RONSARD Pierre de
RONSARD Pierre de 1524-1585 Fils cadet d’un gentilhomme — sergent fieffé de la forêt de Gâtine — il naît à Couture, en Vendômois, au château de la Possonière. Après une enfance heureuse, semble-t-il, et campagnarde, il suit (à partir de 1544) avec Jean Antoine de Baïf, les leçons de grec de Daurat. C’est au collège Coqueret, dont Daurat a été nommé recteur, et où du Bellay l’a rejoint, qu’il compose sa première ode (avant 1547) et qu’il participe à l’élaboration de La Défense et Illustration de la Langue française (1549), que signe son cadet et qui est le document fondateur de la Pléïade (mouvement tendant à rejeter la forme fixe héritée du Moyen Age et à récréer le lyrisme tel que le connaissait l’Antiquité). Le volume des Quatre Premiers Livres des Odes, paraîtra en 1550, L'Ode à Michel de l'Hôpital, pour laquelle Goudimel a composé une musique, en 1552, l’année où est publié le premier livre des Amours. Dans ce recueil il célèbre Cas sandre, sans doute la fille d’un banquier italien que notre poète a aperçue dansant le branle et qui sert de support à une espèce d’amour courtois. Suivent les Continuations des Amours et Nouvelles Continuations des Amours (1555-56), consacrés, eux, à Marie. Sur le thème un peu convenu de la bergère aimée par un seigneur, Ronsard y réinvente par le langage un univers du bonheur, auquel Flaubert sera sensible. En même temps il fait usage d’un vers alors un peu oublié mais promis à un grand avenir: l’alexandrin. Les Hymnes, dont le premier livre est publié en 1555 et le second l’année suivante marquent l’adoption définitive de ce vers de douze syllabes. En 1560, quand paraît la première édition de ses Œuvres, Ronsard est au faîte de sa gloire. Poète officiel de Charles IX, il a la charge d’organiser les fêtes royales et de se faire le propagandiste de la politique royale. Pendant quatorze ans il demeurera ainsi au premier rang des poètes, maintenant malgré les courants contraires issus de la contre-ré-forme, les idéaux esthétiques de la Renaissance humaniste. C'est l'époque du Discours sur les Misères de ce Temps (1563) et de sa Continuation..., et des Eglogues. En 1570 est fondée l'Académie de poésie et de musique, qui se maintiendra sous le règne suivant; la cour accueille à Paris Roland de Lassus, le musicien flamand, maître de la polyphonie du XVIe siècle et Le Tasse (Torquato Tas-so), l'auteur de La Jérusalem délivrée. Deux ans plus tard, l'année des massacres de la Saint-Barthélémy, il publie les quatre premiers livres de la Franciade, une épopée copiée sur Virgile qu'il traînera trente ans durant comme un boulet sans jamais en faire rien d'acceptable. Meurt Charles IX, en 1574, et Ronsard, en perdant son soutien, perd tout. La faveur d'Henri III va à Pierre Desportes, avec qui il n'est pas question de partager le premier rang. Ronsard se retire en ses abbayes, notamment celle de Saint-Come-lès-Tours. C'est là qu'il compose les Sonnets pour Hélène (ils figurent dans l'édition de 1578 de ses oeuvres) et le célèbre Poème aux Bûcherons de la Forêt de Gâtine (édition de 1584). Il meurt le 27 décembre 1585, à Saint-Come-lès-Tours, l'année ou Malherbe*, qui sera l'un de ses plus acharnés détracteurs, fait ses débuts en littérature. Bien sûr, Ronsard est l'un des poètes de notre littérature que personne, ou à peu près, n'ignore. Mais l'image de l'épicurien que la critique romantique nous a transmise de lui est-elle la bonne? Certes il y a en lui un musicien, et ce, en dépit de la surdité dont il a été frappé tout jeune. Il ne faut d'ailleurs pas perdre de vue que la poésie, à l'époque, était indissociable de la musique qui l'accompagnait. Mais il y a aussi un poète qui malgré son angoisse face aux forces obscures qui pèsent sur le destin de son pays et celui des idées qu'il défend ne cesse de chanter le bon heur, la force de la vie, l'amour, afin de conjurer cette menace.
