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RIMBAUD Arthur 1854-1891

RIMBAUD Arthur 1854-1891
La carrière du poète : 1. Premières œuvres. 2. Les deux chefs-d'œuvre. 3. La « seconde carrière ». - Points de vue sur l’œuvre : 4. Élans mystiques. 5. Le « révolutionnaire 6. Illuminisme et « magie ». 7. Problèmes techniques. Poète, né à Charleville.


Premières œuvres.


Fils d’un capitaine d’infanterie (chef d’un bureau arabe), le jeune Arthur est élevé jusqu’à sa quinzième année chez son grand-père maternel, Nicolas Cuif, à la suite d’une séparation à l’amiable intervenue entre ses parents. Outre ses deux sœurs Isabelle et Vitalie, sa mère, paysanne inculte, autoritaire, bornée et pieuse, va exercer tout au long de son enfance un rôle d’éducateur (un peu envahissant) ; il apprend vite, nous dit-il, à tirer la langue, et pour le punir, les dimanches, on l’oblige à lire une Bible à tranche vert chou, qui, d’ailleurs, le fait rêver. Élève brillant, ses compositions en vers latins sont publiées par le Moniteur de l'enseignement secondaire. À l’âge du baccalauréat (qui est pour lui de quinze ans, car il a sauté plus d’une étape), un professeur de rhétorique, Georges Izambard, de six ans son aîné, fait confiance aux dons de l’adolescent et lui fait lire Hugo, Villon, Rabelais, Baudelaire. Il sera bientôt son confident, et, plus encore, son correspondant, lorsque commenceront, en 1870 et en 1871, la série des « fugues » : à Paris d’abord (il a voyagé sans billet, mais sera tiré de prison par Izambard), à Charleroi, à Bruxelles, à Douai (où les tantes d’Izambard le recueillent à plusieurs reprises). Plus d’une fois il fait toute la route à pied ; puis, repu de révolte, il rentre à Charleville ; ou bien dans la propriété familiale de Roche, près Vouziers. Il envoie des vers à destination de la revue Le Parnasse contemporain (et aussi des articles, moins convaincants, aux journaux), rédige la célèbre lettre dite depuis « du voyant », adressée le 11 mai 1871 à un ami de Douai, Paul Demeny (Je dis qu'il faut être voyant. Et encore : Le poète se fait voyant par un immense et raisonné dérèglement de tous les sens). La Commune lui inspire les poèmes Paris se repeuple et Les Mains de Jeanne-Marie, ainsi qu’un Projet de Constitution communiste. Cette même année 1871, il compose Le Bateau ivre et le sonnet des Voyelles, les deux plus justement fameux des poèmes de ce qu’on appelle sa « première manière ». Le Bateau ivre est un récit puissant et coloré, qui se souvient de Jules Verne mais aussi, sans doute, des prodigieux mouvements « élémentistes » de Hugo dans Les Travailleurs de la mer. Quant au sonnet dit des Voyelles, il est peut-être plus célèbre encore :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes... Pas un rimbaldien qui n’ait interrogé cette courte pièce et ne l’ait signalée comme la plus dense - et, de ce fait, la plus propice aux controverses - de toutes les œuvres du premier Rimbaud ; quoique, paradoxalement, chacun l’ait dit tout à fait claire (du moins à partir du moment où nous voulons bien accepter la « grille d’interprétation » qu’ils nous proposent). On y a donc vu tour à tour un poème philosophique (en quoi toute la dialectique de Hegel se trouve enclose), ou cosmogonique ; à moins qu’il ne soit théosophique, gnostique, illuministe, etc. Deux solutions, par contre, apparaissent bien séduisantes. La première par son caractère résolument frivole : selon Robert Faurisson - voir la bibliographie ci-après -, ce poème décrirait tout simplement, depuis l’alpha jusqu’à l’oméga, les étapes successives - les lieux ! - du jeu d’amour (l'auteur a le tort d’étendre son idée, excellente jusqu’ici, aux Illuminations) ; plus solide (heureusement) et plus simple est l’idée de René Étiemble et Yassu Gauclère. Au surplus, cette dernière thèse ne contredit pas la précédente : en effet, selon Étiemble et Gauclère, c’est là un jeu à l’état pur d’impressions sensorielles : « Il n’est pas surprenant que Rimbaud, après avoir élaboré sa théorie du voyant, ait cherché à en donner une illustration (une illumination) au moyen de toutes les sensations qui lui paraissaient essentielles. » Jeu d’impressions, par conséquent ; et non pas expression. Le poète n’a pas a « exprimer » une idée au moyen d’images. Les images sont ambiguës, mais ce ne sont là pourtant que des images, des sons. Il a voulu faire « un poème qui ne soit que poésie ». Ce qui au temps du symbolisme, ne manquait pas d’audace. Notons que la remarque corrélative d’Étiemble et Gauclère (« les voyelles ne sont qu’un prétexte ») se trouve appuyée par le témoignage de Verlaine : « Moi qui ai connu Rimbaud, je sais qu’il se foutait pas mal si A était rouge ou vert. » Avant de quitter cette première époque, celle des poèmes « versifiés », il faut dire un mot de l’étonnant quatrain sans titre (nous le donnerons ci-dessous en entier) qui est souvent associé - et même placé côte à côte - avec Voyelles tout à la fin des pièces de vers de Rimbaud ; à juste titre, d’ailleurs : ce sont deux oeuvres parentes, et digne déjà d’Une saison en enfer, et des Illuminations. C’est ainsi que René Étiemble, dans un autre travail sur Rimbaud (à l’usage des élèves, celui-ci, chez Larousse), annexe ce poème à Voyelles : autre poème-jeu. Jeu en ceci que les mots, libérés de toute obligation sur le plan de la logique, y sont astreints en revanche à une règle implacable sur le plan de l’agencement sonore et tout à la fois architectural; images et mots, par exemple, s’ordonnent selon une « composition en carré », comme le note très subtilement Emilie Noulet - citée par Étiemble - qui ajoute :
« C’est une éblouissante énumération de quatre fois quatre mots qui se lisent aussi bien verticalement que par vers, et dont chaque quart représente à la fois un monde et une catégorie du discours, dans une suite doublement parallèle : substance, action, couleurs, et lieux sensibles de l’amour. » Voici donc ce quatrain :
L'Étoile a pleuré rose au creux de tes oreilles,
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins;
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles,
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

Les deux chefs-d'œuvre


L’amitié de Paul Verlaine, son aîné de dix ans, va-t-elle déterminer dans l’œuvre de Rimbaud le changement décisif, qui aboutira aux deux célèbres recueils ? Qui sont Une saison en enfer (prose mêlée de poèmes, 1873) et les Illuminations (poème en prose, 1872 à 1873, ou plus tard ; on sait que cette œuvre n’a été publiée qu’en 1886 par les soins de Verlaine). À la vérité, bien loin de subir de l’autre la moindre influence, chacun des deux poètes s’est dès lors aventuré plus avant dans sa propre voie : Rimbaud vers une forme de poème libéré de la strophe et de la rime ; Verlaine, au contraire, vers une technique plus serrée, une « métrique » plus élaborée et plus raffinée. C’est un nommé Bretagne, ami de Rimbaud à Charleville, qui, en 1871, lui avait conseillé d’envoyer des vers à Verlaine. Le glorieux aîné, peu farouche, répond aussitôt : « Venez, chère grande âme ; on vous attend, on vous désire. » Le ménage, tout neuf encore, de Verlaine ne résistera pas à pareille irruption. Les beaux-parents trouvent cet ami..