie ne voyage point, aussi celle de chaque peuple est-elle peu propre pour un autre. La cause de ceci est manifeste, au moins pour les contrées éloignées. Il n’y a guère que quatre sortes d’hommes qui fassent des voyages de long cours : les marins, les marchands les soldats, et les missionnaires. Or on ne doit guère s’attendre que les trois premières classes fournissent de bons observateurs, et quant à ceux de la quatrième, occupés de la vocation sublime qui les appelle, quand ils ne seraient pas sujets à des préjugés d’état comme tous les autres, on doit croire qu’ils ne se livreraient pas volontiers à des recherches qui paraissent de pure curiosité... On n’ouvre pas un livre de voyages où l’on ne trouve des descriptions de caractères et de mœurs; mais on est tout étonné d’y voir que ces gens qui ont décrit tant de choses, n’ont dit que ce que chacun savait déjà, n’ont su apercevoir à l’autre bout du monde que ce qu’il n’eut tenu qu’à eux de remarquer sans sortir de leur rue, et que ces traits vrais qui distinguent les nations, et qui frappent les yeux faits pour voir, ont presque toujours échappé aux leurs. De là est venu ce bel adage de morale, si rebattu par la tourbe philosophesque, que les hommes sont partout les mêmes, qu’ayant partout les mêmes passions et les mêmes vices, il est assez inutile de chercher à caractériser les différents peuples; ce qui est à peu près aussi bien raisonné que si l’on disait qu’on ne saurait distinguer Pierre d’avec Jacques, parce qu’ils ont tous deux un nez, une bouche et des yeux. » ROUSSEAU

DIRECTION DE RECHERCHE

• Comment Rousseau explique-t-il ce qu’il avance en début de texte (au moins pour les contrées éloignées) ? — signification de « préjugé d’état » ? — pourquoi les missionnaires ne sont-ils vraisemblablement pas en droit de se livrer à des recherches qui « paraissent de pure curiosité »? • Qu’est-ce qui peut expliquer que ces recherches peuvent paraître « de pure curiosité » — Est-ce la position de Rousseau? • Ce texte a-t-il un intérêt toujours actuel? — Dans son argumentation"! — Dans sa thématique! — Rejoint-il les problématiques contemporaines de mise en cause de « la nature humaine »; de mise à jour « d’européocentrisme » d’ « ethnocentrisme »?

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