RONSARD Pierre de. Né en septembre 1524 à Couture en Vendômois; mort le 27 décembre 1585 à Saint-Cosme-lez-Tours. Pierre de Ronsard, Vendômois, peut revendiquer le double titre de prince des poètes français et de premier poète français moderne. Il est, en effet, le premier pour lequel on puisse dessiner la courbe d’une vie, dont chaque étape est marquée par une œuvre nouvelle et une transformation de la poésie. Fils cadet d’un gentilhomme — sergent fieffé de la forêt de Gâtine, Loys de Ronsard, d’abord au service du roi Louis XII et ensuite de François Ier, père des lettres — il naquit au château de la Possonnière, une ravissante gentilhommière Renaissance, qui peut se visiter encore et dont la mince tour octogonale, les inscriptions et la grande cheminée se voient toujours. En face se cachent les ruines d’une demeure primitive, constituée par des salles souterraines creusées sous la colline, où s’égarait l’enfant génial et précoce : « Je n’avais pas douze ans qu’au profond des vallées,/ Dans les hautes forêts, des hommes reculées,/ Dans les antres secrets, de frayeur tout couverts,/ Sans avoir soin de rien, je composais des vers. » Tout jeune, il entra au service des dauphins et des princesses royales, comme page, ce qui le mena jusqu’en Ecosse, avec Madeleine de France. Mais ce cadet, frappé soudain de surdité (n’est-il pas étonnant que ce grand musicien du verbe ait été sourd, comme le fut, plus tard, Beethoven, grâce divine peut-être, pour les refouler dans le monde intérieur de leurs harmonies ?), ne pouvant plus songer ni aux armes, ni à la diplomatie, où, parfois, cependant, la surdité est utile, dut être d’Eglise, non pas prêtre, mais, ayant reçu la petite tonsure des ordres mineurs, il pouvait accéder à des bénéfices ecclésiastiques. Toutefois, il fut surtout de lettres. Aussi, après la mort de son père, se laissa-t-il engager à Paris par le diplomate humaniste Lazare de Baïf, dans sa belle maison des Fossés Saint-Victor (aujourd’hui, rue du Cardinal-Lemoine), ornée d’inscriptions grecques, pour y être le jeune Mentor d’un plus jeune Télémaque, Jean-Antoine, avec lequel il entra d’ailleurs bientôt au collège de Coquelet, derrière Sainte-Barbe, impasse Chartière, lequel venait d’être repris par le grand philologue limousin Dorat, de son vrai nom Disna-mandy (en lorrain Mangematin). Ils y retrouvaient Joachim Du Bellay et bien d’autres, auxquels Dorat révélait les beautés de la poésie hellénique. C’est de ce milieu effervescent que sortit, en avril 1549, notre premier manifeste littéraire : la Défense et illustration de la langue française, qui avait, en effet, besoin d’être défendue contre les « latiniseurs » qui voulaient l’abandonner pour le latin, et d’être illustrée par le renouvellement des genres, à l’instar des Grecs. Joachim Du Bellay accompagnait sa Défense d’un recueil de sonnets, L’Olive, destiné à célébrer sa cousine Olive de Sévigné. Mais la vraie, l’éclatante révélation de la nouvelle école, qui ne s’appelle pas encore « la Pléiade », mais seulement et plus modestement « la Brigade », fut la publication, un an après, en avril 1550, des Quatre Premiers Livres des Odes de Pierre de Ronsard, Vendômois. Après une retentissante et insolente préface, affirmant sa volonté de révolutionner la poésie, prenant « style à part, sens à part, œuvre à part », le livre, qui marque une date dans l’histoire de notre littérature, s’ouvrait par des Odes pindariques imitées du poète lyrique thébain du Ve siècle av. J.