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Roger Grenier

Né à Caen en 1919, Roger Grenier passe son enfance et son adolescence à Pau, ville qu’on retrouve notamment dans Le Palais d’hiver et Ciné-Roman. Journaliste à Combat après la Libération — à laquelle, jeune licencié es lettres, il participe à Paris —, puis à France-Soir, il est depuis 1964 conseiller littéraire aux éditions Gallimard. En 1972 il obtient le prix Fémina pour Ciné-Roman. Comme l’adolescent des années trente, le narrateur de Ciné-Roman, qui se glisse dans la cabine du projectionniste, au cinéma-dancing Magic-Palace, comme pour être plus près des images et des rêves, comme Lydia dans Le Palais d’Hiver qui, après avoir rêvé d’être cantatrice accompagne au piano de médiocres chanteurs sur la scène d’un cinéma de Bordeaux, comme les journalistes de La salle de rédaction qui enregistrent et transmettent mes bruits du monde, Roger Grenier est un homme des coulisses. Mais, les coulisses où il se tient sont celles de l’histoire et du monde. Tout en ayant l’air de conter des histoires sans importance collective, de destins ratés (Le Palais d’Hiver), de rêves enfuis (Les Embuscades), de jours tranquilles et menacés (Avant une guerre), il nous conte notre histoire, non telle que l’illustrent les vedettes et les évènements de l’actualité, mais telle qu’on la peut voir et vivre depuis l’envers du décor, telle que la tissent aussi des machinistes anonymes. Sans doute on a pu dire que Grenier était hanté par le passé, que reconstruisant une époque qui fut la sienne il égrénait sa nostalgie de l’avant-guerre et d’une province disparue, ou encore qu’il exprimait les espoirs et les désillusions d’une génération, celle qui eut vingt ans à la guerre et fut flouée à la Libération. Et assurément, même s’il n’apparaît jamais dans ses récits qu’avec la discrétion d’un témoin ou s’il se cache derrière un narrateur, toute son œuvre a un caractère autobiographique en ceci qu’elle est fait de ses expériences, de ses rencontres et de ce qu’elle lui ont appris. Seulement s’il reste dans la coulisse, c’est pour donner plus de champ à son regard, mais c’est d’abord parce qu’il est lui aussi un machiniste de l’histoire : l’apprentissage de la société, l’évolution du monde moderne, il les a faits et vécus de l’intérieur. Lycéens de Pau {Le Palais d’Hiver, Ciné-Roman, Avant une guerre), maîtres d’internat dans une grande ville provinciale {La Voie romaine), résistants parisiens qui après la Libération n’auront bientôt plus que le souvenir de rêves héroïques {Les Embuscades), journalistes confrontés à la manipulation de l’information comme à leurs problèmes personnels {Les Monstres, La salle de rédaction), tous ses personnages sont ses doubles — ou les doubles de ses compagnons. Ils illustrent à la fois les âges de sa vie (de son enfance à maintenant) et les âges de la vie (aux gestes, aux paroles de ses personnages, a leurs élans, à leur retenue ou à leur silence on pourrait dire où ils en sont de leur propre histoire, de leur naïveté ou de leurs déceptions, de leurs désirs ou de leur fatigue). Et leurs aventures s’inscrivent toujours à un moment précis du temps. Chez Grenier, même le parfum d’un lieu, les lumières d’une rue, les couleurs d’une vitrine sont datés. Ce parfum, ces lumières, ces couleurs ne disent pas seulement la réalité d’un moment donné, ils renvoient aussi à ses images, à sa morale, à ses mythes. Ainsi Grenier se coule dans les profondeurs de l’époque, décrypte le réseau complexe de la réalité. Pour cela son écriture se garde des effets faciles et du pittoresque d’une certaine tradition naturaliste. Mais elle ne procède pas non plus par détours ou creusement successifs comme chez Proust. Elle préfère le trait incisif, la notation rapide, elliptique (et peut-être est-ce dans les nouvelles qu’elle montre le mieux son efficace discrétion). Il y a du Tchékhov dans la manière dont Grenier s’attache moins aux apparences qu’à ce qu’elles dissimulent, dont il fait percevoir tout ce qu’il peut y avoir d’incertain et de tremblant dans le cours familier des choses. Mettant à jour ce qu’on ne dit jamais et qui pourtant constitue notre quotidien, ses romans — comme les beaux livres de Claude Menuet {Une enfance ordinaire, Le Pensionnaire) dont on ne saurait dire qu’ils sont souvenirs d’enfance ou livre d’ethnographe, — proposent une radiographie subtile de notre temps.




■ Romancier et essayiste, né à Caen. Journaliste à Combat au lendemain de la Libération (après avoir été engagé par Albert Camus, pour avoir participé à la prise de l’Hôtel de Ville). Ses premiers ouvrages, et surtout son essai Le Rôle d’accusé (1948) et ses romans Les Embuscades (1958), Le Palais d’hiver (1965), et Avant une guerre (1970) lui valent en 1971 le Grand Prix des gens de lettres pour l’ensemble de son œuvre. Initiateur d’un hommage collectif à Camus en 1962, il lui consacre un livre en 1987 (Albert Camus, soleil et ombre) ; à l’inverse pourtant de Camus, Roger Grenier - qui est une sorte de Tchékhov mâtiné de Laforgue - s’attache presque exclusivement aux vies dont, selon sa propre formule, « personne ne voudrait » (Il y a des êtres - dit-il au début du Palais d’hiver -, dès la première rencontre, je les reconnais comme s’ils étaient déjà des personnages de mes livres [...] Ils jurent jeunes la vie les a rejetés [... ] Il leur en reste, jusqu’à la fin, une sorte d’étonnement).

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