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Rousseau et la souveraineté

« Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’Etat : que m’importe ? on doit compter que l’Etat est perdu. L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des Etats, les conquêtes, l’abus du gouvernement, ont fait imaginer la voie des députés ou représentants du peuple dans les assemblées de la nation... La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point ; elle est la même ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort : il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde. »

J.-J. ROUSSEAU

DIRECTIONS DE RECHERCHE

• Que signifie « La voie des députés ou représentants du peuple »? • Qu’est-ce qui, selon Rousseau, a fait imaginer cette « voie »? • Que signifie ici « l'activité de l’intérêt privé » ? Rousseau condamne-t-il toute activité de l’intérêt privé ? • Que signifie ici « l’abus du gouvernement »? Y a-t-il une différence entre « gouvernement » et « état » ? • Pourquoi, selon Rousseau, la souveraineté ne peut-elle être « représentée » ? Que signifie « aliénée » ? • Qu’est-ce que « la volonté générale » ? • Pouvez-vous expliquer clairement pourquoi, selon Rousseau, « il n’y a point de milieu »? • Quelle différence existe-t-il entre « commissaire » et « représentant »? • Pourquoi, selon Rousseau, « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée... n’est point une loi » ? Qu’est-ce que « le peuple en personne »? • Pourquoi, selon Rousseau, le peuple anglais (nous sommes au XVIIIe siècle) n’est-il libre que devant l’élection des membres du parlement ? • Pourquoi, selon Rousseau, l’usage qu’il fait de sa liberté mérite bien qu’il la perde ? • Quel est « l'enjeu » précis de ce texte ? En quoi présente-t-il un intérêt philosophique ? • Comment appréciez-vous « la position » et l’argumentation de Rousseau ?




SOUVERAIN, SOUVERAINETÉ Alors que l’adjectif signifie tantôt « suprême » (souverain bien), tantôt « absolument indépendant » (cas d’un jury, d’un homme ou d’un peuple libre), le substantif désigne classiquement (chez Rousseau par exemple) l’instance qui, dans une société, détient en droit le pouvoir politique, qu’il s’agisse d’un homme, ou, le plus souvent, d’une assemblée représentative de la communauté. En fait, comme l’a montré Jean Bodin dans sa République (1576), le souverain n’est pas réductible à une personne. Il préexiste aux individus, qui n’en constituent que des dépositaires provisoires et peuvent ainsi « avoir » la souveraineté, sans jamais l’« être » intégralement. ♦ Dans la pensée de G. Bataille, qui s’inspire sur ce point à la fois de Hegel et de Nietzsche, l’homme ne peut connaître la souveraineté réelle que lorsqu’il est libéré aussi bien de l’ordre des choses (le travail) que des lois sociales : dépensant l’énergie dont il dispose « en pure perte », il sort de l’organisation rationnelle du monde profane et accède à un certain sacré, à la façon des héros de Sade. Ne conservant rien, la souveraineté ainsi conçue n’affirme l’indépendance absolue que par la mise en jeu de la vie même de l’individu.

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