-C., Pindare, à qui les cités grecques commandaient des odes ou chants en l’honneur du vainqueur des Jeux olympiques, auquel elles s’enorgueillissaient d’avoir donné le jour. Ronsard remplaçait l’athlète par le roi ou les princes, et les louait «jusqu’à l’extrémité ». Transposition plus malaisée encore au point de vue formel, car, quel métier d’artisan de la prosodie ne fallait-il pas pour faire se succéder jusqu’à vingt-quatre triades : strophe, antistrophe, épode ? On peut s’en rendre compte en lisant, par exemple, de préférence à haute voix, l'Ode à Michel de l’Hôpital, qui ne parut que deux ans plus tard. Mais on ne saurait la goûter pleinement qu’en l’entendant exécutée, comme naguère à Strasbourg et en Sorbonne, avec l’accompagnement de l’admirable musique de Goudimel. Heureusement qu’à côté de ces odes tintamarresques, chargées, selon la mode humaniste, de raretés mythologiques étranges comme cette invocation à Phœbus : « O Père, O Phebus Cynthien,/ O saint Apollon Pythien,/ Seigneur de Dèle la Divine,/ Cyré-nean, Patarean,/ Par qui le trépié Thym-brean/ Dessous la Custode devine », et agitées d’un « forcènement » pareil à celui de ladite Pythie vaticinant sur son trépied delphique, il y avait dix petites odes, celles-là imitées du gracieux poète latin Horace (Ier siècle av. J.-C.), qui célébraient, comme ce dernier avait fait pour son « Fons Bandusiae », la « Fontaine Bellerie », que les paysans de Couture montrent encore comme la « Fontaine de la belle Iris ». Mais les poètes de la vieille école, soucieux de ne pas leur voir échapper « les mannes de la Royale grandeur » (nous dirions plus prosaïquement « l’assiette au beurre »), comme Merlin de Saint-Gelais, reprochèrent au poète, devant le roi et sa fille Marguerite de Valois, de ne pas savoir ciseler le joli sonnet pétrarquisé qu’il avait introduit en France. Notre Ronsard releva le gant, et, en 1552, en publia tout un volume intitulé : Les Amours. Il y célèbre sa Cassandre, dont des recherches érudites ont établi que c’était Cassandre Salviati, fille d’un banquier italien. Il l’avait aperçue, jeune fille, à Blois, lors d’une fête de cour, en 1545, dansant un branle de Bourgogne, et en fut violemment épris. Mariée et devenue dame du Pré et de Talcy, ne lui laissant, dit-il... « qu’un pré/ Où sans espoir, ses espérances paissent », Cassandre rentrait, à point nommé, dans la donnée de l’amour courtois provençal, devenant ainsi la Laure de ce nouveau Pétrarque, qui lui voue un amour idéal, souvent philosophique, faisant d’elle, selon le vocabulaire platonicien, l’idée même de la Beauté et de l’Amour, et s’élevant « Jusqu’au giron des plus belles idées ». Le poète ne devait pas s’attarder à cet amour platonique et quintessencié, pour lequel il n’était pas fait, et allait s’orienter bientôt vers une tradition plus naturaliste et gauloise, qui lui inspira les Folastries, publiées en 1553 sans nom d’auteur, et deux ans plus tard, deux recueils de sonnets : Continuation et Nouvelle continuation des amours (1555-56), consacrées, cette fois, non plus à Cassandre, mais à Marie l’Angevine, lesquels marquent un renouvellement complet de sa manière. D’abord, s’adressant à une simple paysanne de Bourgueil, une Angevine de quinze ans (il aimait les tendrons) qui devait s’appeler du Pin à en juger par l’arbre de son « senhal », ou signal, il ne peut l’accabler de termes philosophiques, et la qualifier, comme Cassandre, « d'entelechie » (au lieu de : perfection). Elle aurait cru à une injure. S’il garde la forme du sonnet, il l’écrit non plus en décasyllabes mais en alexandrins, le vers de douze syllabes, fort délaissé depuis le Roman d’Alexandre (dernier quart du XIIe siècle), auquel il doit son nom. Ronsard adopte aussi la règle de l’alternance des rimes masculines et féminines, le plus rare secret de notre prosodie française, que le Moyen Age («le vilain monstre Ignorance » comme l’appela Ronsard) avait peut-être découvert, mais non appliqué. L’humble Marie fut-elle plus accessible que l’altière Cassandre ? Sauf de menues privautés, ces « bonnes manières » que la rusticité tolère, c’est bien douteux. Rupture, silence de plus de vingt ans. Ronsard apprend que son beau Pin de Bourgueil a