ROMAINS Jules
ROMAINS Jules 1885-1972 Né Louis Farigoule — son pseudonyme deviendra son nom légal — et dans la Haute-Loire, il publie son premier recueil en 1904: L’Ame des Hommes. Déjà ses poèmes sont empreints d’unanimisme, une espèce de panthéisme, conception du monde et de la poésie à laquelle il attachera son nom. Dix ans professeur de philosophie, il abandonnera l’enseignement pour se consacrer à l’écriture. Les recueils vont se succéder: Premier Livre de Prières (1909), Un Etre en marche (1910), Europe (1916), Le Voyage des Amants (1920), Chants des Dix années (1928), L'Homme blanc (1937), Pierres levées (1945), Maisons (1953). Tous ses poèmes sont composés en vers blancs où l’accent est mis avant tout sur le rythme. Par ailleurs la poésie de Jules Romains se caractérise par sa ferveur fraternelle, sa générosité, l’effort constant qu’elle fait pour tendre vers un lieu commun plus grand que les confessions et les patries. Jules Romains est l’auteur de romans, dont les 27 volumes de la série Les Hommes de Bonne Volonté (1932 à 1946), et de Knock (1923), l’une des pièces de théâtre les plus férocement drôles du siècle. Jules Romains n’est plus guère lu aujourd’hui. Mais ses poèmes méritent beaucoup mieux que cet oubli — tout relatif. Par son sens du mystère et son goût du dépouillement, Romains a su trouver des accents sincères et mélodieux qui nous touchent.
ROMAINS Jules (pseud. de Louis Henri-Jean Farigoule). Ecrivain français. Né à Saint-Julien-Chapteuil (Haute-Loire) le 25 août 1885, mort à Paris le 14 août 1972. Instituteur, son père vient s’installer à Paris. Jules Romains fréquente l’école communale puis entre au Lycée Condorcet (1904). Sa vocation littéraire s’éveille très tôt. Il est reçu à l’Ecole Normale Supérieure en 1905. Il prépare une licence ès sciences et obtient un diplôme d’études supérieures de biologie dont il se souviendra en 1920 pour écrire, selon l’expression de Gabriel Audisio, « un mémoire d’anticipation scientifique » : La Vision extrarétinienne et le sens paroptique . Professeur de philosophie à Brest et à Laon en 1909, il s’installe a Paris en 1911. Il fréquente le groupe de l’Abbaye (Georges Duhamel, Charles Vildrac...), sorte de phalanstère sis à Créteil où se croisent diverses influences : symbolisme, socialisme révolutionnaire, lyrisme social, futurisme. Jules Romains s’en inspire pour mettre en forme une intuition qui l’avait traversé dès 1903 et qui aboutira à l’« unanimisme ». Sortant du Lycée Condorcet, il était entré en contact avec un être vaste et élémentaire dont le corps était formé par des rues, des voitures, des passants à qui s’imposait un rythme d’ensemble embrassant les divers rythmes des consciences individuelles. En 1908, il transpose cette intuition dans son recueil poétique, La Vie unanime, non sans en avoir discuté avec Georges Chennevière, un poète avec qui il signera plus tard un Traité de versification (1923). Avant 1914, Jules Romains compte déjà à son actif une quinzaine d’ouvrages qui vont du théâtre (L’Armée dans la ville, 1911) au roman (Les Copains, 1913), jusqu’au traité de métaphysique (Manuel de déification, 1910). Pacifiste, il fait la guerre dans un service de santé et publie en 1916 un poème intitulé Europe qui chante « les foules contraires à la mort ». Après la guerre, il quitte l’enseignement et s’oriente vers une sorte de théâtre lyrique où des groupes d’hommes s’affronteraient au moyen d’idées plutôt qu’à travers des passions individuelles. En 1920, Copeau monte au Vieux Colombier Cromedeyre le Vieil. En 1923, c’est la création de Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche, personnage qui reparaîtra en 1925 dans Le Mariage de Monsieur Le Trouhadec. Mais c’est avec Knock ou le triomphe de la médecine (1923) que Jules Romains obtient un triomphe. Ses pièces ultérieures, Le Dictateur (1926), et Donogoo Tonka (1929), sont moins bien reçues. Mais il prenait un nouveau départ avec le roman. Sa trilogie Psyché (Lucienne, 1922 — Le Dieu des corps, 1928 — Quand le navire, 1929) était le prélude à une œuvre plus vaste, « une fiction en prose qui exprimerait dans le mouvement et la multiplicité, dans le détail et dans le devenir cette vision du monde moderne dont La Vie unanime chantait d’emblée l’émoi initial ». C’est faire remonter très haut dans le temps l’idée mère des Hommes de bonne volonté. Entreprise qui suppose une grande énergie puisque les vingt-sept volumes quelle comporte furent écrits entre 1932 et 1947, avec des interruptions dues à la guerre (pendant laquelle Jules Romains quitte la France et s’occupe de la propagande de la France libre). En 1946, l’écrivain est élu à l’Académie Française. Jules Romains fut toujours un observateur attentif de la situation politique dans le monde. Ce qu’elle lui inspire, il le livre dans des ouvrages comme Problèmes d’aujourd'hui (1931). Problèmes européens (1933), Le Couple France-Allemagne (1935). A la veille de la guerre, il prône encore le rapprochement entre les peuples. Après la Libération, tout en continuant à donner des romans (Mémoires de Madame Chauverel, 1959), il se penche plus volontiers sur les problèmes de l’heure (Retrouver la foi, 1947 — Examen de conscience