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Roger Bordier

Roger Bordier est né à Blois en 1923 dans un milieu ouvrier. Après des études qu’il dut finalement poursuivre en gagnant sa vie, débute dans le journalisme en 1946 à Orléans. Se marie en 1947. S’installe à Paris en 1950 où il est journaliste pendant une douzaine d’années. Son premier recueil de poèmes : les Exigences, paraît en 1951, son premier roman, la Cinquième Saison, en 1958. Le second les Blés obtient le prix Renaudot en 1961. En 1968, il est l’un des principaux fondateurs de l'Union des écrivains. Depuis 1973, Bordier, dont l’œuvre de critique d'art est importante, enseigne à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Poète, critique d’art, romancier, quel que soit le créneau où il se tient, le mode d’écriture qu’il pratique, Bordier est toujours attentif aux mu-tâtions de son temps : révolutions du cœur, du regard, de la technique, de la société. Même s’il a la nostalgie des vieux villages (dans Un âge d’or, Couvret, l’instituteur retraité, tente désespérément de redonner vie à un village abandonné) ou s’il nous entraîne dans la cité futuriste de l’Océan. Bordier écrit au présent : la rêverie écologique et les fantasmes de la science-fiction sont des symptômes de notre civilisation et des crises qu’elle traverse. Aussi bien, sociologue ou critique, il s’interroge sur la finalité du progrès et remet en question le mythe scientiste selon lequel les créations de la science feraient le bonheur de l’humanité (le Progrès : pour qui ?) ou analyse la double fonction esthétique et sociale de l’objet (l’Objet contre l’art). Ce faisant il est dans le droit fil d’une recherche littéraire qui se veut doublement contemporaine : reflet de l’histoire, de ses crises et contradictions, et partie prenante dans les transformations du roman. A la différence des romanciers dits réalistes qui, se voulant témoins de leur époque, prennent Zola pour maître, Bordier est aussi engagé dans le processus de remise en cause des formes narratives. Ainsi il occupe une place singulière, charnière, dans la littérature d’aujourd’hui. Son projet est de dire notre monde. Plus encore de dévoiler les failles et fissures qui le menacent. S’il n’ignore rien des élans du cœur (Marceau réinvente la femme perdue, dans l’Entracte), Bordier sait que l’aventure des individus s’inscrit, fût-ce à contre-courant (Couvret dans Un âge d’or) dans l’histoire de la société. Ce n’est point caprice d’auteur si ses romans se déroulent dans deux types de décor : le village (ou la nature) et la grande ville moderne, ni si ses héros sont des paysans (ou des gens épris de campagne), des syndicalistes, des architectes. Là sont les enjeux de notre civilisation, et ceux qui les jouent. La disparition d’une culture rurale, la pollution, le gigantisme urbain, la standardisation de la technique, les luttes sociales enfin, voilà ce qui est suggéré ou mis en scène dans les romans de Bordier, dans cet univers dont la cohérence est marquée par le retour de certains personnages. Si dans les Blés un architecte construit une belle coopérative au cœur des champs, si dans Meeting, la jeune femme qui anime une manifestation agricole devient un modèle pour l’action ouvrière, fait rêver des artistes révoltés et inspire un numéro à une strip-teaseuse, c’est que toutes les questions sont liées et que l’audiovisuel, les rendant immédiatement perceptibles à tous, favorise leur impact et leurs déformations. On ne s’étonnera donc pas si la composition éclatée de Meeting, si l’écriture même de Bordier reflètent les cadences, les rythmes tout en ruptures, de notre temps.