été abattu par la cognée de la Mort. La blessure se rouvre et le thrène s’élève, un des plus émouvants de notre langue, le Sonnet de la Mort de Marie et les Stances dédiées à la même. Toutefois, il ne faut pas croire que les années 1555-56 et celles qui les ont immédiatement précédées soient consacrées à l’amour, et à son expression la plus simple et la plus complète. Celle-ci alterne avec la méditation, d’où sortirent parallèlement (j’emprunte le mot au vocabulaire verlainien); Les Hymnes et le Second Livre des hymnes (1555-56), où l’alexandrin, cette fois, élargit sa facture pour guinder son vol jusqu’aux Empyrées, où le seul Victor Hugo, trois siècles après, pourra le suivre. 1560 est la date de la première édition collective où le poète rassemble, en quatre petits tomes, publiés à Paris, par Gabriel Buon, « Au Clos Bruneau », les principales œuvres que nous avons analysées — v. Œuvres en prose (1560-65). Temps de trêve et de paix, telle une lourde accalmie avant l’orage des guerres de Religion. Pierre de Ronsard, bien qu’ayant des protecteurs et des amis dans les deux camps, et ayant été jadis tenté par la Réforme prêchée par de Bèze au faubourg Saint-Victor, prend parti pour la tradition catholique française : « Madame, je serois ou du plomb ou du bois/ Si moi, que la Nature a fait naître François/ Aux siècles advenir je ne contois la peine/ Et l’extrême malheur dont notre France est pleine./ Je veux maugré les ans, au monde publier,/ D’une plume de fer sur un papier d’acier,/ Que ses propres enfants l’ont prise et dévêtue,/ Et jusques à la mort, vilainement battue. » Les circonstances, qui auraient fait d’un autre un partisan, élèvent Ronsard à la hauteur d’un grand poète satirique, dont l’ardeur se traduit en trois œuvres maîtresses : Discours des misères de ce temps (1563), Continuation du discours des misères de ce temps, Remonstrances au peuple deFrance (1562) dont s’inspireront plus tard même ses adversaires, comme Du Bartas, dans sa Sepmaine et Agrippa d’Aubigné dans ses Tragiques, et qui annoncent, plus que le Barbier des ïambes, le Hugo des Châtiments. On y relève de magnifiques apostrophes a Théodore de Bèze : « Ne prêche plus en France une Evangile armée/ Un Christ empistolé tout noirci de fumée.../ Christ n’est que Charité, qu’Amour et que Concorde. » A mesure que les esprits s’échauffent, que lances et espadons écrasent les morions d’acier sur les têtes et les cuirasses sur la poitrine, et que le sang coule, le ton de la polémique devient plus âpre. Attaqué en sa personne physique, en son honneur, et, ce qui l’atteint le plus, dans son art, Pierre de Ronsard lance sa Réponse aux ... Prédicans de Genève. Il y décrit sa journée de chapelain, bourdonnante de prières, encore qu’il se défende d’être prêtre, et occupée de lectures, de pensées et — pourquoi pas ? — des honnêtes plaisirs de la Nature et de la Vie : « J’aime fort les jardins qui sentent le sauvage,/ J’aime à faire l’amour, j’aime à parler aux Femmes,/ A mettre par écrit mes amoureuses flammes... » Le doux évangile de la Renaissance triomphante est ici prêché. On le retrouvera dans les Eglogues ou poèmes bucoliques, qui vont, pour plusieurs années après la fin du concile de Trente, occuper les loisirs du nouveau prieur de Croix-Val, de Montoire en Vendômois, et de Saint-Cosme-lez-Tours, sur la Loire, entre lesquels il partage ses studieux loisirs. Arrivent les années orageuses qui vont aboutir à la Saint-Barthélemy (24 août 1572), deux ans après laquelle Pierre de Ronsard perd le souverain Charles IX pour lequel il avait écrit, lorsqu’il était monté sur le trône, en 1560, la noble Institution pour l'adolescence du roi très chrétien. Il en eut d’autant plus de chagrin que, par tempérament et par goût, il ne pouvait aimer son successeur aux amours efféminées, Henri III et ses mignons de cour. Au moins, avant