des Français, 1954 — Pour raison garder, 1961-63 — Lettre ouverte contre une vaste conspiration, 1966). Mais son optique a changé. De pacifiste de gauche, il est devenu ce que l’on a appelé un « théoricien du radicalisme bourgeois ». Toute l’œuvre proprement littéraire de Jules Romains est imprégnée de l’intuition à laquelle il a donné le nom d’unanimisme, « harmonie naturelle et spontanée » au sein d’un groupe « d’hommes qui participent à la même émotion ». Avant de devenir une théorie où se remarquent les influences de Durkheim, Tarde et Lévy-Bruhl, l’unanimisme est donc une prise de conscience relevant de la sensibilité. En poésie, plus de symbole ni d’allégorie mais un vers libéré d’une métrique rigide, lesté du poids des foules qui marchent dans les rues, soulevées par un optimisme cosmique. Ce qui ne va pas sans danger, comme l'écrivain le note dans L’Homme blanc. Quant au théâtre de Jules Romains, il prend appui sur l’unanimisme pour montrer les foules en proie aux charlatans qui, à la limite, prennent le visage des dictateurs. Si Cromedeyre le Vieil est encore un poème dramatique plus qu’une pièce, Knock, à travers un médecin moliéresque d’allure, montre à l’œuvre la sinistre puissance d’un homme capable d’envoûter toute une population. Donogoo Tonka souligne par ailleurs les méfaits de l’illusion créée par la publicité (les mass media d’aujourd’hui). C’est dans son Manuel de déification (1910) complété par Puissances de Paris (1919) que se trouve l’exposé cohérent de la théorie unanimiste. L’individu renoncera à sa solitude pour penser en fonction du groupe. L’espace est l’endroit où tout s’entrecroise tandis que le temps est « arbitraire et élastique ». Le monde est sujet à la léthargie. Il faut l’éveiller, au besoin de manière brutale. Le canular a des vertus thérapeutiques, comme le montrent Les Copains, qui créent des événements capables de tirer les habitants de villes de province de leur sommeil. Qu’en sera-t-il des lors des émotions personnelles ? Jules Romains se méfie du couple. Pourtant dans Psyché, il prône ce qu’il appelle « la religion sexuelle », capable de réconcilier les sens et l’esprit avec l’approbation tacite du groupe social. A travers la femme, le dieu des corps se manifeste dans son universalité. Ce que Jules Romains a conçu et tenté à travers la poésie, le théâtre, le roman vient converger dans Les Hommes de bonne volonté. L’œuvre n’est plus « centrée sur l’individu » mais elle vise à embrasser « un vaste ensemble humain, avec une diversité de destinées individuelles qui cheminent chacune pour leur propre compte en s’ignorant la plupart du temps ». Ce roman polyphonique se déroule du 6 octobre 1908 au 7 octobre 1933 et brasse une foule de personnages dont quelque six cents ont une individualité plus ou moins reconnaissable. Une quarantaine d’entre eux tiennent les premiers rôles. Ce sont pour la plupart des représentants de « groupes de pression », comme on dirait aujourd’hui. Les milieux universitaires et leurs tâches scientifiques, les milieux politiques et leurs intrigues, les milieux d’affaires face à des crises, le monde de l’Eglise et sa puissance, toute une réalité sociale complexe et désordonnée tente de se situer face à une vaste perspective historique que définit la double « montée des périls » avant 1914 et 1939. Jules Romains juxtapose événements et destins, les mène de front. Ils se côtoient, sans se rencontrer. Ce qui lui permet d’évoquer « tout un pathétique de la dispersion, de l’évanouissement, dont la vie abonde, mais que les livres se refusent presque toujours, préoccupés qu’ils sont, au nom de vieilles règles, de commencer et de finir le jeu avec les mêmes atouts ». Dispersion ne signifie pas, malgré tout, désordre. D’abord, cette fresque sociale en mouvement s’articule selon l’existence de deux Normaliens, Jallez et Jerphanion, des amis — des copains — en qui s’incarnent les deux visages de Jules Romains, celui du créateur et celui de l’observateur politique. Ensuite, l’unanimisme intervient comme un élément de coagulation du temps, soit en période de paix — et Paris alors palpite d’une vie mystérieuse —, soit en période de guerre - et c’est le million de combattants déversé sur Verdun pendant la guerre de 1914. Enfin, même si aujourd’hui certaines des options de Jules Romains paraissent dépassées, il n’en reste pas moins que les Hommes de bonne volonté constituent une fascinante chronique des événements qui animèrent et bouleversèrent l’Europe, de Londres à la Volga, et ce sur un quart de siècle. ♦ « Il n'est pas trop tôt pour estimer que la postérité aura le droit de voir, dans toute l’œuvre de Romains, pendant plus d’un demi-siècle, sans écart, sans défaillance, l’affirmation constructive d’un classicisme moderne. » Gabriel Audisio. ♦ « Dans sa longue légende des Hommes de bonne volonté... il veut évoquer la rumeur de la vie collective, le bruissement d’une époque, les tumultes, les fêtes et le mouvement lent de la vie quotidienne. » R.M. Albérès. ♦ « La puissance de l’ensemble n’est pas niable, mais elle est celle de la « bonne volonté » plus que de l’inspiration. Il y a là une sorte de simulation du génie créateur qui met en garde. » Gaétan Picon.