de mourir, Charles IX avait-il pu prendre connaissance des quatre premiers livres de La Franciade (1572), tentative avortée d'Eneide française, où étaient retracées en décasyllabes (retour à une première manière) les aventures du Troyen, fils d’Hector, Astyanax, devenu Francus pour fonder le royaume de France, dont il est le héros éponyme. Tous les procédés de Virgile : évocation des morts, scenes de magie, amours royales, tempêtes, songes, y sont mis en œuvre, mais le poète, qui a traîné cette entreprise pendant trente ans, n’arrive pas à s’échauffer ou à nous émouvoir. Cependant, un artiste comme celui-là, même quand il se trompe, ne le fait qu’avec talent, et il n’est pas difficile, si l’on veut s’en donner la peine, de trouver dans La Franciade des comparaisons rares et des vers exquis, tels que ceux décrivant les amants que l’amour rapproche l’un de l’autre, comme le vent fait des arbres de la forêt. Ronsard n’alla pas plus avant, alléguant la mort du souverain dédicataire, et c’est tant mieux pour ce genre mort-né — l’épopée savante — qui devait aboutir à La Pucelle de Chapelain, et à celle de Voltaire, en attendant que Victor Hugo renouvelât le genre par sa Légende des siècles. Ronsard avait d’ailleurs, à ce moment-là, d’autres préoccupations. Il s’avoue :« ... né de la sorte/ Que sans aimer, je suis et du plomb et du bois,/ Quand je suis amoureux, j’ai l’esprit et la voix,/ L'invention meilleure en la muse plus forte. » Et ailleurs : « Mon septembre est plus chaud que mon juin de fortune. » Rien n’est plus vrai, car le voilà, déjà grison et bedonnant, engagé dans une nouvelle intrigue amoureuse, qu’il appelle lui-même sa « dernière aventure ». Cette fois, plus de nom supposé, plus d’énigme littéraire à déchiffrer : il s’agit d’une des gracieuses libellules de l’escadron volant que l’astucieuse Catherine lançait à la tête de ceux qu’elle voulait séduire : une de ses filles de cour, Hélène de Surgères, dont il a fait ainsi l’anagramme : « Le rets des généreux Hélène de Surgères. » Jeune encore, vingt-cinq ans, et Ronsard en avait cinquante, l’âge des barbons de Molière. Elle s’était éprise du capitaine aux gardes Jacques de la Rivière, qu’elle avait perdu. Réussirait-il, comme il avait fait quelques années auparavant, dans une situation analogue, pour Genèvre, à emporter la place ? C’était à la fois risqué et douteux. Il avait bien la gloire, que lui assura sa poésie, donneuse d’immortalité, mais, avoue-t-il : « Etre beau, jeune, riche, éloquent, agréable,/ Non les vers enchantés sont les sorciers d’Amour. » Cependant, comment une jeune femme ne s’émouvrait-elle pas à entendre exalter sa beauté en une langue dont lui seul (en dépit de son rival Philippe Desportes, qui s’y essayait bien aussi) savait le secret ? Elle l’écoutait dans le jardin des Tuileries ou les galeries du Louvre, d’où elle contemplait « Montmartre et les champs d’alentour ». Elle échangeait avec lui des serments sur une table tapissée de lauriers, acceptait la dédicace d’une fontaine à Croix-Val; bien plus, elle tolérait les déclarations les plus enflammées, les plus sensuelles et les plus audacieuses (nous somme au temps des « dames galantes ») : « Ne viendra point le temps, que dessous les rameaux,/ Au matin où l’Aurore éveille toutes choses,/ En un ciel bleu tranquille, au caquet des oiseaux,/ Je vous puisse baiser à lèvres demi-closes,/ Et vous conter mon mal, et de mes bras jumeaux, / Embrasser à souhait, votre ivoire et vos roses. » Jamais l’harmonie des vers et des sonnets n’a été plus enveloppante, plus enlaçante; mais, comme elle n’y cède pas encore, le poète reprend, s’adressant à Hélène, le thème du « carpe diem » d’Horace, déjà lancé à Cassandre dans le fameux :« Mignonne, allons voir si la rose », que Lejeune avait harmonisé, et ce sera le sonnet qui est dans toutes les mémoires : « Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle »... Mais, l’idylle sombre dans l’indifférence et même l’aigreur des lettres qui suivent la publication des Sonnets pour Hélène, dans l’édition collective des Œuvres de 1578. Il en devait revoir encore une, celle de 1584, où figure la fameuse apostrophe aux « bûcherons de la forêt de Gastine », mais nous sommes tout près de la fin d’une œuvre qui ne se termine qu’avec la vie. Le 27 décembre 1585, à Saint-Cosme, où on a retrouvé ses ossements, après qu’il aura composé son épitaphe et dit adieu a son corps, il rendit l’ « Amelette, Ronsardelette,/ Mignonnelette, doucelette,/ Très chère hôtesse de mon corps,/ Tu descends là-bas faiblelette,/ Pâle, maigrelette, seulette,/ Dans le froid royaume des Morts.../ Passant, j’ai dit, suis ta fortune/ Ne trouble mon repos, je dors. » Outre les ouvrages que nous avons cités, rappelons enfin, Les Panégyriques, Tombeau de Marguerite de Valois, royne de Navarre (1551), Gayetez (1555-56), Discours (1558-64), Exhortations (1558), Epître au lecteur (1564), L’Art poétique (1565), Elégies, mascarades et bergerie (1565), Sonnets pour Astrée (1578), Le Bocage royal (1584), et Mascarades, combats et cartels 1584).
XVIe siècle. ♦ « Quant aux Français je pense qu’ils l'ont [la poésie] montée au plus haut degré où elle sera jamais; et, aux parties en quoi Ronsard et Du Bellay excellent, je ne les trouve guère éloignés de la perfection ancienne. » Montaigne. ♦ « Certes, pouvons-nous bien dire pour le moins de la poésie française; qu’elle a accompli son tour et sa révolution dans le cercle et dans la période de sa vie. Il la vue en son orient, il l’a vue en son occident, il l’a vue naître, il l’a vue mourir avec lui; elle a eu même berceau, elle aura même sépulcre. » Du Perron, Oraison funèbre de P. de Ronsard, 1586.
XVIIe-XVIIIe siècle. ♦ « M. de Malherbe avait effacé plus de la moitié de son Ronsard, et en notait en marge les raisons. » Racan. ♦ « Ronsard qui le [Marot] suivit, par une autre méthode,/ Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,/ Et toutefois longtemps eut un heureux destin, / Mais sa muse en français parlant grec et latin! Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,/ Tomber de ses grands mots le faste pédantesque./ Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut,! Rendit plus retenus Desportes et Bertaut. » Boileau. ♦ « Ronsard gâta la langue en transportant dans la poésie française les composés grecs dont se servaient les philosophes et les médecins... Personne en France n’eut plus de réputation de son temps que Ronsard. C’est qu’on était barbare dans le temps de Ronsard. » voltaire.
XIXe siècle. ♦ « J’ai tant de respect pour Ronsard, tout Français qu’il fut, que je ne saurais aller à Tours, sans m’enquérir de son tombeau... Aucun Français ne m’a jamais donné une telle impression de force. » Soutney. ♦ « Ronsard est à sa manière une espèce de Shakespeare, non par son génie, non par son néologisme grec, mais par le tour forcé de sa phrase. » Chateaubriand. ♦ « Cet homme, le nez sur ses livres latins, arrachant des griffes et des dents les lambeaux de l’Antiquité, rimait le jour, la nuit, sans lâcher prise. Jeune encore, mais devenu sourd, d’autant plus solitaire, il poursuivait la Muse de son brutal amour... Il frappait comme un sourd sur la pauvre langue française. » Michelet. ♦ « Ce qui me frappe chez Ronsard poète, et poète si honorable, si laborieux et même si modeste après son accès de fougue première, c’est comme il se casse de bonne heure, comme il devient vite incapable d’autre chose que de courtes poussées, et comme il a le sentiment que la poésie ainsi que la jeunesse gît toute dans la chaleur du sang, et s’évanouit avec elle. » Sainte-Beuve. ♦ «Personne plus ou autant que ce sourd... n’a eu le sentiment des harmonies de la langue. » Brunetière.
XXe siècle. ♦ « On a trop vu l’amour alimenter sa poésie; sa majeure source d’inspiration, c'est l’ivresse; une ivresse mythologique, philosophique, chrétienne même parfois mais d’un christianisme qui s’allie étrangement au paganisme, à laquelle il doit cette sorte de transport lyrique, cette éruption verbale surabondante, intempérée, qui devait écarter de lui les lecteurs à tête froide des siècles suivants et qui ne sera retrouvée, égalée, dépassée que, beaucoup plus tard, par Hugo. » André Gide. ▼ « La poésie française n’a plus retrouvé, depuis lors, cette sensualité si humaine, ce culte des corps et des amours, ces douces arabesques, cette fraîcheur d’eau vive jusque dans le plus subtil artifice, ce goût admirable du bonheur, non pas combattu, mais accru et comme tendrement exalté par la certitude de la fragilité de toute chose, du peu de durée qu’ont la beauté, le plaisir, les chères souffrances de l’amour. » Thierry Maulnier.
À 12 ans, Pierre de Ronsard, né en 1524, fils d'un gentilhomme du Vendômois, est page au service des dauphins et princesses royales puis attaché d'ambassade en Allemagne et en Italie. Beau début de carrière. Mais Pierre de Ronsard ne sera jamais un grand soldat ni un habile diplomate : avant d'être adulte, il est déjà sourd (1542). Il lui reste l'Église. Il reçoit les ordres mineurs, mais ne va pas jusqu'à la prêtrise, et choisit d'être poète. II sera, avec du Bellay et les autres poètes de la Pléiade, dont il est l'instigateur et le chef, le disciple de l'humaniste érudit Jean Dorat au collège de Coqueret (1549). Bel homme, il aime séduire et encore plus versifier ses amours, plus ou moins heureuses : Cassandre la belle Italienne, Marie l'humble paysanne, la noble Hélène de Surgères... Poète, il jouit d'une faveur égale auprès du public et auprès de François Ier, de Henri II, de Charles IX et de Henri III. Ses contemporains le surnomment le « prince des poètes ». Prince qui ne dédaigne pas rédiger des travaux de commande. Obligé bien malgré lui de prendre parti dans les querelles religieuses, il doit défendre la cause catholique, ce qui lui attire les injures du clan opposé ; puis, ayant répondu vertement aux protestants, il reçoit les félicitations du roi, voire du pape. Vivant du bénéfice des abbayes que lui ont données ses protecteurs, il se retire, la vieillesse venue, au prieuré dé Saint-Cosme, en Touraine, et y meurt le 27 septembre 1585. Ses œuvres principales sont les Odes (15501552), Les Amours de Cassandre (1552), Les Amours de Marie (1555), Les Amours d'Hélène (1578), les Hymnes (1555-1556), les Élégies (1565) et les Discours (1562-1563). Oubliée à sa mort, son œuvre est redécouverte en France par les romantiques.
RONSARD, Pierre de (château de La Possonnière, 1524-Saint-Cosme-en-l'Isle, 1585). Poète français, chef de la Pléiade et dernier représentant de la civilisation humaniste de la Renaissance. Gentilhomme destiné à une carrière militaire, mais atteint d'une surdité précoce (1542), il se consacra à la poésie, fréquentant les humanistes, particulièrement l'helléniste Jean Dorât dont il fut l'élève au collège de Coqueret (Sainte-Barbe) à Paris. Chef de la Pléiade, il resta dans son oeuvre fidèle au manifeste littéraire de la Défense et Illustration de la langue française : les Odes (1550-1552), Amours de Cassandre ( 1552), Amours de Marie ( 1555), les Hymnes (1555-1556) et les Discours (1562-1563). Poète favori de Charles IX, écarté après la mort de ce dernier ( 1574), Ronsard se retira dans son prieuré où il écrivit les Amours d'Hélène. Renommé, célébré comme le « prince des poètes », Ronsard, décrié après sa mort par Malherbe hostile à la poésie trop savante de la Pléiade, ne retrouva la faveur du public qu'au XIXe siècle grâce aux romantiques et à Sainte-Beuve. Flaubert a dit de lui : « C'est plus grand que Virgile et ça vaut Goethe. » Voir Bellay (Joachim du), Humanisme, Romantisme.